Paris, France-- Quelle est la conduite à tenir devant une urticaire chronique spontanée (UCS) ?
Face aux avancées dans le domaine et à l’ancienneté des recommandations françaises – qui dataient de 2003 [1] –, la Société Française de Dermatologie (SFD) a édité de nouvelles recommandations thérapeutiques. Elles ont été présentées lors des Journées Dermatologiques de Paris 2019 (JDP) par le Pr Annabel Maruani, dermatologue au CHRU de Tours et Présidente du groupe de travail [2].
« Depuis 2003, il y a eu quelques nouveaux médicaments et de nombreuses études sur les médicaments déjà en place et les nouvelles stratégies thérapeutiques. Il fallait donc mettre les recommandations à jour. Par ailleurs, les recommandations européennes, plus récentes, ont une méthodologie différente de la nôtre et n’explorent pas certains thèmes comme celui des enfants ou des régimes alimentaires. Nous avons souhaité aborder ces points », a expliqué l’oratrice.

L’urticaire se manifeste cliniquement par une éruption papuleuse, érythémateuse, prurigineuse et fugace qui démange. Elle peut être superficielle (œdème dermique superficiel) ou, plus rarement, profonde (angio-œdème dermo-hypodermique).
Environ la moitié des urticaires, toutes formes confondues, se présentent sous la forme d’urticaires superficielles isolées, 40 % sont associées à des angio-œdèmes (AO) et 10 % sont sous forme d’AO isolés. L’urticaire disparaît sans laisser de cicatrice, ni de pigmentation résiduelle.
Dans un premier temps, le Pr Maruani a rappelé que l’urticaire est considérée comme chronique lorsqu’elle évolue par poussées quotidiennes ou quasi-quotidiennes depuis au moins 6 semaines.
Elle a souligné que l’urticaire chronique (UC) était beaucoup moins fréquente que l’urticaire aiguë.
« La prévalence de l’UC n’est pas précisément connue. Elle toucherait environ 1 personne sur 10 au cours de sa vie, plus fréquemment les femmes et principalement les moins de 40 ans. L’incidence de l’UC a été peu étudiée, mais elle est estimée à environ 1,9 % personnes-année. Chez l’enfant, elle semble plus rare, mais les données épidémiologiques sont peu nombreuses », a précisé la dermatologue.
Les UC sont classées en 2 catégories, selon qu’elles sont « inductibles » (UCI) c’est-à-dire provoquées par un stimulus externe reproductible au contact de la peau (friction, effort, pression, froid, rayonnement solaire, chaleur, vibrations etc.), ou « spontanées » (UCS), sans cause connue. L’UCS dure entre 1 et 4 ans en moyenne, que le traitement soit poursuivi ou non, mais un certain nombre de patients ont encore des symptômes après dix ans d’évolution.
Quels traitements sont aujourd’hui proposés ?
L’objectif du traitement est de supprimer les symptômes et d’améliorer la qualité de vie des malades.
À ce jour en France, seules 2 classes thérapeutiques ont une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’UCS :
-Les antihistaminiques anti-H1 (anti-H1) à dose conventionnelle (une prise par jour), dont certains ont également une autorisation de mise sur le marché (AMM) chez l’enfant.
-L'omalizumab, un anticorps monoclonal humanisé se fixant sur les IgE sériques (nouvelle classe pharmaco-thérapeutique dans le traitement de l’asthme), qui a une autorisation en adjonction d’anti-H1, chez l’adulte et l’adolescent à partir de 12 ans insuffisamment répondeurs aux anti-H1.
Par ailleurs, il existe d’autres molécules utilisées hors AMM (ciclosporine, méthotrexate, montélukast, anti-H1 à doses multiples…).
La synthèse des nouvelles recommandations
Les recommandations thérapeutiques de la SFD se sont appuyées sur l’analyse de 59 études prospectives de bonne qualité par huit médecins de spécialités différentes, connaisseurs de l’UCS. Ils étaient tous dépourvus de liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique.
Puis, 9 experts français de la maladie ont été interrogés. Lorsque leurs avis divergeaient des données de la littérature, cela a été stipulé dans la synthèse. Enfin, le document final a été relu et noté par un panel pluridisciplinaire d’une trentaine de praticiens de santé (dermatologues, immuno-allergologues, pédiatres etc.) et de 2 personnes atteintes de la maladie.
Il en ressort 10 points clés :
1) Les anti-H1 à la dose conventionnelle (1cp/j) sont efficaces et bien tolérés. Ils constituent ainsi le traitement de première intention de l’UCS. « Tous les antihistaminiques ne se valent pas. On utilise ceux de deuxième génération car ils sont moins sédatifs et un peu moins orexigènes », a commenté le Pr Maruani.
2) En seconde intention, le groupe de travail recommande d’augmenter les doses d’anti-H1 jusqu’à 2, 3, 4 doses. « Concernant ce point, la littérature et les experts divergent sur la façon d’augmenter les doses. La littérature recommande d’y aller par paliers alors que les experts suggèrent de quadrupler la dose directement puis de diminuer petit à petit », a expliqué l’oratrice.
3) Il n’a pas été montré que l’adjonction d’un anti-H2 à un anti-H1 soit efficace pour le traitement de l’UCS. Dans leur pratique, certains experts ajoutent un anti-H2 en cas de symptomatologie digestive associée.
4) L’adjonction de montélukast à un anti-H1 n’a pas prouvé d’efficacité non plus. Dans leur pratique, certains experts ajoutent un anti-H2 en cas de terrain atopique.
5) Les corticoïdes, souvent utilisés dans l’UCS, ne sont pas recommandés.
« Quand les personnes sont très gênées, il s’agit d’une prescription très classique. Les patients l’utilisent même en automédication. Pourtant, il n’existe pas d’études donc on ne peut pas les recommander et l’avis des experts sur ce point est similaire. Selon les experts, les corticoïdes pourraient rendre l’urticaire résistante et la pérenniser d’avantage », a insisté l’oratrice.
6) L’immunosuppresseur ciclosporine peut être utilisée dans le traitement de l’UCS réfractaire en adjonction aux anti-H1, en cas d’échec des anti-H1 à quadruple dose, si l’UCS est invalidante et en l’absence de contre-indication. Ce traitement n’a toutefois pas l’AMM dans cette indication.
7) L’omalizumab (anti-IgE) en adjonction aux anti-H1 est plus efficace qu’un placebo chez les patients adultes atteints d’UCS ayant une réponse insuffisante aux anti-H1 à doses variables. La dose d’AMM d’omalizumab est de 300 mg/4 semaines.
La majorité des experts privilégient l’omalizumab sur la ciclosporine, en association à une quadruple dose d’anti-H1 pour traiter les UCS résistantes aux anti-H1 seuls. « Mais, il est dommage que nous n’ayons pas de données comparatives entre ciclosporine et omalizumab », a déclaré le Pr Maruani.
8) Les données de la littérature ne permettent pas de recommander l’utilisation du méthotrexate, de l’hydroxychloroquine, de la dapsone, de la sulfazalazine, de la vitamine D en supplémentation systématique, de la miltéfosine et de la photothérapie NB-UVB.
9) Un régime d’éviction alimentaire systématique n’est pas recommandé dans l’UCS, car il ne s’agit pas d’une allergie alimentaire. « Il arrive qu’on préconise des régimes d’éviction systématique. On en trouve des listes entières sur internet. Or, sur les quelques études menées sur le sujet, aucune ne démontre un niveau de preuve suffisant pour dire que c’est efficace », a souligné l’intervenante.
10) Concernant les approches psychothérapeutiques, il n’y a pas de niveau de preuve suffisant pour recommander ces traitements à titre systématique dans l’UCS. « Dans l’absolu, on imagine que cela ne fait pas de mal d’accompagner les personnes mais sur les symptômes de l’urticaire, nous ne disposons pas de données », a précisé la dermatologue.
« Enfin, sur la population de l’enfant, il y a un manque de données. « Chez les moins de 12 ans, après les anti-H1et l’augmentation des anti-H1, on ne sait pas trop ce qu’il faut faire », a déploré le Pr Maruani.
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Citer cet article: Urticaire chronique spontanée : nouvelles recommandations françaises - Medscape - 6 déc 2019.
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