Strasbourg, France — On parle de plus en plus de « médecine intégrative », une journée y a même été consacrée à l’Académie de médecine le 25 septembre dernier à l’initiative du réseau associatif C2DS. De quoi s’agit-il vraiment ? D’une association des médecines conventionnelles et complémentaires, chacune dans ce qu’elles ont de meilleur, et ce dans une approche scientifique validée, centrée sur le patient avec une vision pluridisciplinaire. Ce concept en plein développement dans de nombreux pays du monde – la France n’étant pas la plus en avance – est né aux Etats-Unis, où plus de trente universités de médecine revendiquent d’appartenir à la médecine intégrative (voir encadré). Certaines spécialités médicales ont déjà intégré les thérapies complémentaires à leur pratique, c’est notamment le cas des soins de support en oncologie, certains praticiens s’en revendiquent et les patients sont de plus en plus nombreux à se tourner vers elles.

Pr Jacques Kopferschmitt
Crédit C2DS
Nous avons demandé au Pr Jacques Kopferschmitt, professeur de thérapeutique, chargé de mission sur les thérapies complémentaires aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, de nous expliquer ce concept et de définir les conditions à une meilleure reconnaissance de la médecine intégrative en France.
Medscape édition française : Comment peut-on définir la médecine intégrative ?
Pr Jacques Kopferschmitt : pour moi, la médecine intégrative représente la conjonction du meilleur de la médecine occidentale et des thérapies complémentaires, dans une approche où l’une n’exclut pas l’autre. On pourrait aussi parler de médecine avec des adjuvants, qui tiendrait compte des résultats brillants de la médecine moderne mais aussi de ses lacunes. Ici, les thérapies complémentaires sont vues comme une approche qui regroupe les méthodes de gestion du stress et d’intervention sur le corps et l’esprit comme la kinésithérapie, la nutrition, le mouvement et le sport, mais aussi l’acupuncture, la phytothérapie, l’homéopathie, la méditation, la sophrologie, la phyto-aromathérapie...
Ces thérapies sont aussi un bel exemple de la mondialisation. On vit dans une société transculturelle où l’on voit bien qu’il existe d’autres formes de médecine qui fonctionnent très bien, avec des moyens différents. Pourquoi ne pas prendre le meilleur de la médecine moderne et faire des emprunts au meilleur des thérapies amérindiennes, orientales, africaines…
Medscape édition française : On entend souvent parler de « médecine holistique » ou de « médecines douces ». S’agit-il de la même chose, les termes ont-ils leur importance ?
Pr Jacques Kopferschmitt : Effectivement. On fait souvent l’erreur de confondre médecine intégrative avec « médecine holistique » qui sonne trop ésotérique, ou encore « médecine globale », ce que tout le monde fait. Quant aux termes médecine alternative et médecines douces, ils sont à évacuer.
Il ne faut pas se tromper sur les mots : ces médecines sont une aide supplémentaire, elles peuvent être utiles, mais nécessitent validation, et ne doivent pas être pratiquées n’importe comment.
Medscape édition française : Outre les soins de support, quelles sont les domaines de prédilection de la médecine intégrative ?
Pr Jacques Kopferschmitt : Les maladies chroniques (arthrose, hypertension…) sont clairement la cible privilégiée. L’autre domaine où les médecines intégratives ont toute leur place, c’est la prévention, car la médecine occidentale ne fait pas très bien. On pourrait imaginer prescrire les thérapies complémentaires comme on le fait pour l’activité physique ou la nutrition. Les pathologies aiguës n’ont, en revanche, pratiquement aucune indication de thérapies complémentaires et sont plus aptes à bénéficier des techniques et des traitements modernes.
Medscape édition française : Quel est votre parcours ? Comment en vient-on à promouvoir la médecine intégrative ?
Pr Jacques Kopferschmitt : Je suis au départ un pur produit de la culture médicale traditionnelle cartésienne. J’ai suivi une formation classique en médecine interne, complétée par une orientation en réanimation et médecine d’urgence. Mais après 30 années comme interniste et réanimateur médical, à la tête d’un grand pôle des Urgence et Réanimation, j’ai trouvé insuffisant le fonctionnement « hypertechno » et je me suis aperçu qu’il manquait beaucoup de choses – un point de vue qui n’est pas forcément partagé dans le monde médical. Alors, on se renseigne sur ce que font d’autres pour combler les lacunes, d’où mon orientation vers un pluralisme d’approches en santé. Et quand ma carrière aux Urgences s’est arrêtée, je me suis demandé s’il n’y avait pas une autre voie, notamment en fondant l’association des Thérapies complémentaires aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, où je coordonne l’introduction, l’enseignement et la recherche et en innovant par l’introduction des thérapies complémentaires au cours du cycle des études de Médecine.
Medscape édition française : Comment expliquer les réticences des médecins français vis-à-vis des thérapies complémentaires ?
Pr Jacques Kopferschmitt : Je vois essentiellement deux causes. La première, c’est un manque de connaissances sur le sujet. Souvent quand j’interroge un confrère en lui demandant son avis sur telle ou telle approche, il me répond : « comment veux-tu que je me positionne, je n’y connais rien ». La deuxième raison, c’est la peur de perdre l’autorité de sa discipline clinique.
A cela, je réponds : laissons tomber les couteaux d’agression et apprenons à se connaître.
Il est vrai, en revanche, qu’il y a un énorme besoin en termes de travaux validés et d’expertise. C’est quelque chose qui manque en France car nous n’avons pas de structure centralisée comme les équivalents publics nord-américains.
Précisons qu’un Observatoire national des thérapies complémentaires, diligenté par la Conférence des doyens, est en cours de constitution. Beaucoup de choses bougent dans le bon sens mais ça prend du temps, car on vient de loin.
Medscape édition française : Certaines réticences sont dues au danger supposé de ces thérapies pour le patient, qu’en est-il ?
Pr Jacques Kopferschmitt : Le danger ne vient pas tant des produits que de leur mauvais usage. Prenons l’exemple de l’aromathérapie. C’est une technique remarquable et extrêmement puissante mais qui, mal guidée, peut s’avérer dangereuse. L’autre danger, c’est la perte de chance pour le patient quand les gens naviguent au hasard. Typiquement, c’est lorsqu’un « praticien » non médecin ose un diagnostic alors qu’il n’en a pas les compétences.
S’il y avait un danger propre à une thérapie, il viendrait plus de la manipulation mentale lors des thérapies cognitivo-comportementale, dans le cas où on mettrait en position de soumission des individus fragiles, ou avec des psychopathologies en cours.
C’est d’ailleurs pourquoi les thérapies complémentaires devraient être une prescription médicale, et non en accès libre. Aux médecins donc, de s’informer pour pouvoir en être les prescripteurs, comme ils le font pour l’activité physique et la nutrition, dans une démarche, non pas de bien-être, mais de santé.
Medscape édition française : Comment s’y retrouver dans l’immense champ des thérapies complémentaires ? Comment être sûr d’envoyer son patient vers un praticien sérieux et compétent ?
Pr Jacques Kopferschmitt : Il faut faire la chasse aux charlatans, c’est certain. La faiblesse humaine est malheureusement un marché extrêmement lucratif. Par exemple, tout ce qui entre dans une démarche diagnostique relève de l’usurpation de l’exercice de médecin. Et l’exercice illégal de la médecine est dramatique.
Néanmoins, certaines disciplines se sont organisées en Sociétés savantes, c’est le cas de l’acupuncture, de l’homéopathie, et de l’hypnose, entre-autre. Elles ont rédigé des livres blancs qui donnent des critères de choix du praticien, ce qui déjà très positif.
Le choix des termes amène lui aussi de la confusion. On parle de professionnel de santé ou de praticien de santé, cela constitue un brouillage considérable pour le public. Il manque une plateforme d’information qui permettrait de savoir qui fait quoi et comment. C’est ce que nous essayons de faire au sein du Collège Universitaire de Médecines Intégratives et Complémentaires (Cumic) [présidé par le Pr Kopferschmitt].
Medscape édition française : N’y-a-t-il pas aussi un manque d’évaluation de ces pratiques ?
Pr Jacques Kopferschmitt : Effectivement. Il faut à la fois plus de recherche bien menée, avec beaucoup de rigueur – ce qui n’a pas toujours été le cas – et financée au niveau national. Par ailleurs, il faut mener ces études différemment. Le médicament relève du quantitatif, avec les médecines complémentaires, on est à la fois dans le quantitatif et le qualitatif. Il ne s’agit pas d’évaluer seulement l’efficacité mais l’efficience, afin de tenir compte du résultat clinique et de l’humanisme, ni de rejeter les études observationnelles.
Si on arrive à établir, sur des bases scientifiques, ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, et sur quels critères, alors le monde scientifique va suivre.
Medscape édition française : Ne faut-il pas aussi former et informer les médecins ?
Pr Jacques Kopferschmitt : Si. Il y a nécessité que les médecins qui sortent de l’université reçoivent la bonne information pendant le deuxième cycle des études médicales. Cela doit faire partie de leur enseignement, pas forcément de façon massive mais assez pour être capable de répondre à n’importe quel patient et si l’on ne sait pas, ne pas dire comme c’est souvent le cas aujourd’hui : « je ne sais pas, donc ce n’est pas bon », mais être capable d’orienter le patient vers la bonne information.
Il y a beaucoup choses qui se font déjà, avec succès, et que l’on ne sait pas, comme par exemple, le fait que le Qi gong soit très utilisé dans les services de rééducation fonctionnelle en cardiologie ou en gériatrie.
Medscape édition française : Où en est la France avec la médecine intégrative ?
Dr Jacques Kopferschmitt : J’ai apprécié que l’Académie Nationale de Médecine s’y intéresse [en 2013, l’ANM a consacré un rapport aux thérapies complémentaires [1]], c’était encore impensable il y a quelques années. Aujourd’hui la conférence des Doyens se penche aussi sur le sujet.
Les médecins ne sont pas formés, et il faut aussi favoriser la formation et la recherche. Le moment est opportun, d’autant que la dynamique existe au niveau européen.
Medscape édition française : Justement, comment se situent nos voisins européens dans ce domaine ?
Dr Jacques Kopferschmitt : L’Allemagne utilise beaucoup plus les thérapies complémentaires que nous, notamment parce qu’ils ont moins de médecins. Et les résultats cliniques sur la population ne sont pas moins bons, au contraire. La Suisse est très en avance, le pays a réglementé les thérapies complémentaires, notamment dans la Suisse francophone où une bonne partie de ces traitements sont pris en charge et remboursé par l’Assurance maladie (faisant à suite à une votation en 2009), c’est assez révolutionnaire. Je travaille beaucoup avec eux, et avec les Allemands, car leur approche est singulière. L’Italie a aussi une vision assez proche et d’avant-garde. Les pays nordiques s’y mettent un peu, mais c’est moins prononcé chez eux. Quant à Angleterre, c’est le Brexit complet, ils ont chassé l’homéopathie après l’avoir adulée.
Medscape édition française : Comment convaincre un directeur d’hôpital de s’y intéresser ?
Dr Jacques Kopferschmitt : L’un des meilleurs arguments pour un directeur d’hôpital, c’est de réduire la durée de séjour à l’hôpital. C’est pour cela que l’introduction des thérapies complémentaires à l’hôpital est une démarche intelligente, car cela permet certainement de réduire les coûts. On peut aussi décider de prendre en compte les lacunes de la médecine conventionnelle et de les combler par des thérapies complémentaires pour des raisons d’efficience et du coût très élevé des médicaments dans certaines pathologies. On parle aussi beaucoup d’ambulatoire, mais cela ne peut se faire qu’avec les patients.
Medscape édition française : En quoi la médecine intégrative est une médecine d’avenir pour le patient, pour les professionnels de santé ?
Dr Jacques Kopferschmitt : Aujourd’hui, le patient s’autonomise, mais il a besoin d’être guidé dans son parcours de soins, et ce parcours doit être sécurisé. C’est d’autant plus vrai que la population est vieillissante.
Pour le soignant, les thérapies complémentaires sont très intéressantes car elles permettent une remise en question de l’exercice médical, quel qu’il soit.
Il y a aussi un bénéfice indirect pour les personnels hospitaliers : j’anime au CHU de Strasbourg un groupe d’informations autour des thérapies complémentaires, accessibles aux patients comme aux soignants, c’est une excellente façon de créer du lien au sein du personnel hospitalier.
Enfin, les Français ont été les pionniers de la clinique, c’est le moment ou jamais de la remettre en selle, en étant plus psychologue et plus attentif.
Les Etats-Unis, pionniers de la médecine intégrative
La médecine intégrative est née d’un groupe de médecins dans les années 90 qui ont fait leur cette maxime de Platon : « Que les thérapeutes séparent l’esprit du corps est une grande erreur de notre époque lors du traitement des êtres humains ».
Le texte présent sur le site de l’université Duke de Caroline du Nord explique que « la pratique de la médecine qui réaffirme l’importance de la relation médecin malade s’appelle désormais la médecine intégrative. Elle s’intéresse à la personne dans sa globalité, elle reste en contact avec les preuves et elle utilise toutes les approches thérapeutiques, les thérapeutes et les spécialités les plus appropriés pour accéder aux meilleurs soins pour une santé optimale ».
Aux Etats-Unis, le Duke Center for Integrative Medecine https://www.dukeintegrativemedicine.org, les cliniques du stress de Jon Kabat-Zin ont été les pionniers de cette approche. En France, on peut citer comme précurseurs le Dr David Servan-Schreiber, le Dr Thierry Janssen, le Dr Julien Nizard et le Collège Universitaire de Médecines Intégratives et Complémentaires (CUMIC).
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Citer cet article: Médecine intégrative, médecine d’avenir ? - Medscape - 2 déc 2019.
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