Violences conjugales : les professionnels de santé lancent un appel à la mobilisation

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

4 décembre 2019

France — Les violences conjugales touchent des femmes de tous âges, de toutes catégories socioprofessionnelles et de toutes cultures, avec des conséquences graves non seulement sur la santé des femmes mais aussi sur celle de leurs enfants. Les Autorités ont pris le sujet à bras le corps dans le cadre d’un Grenelle dont la conclusion a été rendue ce 25 novembre (voir encadré) [1].

Les professionnels de santé sont en première ligne pour repérer ces violences : 3 à 4 femmes sur 10 présentes dans les salles d’attente des médecins seraient potentiellement victimes de violences conjugales en tout genre [2]; et 1 victime sur 5 a consulté en premier lieu un médecin à la suite d’un incident [3]. Les médecins se sont eux aussi mobilisés, en s’exprimant sur la pertinence du secret médical dans ce contexte particulier ou en exigeant la prise en compte de l’alcool comme facteur causal.

D’autres encore revendiquent un rôle actif dans le repérage des violences et l’accompagnement des victimes. Ils l’ont fait savoir dans une tribune qui, une fois n’est pas coutume, est accueillie, non par un média, mais sur le site de la Haute Autorité de Santé [4]– qui a d’ailleurs publié récemment deux fiches pratiques, l'une pour savoir comment repérer les femmes victimes, l'autre pour savoir comment agir. Au sein du collectif « Mettre à mal la violence, les professionnels de santé s'engagent », les signataires de la tribune décident d’« ouvrir les yeux, de réagir et de [s’] engager activement contre les violences faites aux femmes ».

Voici leur prise de position, telle qu’on peut la lire sur le site de la HAS [4] :

« Avez-vous des antécédents médicaux ? Du diabète ? De l’hypertension ? Suivez-vous une contraception ? Y a-t-il eu des cancers dans votre famille ? ... » Nous vous posons systématiquement ces questions lors d’une première consultation et elles sont naturellement admises. Mais d’autres restent moins évidentes, pour nous, professionnels ou pour vous, qui les recevez : « Comment ça va à la maison ? Avez-vous déjà vécu des moments difficiles ? ». Ces questions sont pourtant essentielles.

Aujourd’hui, la société prend pleinement conscience des violences envers les femmes, notamment au sein du couple. Chaque jour des drames sont révélés, des femmes osent parler, des citoyens témoignent, les médias relatent et analysent les faits, les associations d’aide aux victimes se mobilisent. Les politiques ont fait du sujet une priorité.

 
Repérer les violences, c’est briser la chaîne du silence.
 

Et nous, professionnels de santé, que faisons-nous face à l’insupportable ? Sur 10 femmes présentes dans nos salles d’attente, 3 à 4 sont potentiellement victimes de violences conjugales. Ces drames touchent tous les milieux socio-professionnels, toutes les cultures. Nous avons tous, parmi nos patients, des victimes récentes ou anciennes qui ont besoin de nous. Des femmes le plus souvent, des hommes parfois.

Or nous craignons, en vous interrogeant, d’être intrusif, de perdre votre confiance, de ne pas savoir comment et vers qui vous orienter si besoin, de subir des conséquences judiciaires de notre action.

Et pourtant ! Nous sommes des acteurs de la société. Nous accueillons, soignons et protégeons les femmes, les hommes, les enfants. A ce titre, souvent, nous partageons leur histoire familiale. C’est ce qui aujourd’hui nous oblige.

Nous, professionnels de santé, décidons qu’il est temps d’ouvrir les yeux, de réagir et de nous engager activement contre les violences faites aux femmes. Qu’elles soient verbales, les plus banales, physiques, les plus connues, psychologiques, les plus insidieuses, sexuelles, les plus taboues, économiques, les plus méconnues.

Nous nous engageons à vous poser à chacune, avec respect et empathie, les questions qui vont permettre la parole, et ainsi l’action. Repérer les violences, c’est briser la chaîne du silence.

Nous nous engageons à acquérir la formation qui nous fait défaut, pour comprendre la violence et son emprise, apprendre à favoriser la libération de la parole, connaître les actions à déclencher en cas de danger grave, savoir rédiger des certificats médicaux, apprendre à ne pas agir seul.

 
Apprendre à ne pas agir seul.
 

Nous nous engageons à identifier les ressources disponibles, par exemple sur le site www.stop-violences-femmes.gouv.fr et sur le site de la Haute Autorité de santé qui a publié en octobre des recommandations sur le repérage des femmes victimes de violence  .

Nous nous engageons à construire le réseau qui nous permettra d’orienter au mieux les victimes : contacts dans les commissariats et les gendarmeries, interlocuteurs du secteur judiciaire, liste des structures sociales de proximité et des associations d’aide aux victimes. Nous nous engageons à échanger les informations utiles à la protection des victimes dans le respect du secret professionnel.

Nous pourrons ainsi accompagner les victimes à leur rythme, préserver leur santé et celle de leurs enfants, les protéger, les soigner. L’enjeu, en lien avec tous les autres acteurs de la société, est de leur permettre de retrouver leur place et leur dignité de citoyen. »

Collectif "Mettre à mal la violence, les professionnels de santé s’engagent".

Violences conjugales et levée du secret médical

Le gouvernement a lancé le 3 septembre dernier le premier Grenelle contre les violences conjugales, en écho au 39 19, le numéro d’écoute anonyme et gratuit destiné aux femmes victimes de violence, à leur entourage, aux témoins ainsi qu’aux professionnels concernés. Cette mobilisation inédite s’est clôturée le 25 novembre dernier sous la forme de 30 mesures pour prévenir les violences et protéger les femmes et leurs enfants, partout et à tout moment [4].

L’une d’entre elles, la mesure 6, prévoit que les professionnels de santé pourront lever le secret médical en cas de danger immédiat pour la victime, une évolution travaillée en concertation avec le Conseil national de l’Ordre des médecins.  « Le secret professionnel constitue l’un des fondamentaux de l’exercice médical et garantit la nécessaire relation de confiance entre un professionnel et un patient », a rappelé le premier ministre, ajoutant « ce principe qui prévoit des exceptions en nombre très réduit, nous devons évidemment le préserver, le respecter ». Toutefois, dans des situations bien définies, la déontologie médicale exige de déroger au secret professionnel. Le code pénal prévoit ainsi ces dérogations pour les mineurs ou les majeurs considérés vulnérables victimes de violences. Néanmoins, seulement 5% des alertes de mise en danger d’une personne pour violences conjugales sont données par des professionnels de santé. Face à ce constat, « quand il y a un risque sérieux de renouvellement des violences, quand cela peut sauver des vies, nous pouvons offrir aux médecins de briser le secret médical, afin de ne pas fermer les yeux en gardant pour soi une alerte pouvant éviter un drame » a précisé Edouard Philippe. Déroger au secret médical en signalant l’existence d’un danger immédiat pour la victime « sera possible-mais non obligatoire ».

 

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