Grève des internes : une mobilisation sans précédent

Philippe Anaton

Auteurs et déclarations

11 décembre 2019

Paris, France — Hier, les internes ont entamé une grève illimitée à l’appel de l'intersyndicale nationale des internes (Isni). Lors d’une première journée de manifestations partout en France, plus de 6 internes sur 10 se sont mobilisés, selon les chiffres de l'intersyndicale. Une mobilisation impressionnante.

Selon l'Isni, « on estime une participation supérieure à 60 % des internes soit 16 000 internes sur 27 000, dans tous les CHU et les centres hospitaliers généraux aussi. Toutes les spécialités sont concernées. Dans de nombreux hôpitaux, il n’y aura plus d’interne pour assurer les gardes des urgences ».

Les pouvoirs publics, de leur côté, ont estimé le taux de participation des internes à 31,7% et le taux de mobilisation à 34,7%.

Les raisons ? Les internes se mettent en grève car ils déplorent « une baisse de la qualité de leur formation et des soins apportés aux patients ». « Nous ne sommes plus en formation mais « roue de secours », « Nous sommes dans une situation où les praticiens en formation sont considérés comme des praticiens bon marché et sont utilisés pour « combler les trous », expliquent-ils.

Sans surprise…

Du côté des internes, on sentait depuis plusieurs semaines la situation déraper. Avant même que l'Isni ne se décide, début novembre, à se lancer dans une grève illimitée, des mobilisations locales auguraient d'un climat délétère dans certaines régions.

Le 30 septembre dernier, l'ensemble des internes affectés au service des urgences de Mulhouse se mettaient en arrêt maladie, du fait de leur épuisement professionnel. Raison de ce burnout collectif : les internes palliaient le manque de médecins urgentistes. Ils n'étaient plus que 7 urgentistes pour un effectif théorique de 34 urgentistes.

Un mois après, le 28 octobre, c'étaient les internes en médecine générale d'Ile-de-France qui décidaient de se mettre en grève illimitée. Car, suite à une erreur administrative, l'ARS Ile-de-France avait décidé d'annuler la procédure de choix de terrain de stage des internes en MG d'Ile-de-France effectué au début du mois d’octobre, afin de répondre à la pénurie d'internes en pédiatrie dans certains établissements franciliens.

Aussi, toujours à la fin du mois d'octobre, un interne du CHU de Nice se faisait violemment agresser par un patient aux urgences. Le syndicat des internes niçois dénonçait une prise en charge lacunaire de cette agression par la direction, et réfléchissait à une mobilisation sociale.

Ces divers incidents, dans un contexte de mobilisation hospitalière lors d'une manifestation à Paris le 14 novembre dernier, ont incité l'Isni à envisager, dès le début du mois de novembre, une grève illimitée. C'est le 7 novembre dernier, que la décision a été prise.

Quelles sont les revendications des internes ?

Dans plusieurs communiqués diffusés tout au long du mois de novembre, l'Isni a fait connaitre ses revendications :

  • Participation aux décisions sur « la construction de la réforme des études » avec refus de la procédure de « big matching » pour 2020;

  • Le maintien des règles concernant l’obtention des licences de remplacement (craintes qu’elle soit plus tardive) ;

  • Politique de prévention auprès des salariés les plus précaires ;

  • Revalorisation des rémunérations des internes avec un doublement de l'indemnité de garde à 240 euros ;

  • Un décompte horaire du temps de travail des internes et un paiement des heures supplémentaires ;

  • L’investissement de fonds publics pour la formation ;

  • Indexation de l'indemnité de logement sur le prix de l'immobilier dans la ville du CHU de rattachement.

Mais aussi, concernant la défense du système de santé :

  • La suppression de l’article 3 du PLFSS ;

  • Un Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM) minimum à 4,4% ;

  • Une reprise de la dette des hôpitaux par l’État et non par la Sécurité sociale.

Dans un communiqué du 4 novembre, l'Isni avançait ses revendications : participation aux décisions sur « la construction de la réforme des études », politique de prévention auprès des salariés les plus précaires, revalorisation des rémunérations des internes avec un doublement de l'indemnité de garde à 240 euros et « une indexation de l'indemnité de logement sur le prix de l'immobilier dans la ville du CHU de rattachement ».

Au fur et à mesure que le mois de novembre a progressé, les revendications se sont faites plus nombreuses. Parmi elles, la poursuite des négociations, entre internes et pouvoirs publics, au sujet de la réforme du troisième cycle des études médicales et (R3C).

En cause : la procédure dite de big matching. Dorénavant, pour le choix des stages à partir de mai 2020, les internes soumettront leur vœux sur une plateforme qui, grâce à un algorithme et en prenant en compte les désidératas des maitres de stage, permettra de sélectionner un terrain de stage.

En cas d'échec, après deux tentatives, c'est l'ARS qui affectera l'interne sur un terrain de stage, décrit l'Isni, qui craint une sélection à la tête du client, le « favoritisme ».

Outre des revendications plus générales, au sujet d'un rehaussement du budget de la sécu (l'Ondam) à 4,4% , l'Isni a encore enrichi ses revendications, à la mi-novembre, en demandant un « décompte horaire du temps de travail des internes, un investissement de fonds publics pour la formation, et le maintien des règles concernant l'obtention des licences de remplacement ». Pour ce qui est des licences de remplacement, l'Isni réclame de pouvoir continuer à faire des remplacements à la moitié de la maquette du DES.

Et, le 29 novembre, l'Isni tirait de nouveau la sonnette d'alarme en annonçant que les internes seraient privés de gardes séniorisées. « Suite à une réunion hier avec la DGOS, dorénavant, les internes ne pourront effectuer des gardes séniors qu'à partir de la phase 3 soit en 5ème année pour les anesthésistes-réanimateurs et pour les internes de cardiologie (si phase de consolidation) par exemple », écrivaient-ils dans un post sur leur page Facebook.

La mobilisation se poursuit

Faute de réponse du ministère, pour le moment, aux revendications des internes, la grève des gardes et des astreintes se poursuit les 11 et 12 décembre, et de nouvelles manifestations sont attendues pour le 13 décembre, un « Black Friday des internes ».

Enfin, les internes participeront au mouvement national le 17 décembre pour la sauvegarde de l'hôpital, aux côtés des collectifs inter-urgence et inter-hôpitaux, ainsi que des syndicats de personnels hospitaliers.

Rejoints par les autres étudiants

Le 2 décembre, les internes en pharmacie et biologie (FNSIP) ont rejoint le mouvement, en revendiquant peu ou prou les mêmes points que l'Isni.

Entre-temps la grande majorité des syndicats d'internes en région ont eux aussi décidé de participer au mouvement de grève, qu'il s'agisse du SAIHM (Marseille), du SAIHL (Lyon), du syndicat des internes de Nice, du SIHP (Paris), du SRP-IMG, du syndicat des internes de Strasbourg...

Les internes ont le soutien des syndicats de praticiens hospitaliers (APH, INPH, CMH, CNAM), Jeunes Médecins et des libéraux (URML) et du SNJMG.

 

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