Les gaz anesthésiants sont des polluants : les hôpitaux cherchent des solutions

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

10 décembre 2019

Grenoble, France En France, trois agents inhalés utilisés en anesthésie dans les blocs opératoires, le desflurane, le sevoflurane et le protoxyde d’azote (N2O), sont classés comme gaz à effet de serre. Par leur rejet direct dans l’atmosphère, ils contribuent au réchauffement climatique et, en plus, dans le cas du protoxyde d’azote, à la destruction de la couche d’ozone. En raison de ces effets sur l’environnement, les anesthésistes réanimateurs ont commencé à modifier leurs pratiques et les établissements de santé ont dû trouver des solutions pour réduire, voire supprimer les rejets. C’est le cas au CHU de Grenoble où, pour la première fois en France, un dispositif de recyclage des gaz inhalés va être expérimenté à partir de 2020.

Le desflurane, le plus polluant des gaz anesthésiants, est moins utilisé

Parmi les gaz à effet de serre, le méthane est souvent présenté comme étant bien plus nocif que le gaz carbonique. C’est oublier l’influence d’autres émissions longtemps sous-estimées liées à l’activité humaine, celles des gaz d’anesthésie utilisés dans les blocs opératoires. En raison de leurs effets sur l’environnement, les anesthésistes réanimateurs ont commencé à modifier leurs pratiques. Le desflurane, le plus polluant d’entre eux, est de moins en moins utilisé (voir encadré). Dans certains établissements, il a été carrément supprimé.

La question de l’abandon du protoxyde d’azote s’est posée encore plus tôt, après l’apparition notamment de nouvelles molécules permettant de s’en passer, tout en conservant les mêmes bénéfices [2]. Désormais, en France, plusieurs dizaines d’établissements de santé sont construits « N2O free », comme le CHU de Bordeaux depuis 2008 ou Gustave Roussy, à Villejuif. La réduction de la consommation de N2O a toutefois conduit à la hausse de celle des gaz halogénés (desflurane et sevoflurane).

« Il ne faut pas pour autant diaboliser les gaz anesthésiants. Il reste difficile de s’en passer. Par leur capacité à maintenir une anesthésie, ils sont à la base de notre pratique. Le desflurane est certes moins utilisé, mais il reste apprécié par les anesthésistes réanimateurs, car il permet un réveil plus rapide après l’opération », a commenté, auprès de Medscape édition française, le Pr Pierre Albaladejo, anesthésiste-réanimateur au CHU de Grenoble.

« Sans ces agents, notre pharmacopée serait très réduite et nous conduirait à utiliser davantage des anesthésiants intraveineux, comme le propofol, qui est, quant à lui, très toxique pour les milieux aquatiques. On ne ferait que déplacer le problème. »

Ajuster le débit de gaz frais

Au CHU de Grenoble, on connait bien cette problématique, puisque le personnel y est sensibilisé depuis plusieurs années. Il fait partie des premiers hôpitaux en France à avoir évalué les rejets de gaz anesthésiants et à prendre des mesures pour les réduire et mieux les contrôler.

Lors d’une anesthésie, une très faible part du gaz utilisé est métabolisé par le patient. Le reste est expiré et remis en circulation, à travers les circuits des respirateurs. L’environnement du bloc opératoire est préservé par des systèmes d’évacuation des gaz anesthésiques (SEGA), qui amènent les excédents vers l’extérieur de l’établissement.

L’une des premières mesures envisagées pour limiter les rejets dans l’atmosphère a été de réduire le débit de gaz frais (DGF) ajouté dans le circuit pour fournir de l’oxygène. En 2014, une étude menée dans 38 blocs opératoires du CHU de Grenoble a montré qu’en abaissant les DGF à 1L/min, il est possible de réduire de 26% l’impact environnemental des halogénés [1]. La baisse des rejets consécutive est équivalente, en termes d’impact écologique, aux rejets d’un véhicule utilitaire de sport parcourant 30 000 km.

« Grâce aux progrès techniques qui limitent les fuites en circuit fermé, il est possible de réduire les DGF. En généralisant cette pratique à tous les blocs opératoires, on peut espérer réduire la consommation de gaz halogénés de 20 à 25%, ce qui correspond à une économie de près de 60 000 euros par an », précise le Pr Albaladejo.

Autre option: utiliser des respirateurs plus modernes équipés du mode anesthésie inhalée à objectif de concentration (AINOC). En administrant les gaz inhalés de façon plus rapide et de manière ergonomique, cette technique permet de réduire de moitié leur consommation, même sur des anesthésies courtes.

« L’AINOC permet de réduire au minimum le DGF. Mais, son utilisation impliquerait de renouveler les ventilateurs des blocs opératoires et opter pour des machines plus modernes, dont le coût est extrêmement élevé ».

Contrôle du cycle de vie

Pour réduire l’empreinte carbone des activités de soins, « l’idéal est de développer une dynamique en faveur d’un contrôle du cycle de vie des produits et des dispositifs médicaux, de leur conception, jusqu’à leur élimination. Il s’agit là d’un concept fondamental pour limiter les impacts de nos activités sur l’environnement », selon l’anesthésiste-réanimateur, également responsable du groupe développement durable de la Société européenne d’anesthésie (ESA).

En ce sens, le CHU de Grenoble prévoit de tester, à partir de janvier 2020, un système de capture des gaz halogénés à la sortie des conduits d’évacuation. Ce sera une première en France. 

Développé par la société britannique Sagetech, ce système consiste à capter les gaz rejetés dans des capsules en aluminium. Ils seront ensuite purifiés, pour être à nouveau distribués, ou détruits. « Il reste à trouver le modèle économique pour rendre cette approche viable à long terme », a commenté le Pr Albaladejo.

Au Canada, un système similaire de recyclage a été mis en place dans certains établissements de santé. Des services de collecte des gaz anesthésiques permettent de capturer, retraiter et revendre les gaz à coût réduit pour des hôpitaux partenaires. Dans un bloc opératoire de 21 salles, un système de récupération a ainsi permis d’économiser sur cinq ans les émissions annuelles moyennes de 205 automobiles [2].

Le dispositif est toutefois couteux, ce qui pourrait représenter un frein. « Les compagnies qui commercialisent les gaz halogénés doivent s’impliquer et investir dans cette démarche », estime le Pr Albaladejo.

Prise de conscience surtout des plus jeunes

Cette nouvelle dynamique s’explique aussi par un changement évident de mentalités. « Il y a cinq ans, la pollution par les gaz anesthésiant avait tendance à laisser indifférent ou a susciter de l’hostilité par crainte de voir les pratiques modifiées », précise l’anesthésiste.

« En quelques années, le personnel hospitalier s’est montré davantage motivé à adopter des comportements plus respectueux de l’environnement », surtout les plus jeunes qui mettent plus facilement la pression en arrivant dans les services pour ne pas reproduire certaines pratiques polluantes, ajoute-t-il.

« La question du développement durable et de l’empreinte carbone de nos activités est désormais très présente. Les réunions organisées sur ce sujet ont beaucoup de succès, grâce aux jeunes, toujours très présents. Il y a bien une prise de conscience générale. »

Il reste toutefois beaucoup à faire en milieu hospitalier, source majeure de déchets. « Il faut espérer que l’ensemble des personnels hospitaliers et administratifs se sente davantage concerné par ces questions du cycle de vie des produits de santé et de leur empreinte carbone. Cette réflexion doit désormais s’inscrire dans nos principes. »

Le potentiel de réchauffement global des gaz anesthésiants

L’impact d’un gaz à effet de serre sur le climat est estimé par son potentiel de réchauffement global (PRG), c’est-à-dire le rapport entre l’impact d’un kilogramme (Kg) de gaz et celui d’un Kg de CO2 sur 100 ans (PRG100). Pour le desflurane, le plus polluant des gaz anesthésiants, le PRG100 est de 2 540. Autrement dit, son pouvoir de réchauffement climatique est 2 500 fois plus élevé sur une période d’un siècle, que celui du dioxyde de carbone, quand le méthane est « seulement » 25 fois plus puissant.

Pour le sevoflurane, le PRG est de 130 quand il est de 298 pour le protoxyde d’azote. Ce dernier a aussi la durée de vie atmosphérique la plus longue, avec 114 ans, contre respectivement 14 ans et 1,1 an pour le desflurane et le sevoflurane [3].

 

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