France – A Sainte-Pazanne, près de Nantes, l’étude épidémiologique menée depuis mars par Santé publique France sur des cas groupés de cancers pédiatriques dans le secteur de Sainte-Pazanne (Loire-Atlantique), n’a pas permis d’identifier une cause commune, a annoncé l’Agence régionale de Santé (ARS) des Pays de la Loire [1]. Ici comme ailleurs, les enquêtes épidémiologiques visant à retrouver les causes d’un nombre anormalement élevé de cancers ou d’autres types d’anomalies pédiatriques font systématiquement chou blanc, entrainant incompréhension et colère dans la population. Medscape France a interrogé l'épidémiologiste Catherine Hill pour savoir pourquoi ces enquêtes sont quasiment toujours vouées à l’échec.
Affaires classées
L'Agence Régionale de Santé (ARS) de Bourgogne Franche-Comté a ouvert le 15 novembre dernier une enquête épidémiologique pour trouver la cause d’un nombre anormalement élevé de cancers touchant des enfants de 5 communes du Haut-Jura. Un mois auparavant une enquête similaire a été ouverte dans l’Eure pour les mêmes raisons : des cas de cancer affectant des enfants dans un périmètre restreint. Neuf enfants atteints de cancers dans deux communes voisines qui ne comptent que 6 000 habitants à elles deux. Au même moment, l'ARS Pays de la Loire et Santé Publique France (SPF) ont rendu leur conclusion sur une enquête menée depuis mars 2019 à Sainte-Pazanne, une commune de Loire-Atlantique (44) et aux alentours : il n'y aurait pas de cause commune aux 20 cas de cancer pédiatrique recensés dans la région depuis 2015 (dont 4 décès). L'enquête est désormais officiellement terminée. Cette décision suscite la colère des familles qui ont organisé des cagnottes pour financer la poursuite des études. Pourquoi ces enquêtes locales ne permettent-elles pas d’identifier une ou des causes communes ?
Lors des expertises épidémiologiques, l'ARS et Santé Publique France (SPF) analysent précisément chaque cas, notamment à l'aide de questionnaires envoyés aux familles, et recherchent d’éventuelles expositions environnementales.
« Ces études locales avec une vingtaine de cas, qui sont en général une collection de cancers de types différents, n'ont pas de sens. Elles ne permettent pas de mettre en évidence une cause car il est extraordinairement improbable de découvrir une cause unique à un mélange de leucémies, lymphomes, tumeurs cérébrales et autres tumeurs solides. Et au final, les gens sont furieux. C'est contre-productif » s'agace la spécialiste de l'étude de la fréquence des cancers.
Avant de rappeler, « l'incidence du cancer de l'enfant est relativement stable dans le temps et dans l'espace. Cela n'encourage pas à rechercher une cause environnementale. La plupart de ces cancers ont plus probablement des causes endogènes ; on n'y peut rien en l’état actuel des connaissances, ce qui est évidemment très triste ».
Conséquence de l'«affaire des bébés sans bras »
Pourquoi ouvrir une enquête sans avertir que sa conclusion risque d'être aussi prévisible que décevante pour les familles ? Pour Catherine Hill, il s'agit d'une conséquence de l' « affaire des bébés sans bras ».
En automne 2018, est révélée à la télévision l'existence dans l'Ain (01) d'un nombre élevé de bébés nés avec un type particulier de malformation des membres supérieurs, à savoir des agénésies transverses. L’existence de ce cluster a été infirmée, mais d’autres clusters ont été identifiés.
Ces cas, rendus publics non pas par les autorités de santé, mais par les médias, ont suscité troubles et indignations, ce qui a poussé à l'ouverture d'investigations menées par SPF.
Aujourd'hui, les autorités de santé semblent pécher par excès inverse.
Concernant les différents foyers de cas de cancers pédiatriques, Catherine Hill considère que « si on a un cluster, il ne faut pas le cacher mais il faut expliquer qu'on ne trouvera pas les causes avec si peu de cas », et d’ajouter : « parfois il y a des agrégations de cas liés au hasard statistique et c'est, en effet, très difficile à gérer. »
Cluster ou hasard statistique ?
Qu'est-ce qu'un cluster de cancers pédiatriques ? C'est une occurrence de cancers pédiatriques plus élevée que la normale dans une population vivant dans un périmètre géographique donné et dans une période de temps donnée.
« Pour démontrer l'existence d'un cluster, il faut réaliser un balayage des données du registre national ce qui permet de mettre en évidence, dans une zone géographique et une période temps définis, un nombre élevé de cas qui serait très improbable sous le seul effet du hasard » indique Catherine Hill qui regrette que l'enquête ait été seulement menée localement.
« Pour écarter l'hypothèse du hasard statistique, il faut aussi se demander si la concentration de cas existait déjà avant et existera après, car alors il faudrait vraiment s'inquiéter » ajoute-t-elle.
Il manque un signal spécifique
Une fois l'existence d'un cluster démontrée, il est tentant de chercher à identifier une cause à cette agrégation de cas. Là encore, Catherine Hill pointe des faiblesses méthodologiques : l'absence d'enquête sur le territoire national et l'absence d'hypothèse initiale sur l'exposition suspectée.
Si on veut chercher à identifier une cause de tumeurs cérébrales, ou de leucémies chez les enfants, elle explique qu'il n’est pas raisonnable de restreindre l’étude à quelques cas observés dans une petite zone géographique, il faut étudier l’ensemble de la population française ou même l’ensemble des données disponibles en Europe.
Elle explique aussi que pour trouver identifier une nouvelle cause, il faut un signal très spécifique. Par exemple, en 1971, à Boston (Etats-Unis), c'est la découverte d'un cancer du vagin, un adénocarcinome à cellules claires, chez huit jeunes filles qui a alerté un clinicien. Ce dernier a découvert que sept de leurs mères avaient pris un œstrogène de synthèse, le diéthylstilbestrol (DES), au cours de leur grossesse. Le DES, c'est le distilbène, à l'origine d'un grand scandale sanitaire resté dans les mémoires.
Le collectif Stop aux Cancers de nos Enfants lance une cagnotte pour financer les recherches
A Sainte-Pazanne, on ne compte pas en rester là. Très déçu des résultats de l’enquête, le collectif Stop aux Cancers de nos Enfants (créé en février 2019 par Marie Thibaud et Johann Pailloux pour tenter de comprendre pourquoi 17 enfants du secteur ont déclaré un cancer), a bien l’intention de continuer les recherches. « En quelques mois, nous nous sommes rendus compte que la recherche des causes environnementales de ces cancers est inexistante en France. Ni chronicité, ni effet cocktail (addition de plusieurs éléments de l'environnement) ne sont étudiés aujourd'hui. Quand les autorités sanitaires montrent leurs limites, c'est donc aux citoyens de prendre le relais et de faire bouger les lignes » affirment-ils pour justifier leur démarche.
En réponse à l’arrêt de l’enquête, ils lancent une collecte. « L'argent récolté servira à financer des analyses de l'environnement (eau, sol, air, champs électromagnétiques, radon...) et des enfants (présence d'éléments organiques (pesticides, perturbateurs endocriniens...) et inorganiques (métaux lourds)). Cela permettra aussi de financer toutes les démarches qui nous permettront de poursuivre les recherches » expliquent-ils.
Ils sont aujourd'hui entourés d'une trentaine de personnes, parmi lesquels scientifiques, médecin, techniciens et autres. De plus, le collectif bénéficie de très nombreux soutiens à travers la France au sein de la communauté scientifique et des professionnels qui « apportent leurs compétences et leur savoir-faire ». SL
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Citer cet article: Cas groupés de cancers pédiatriques en Loire-Atlantique : échec de l'enquête épidémiologique - Medscape - 5 déc 2019.
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