Paris, France — Lors du 113ème congrès de l’Association française d’urologie (AFU), une table ronde a fait le point sur les bénéfices apportés par une supplémentation en testostérone chez les hommes souffrant d’une hypoandrogénie[1]. Contrairement à ce qui est souvent avancé, ce traitement aurait même un effet protecteur sur le cancer de la prostate. L’AFU prépare de nouvelles recommandations sur la prise en charge du syndrome déficitaire en testostérone (SDT), prévues pour fin 2020.
« Les nouvelles données de la littérature montrent qu’il n’y a pas de risque accru de cancer de la prostate et confirment que la relation entre la prostate et la testostérone était mal comprise. On est beaucoup plus rassuré », a commenté auprès de Medscape édition française, le Pr Eric Huygue (CHU de Toulouse), qui participe à l’élaboration des prochaines recommandations.
« L’enjeu de ces futures recommandations est aussi de faire enfin reconnaitre un syndrome qui reste contesté », les praticiens étant souvent septiques sur l’intérêt d’un tel traitement, notamment par rapport au risque supposé de cancer de la prostate.
Risque de fracture ostéoporotique
Ces réticences sont avant tout liées à une méconnaissance du trouble et à une variabilité interindividuelle, qui empêche une approche standardisée, explique l'urologue. « Chez l’homme, au cours de la vie adulte, la testostérone diminue progressivement de 1% par an. Or, cette baisse varie d’un individu à l’autre. Pour certains, les symptômes liés à un déficit vont apparaitre tôt, parfois dès 40 ou 45 ans ».
Conséquence de ces variations, mais aussi du manque de connaissance sur ce trouble : le diagnostic du déficit en testostérone n’est pas toujours envisagé. Le dosage de l’hormone est surtout proposé aux hommes de plus de 50 ans consultant pour un trouble sexuel avec dysfonction érectile, s’accompagnant d’une baisse ou d’une perte de libido, signe majeur d’une chute de testostérone.
« Les futures recommandations visent à améliorer le diagnostic et à mettre en place le traitement », ajoute le Pr Huygue. « Peu de médecins abordent la question de la sexualité et de la perte du désir sexuel avec leurs patients. Il faut aussi envisager le possible impact d’une baisse de testostérone devant une fracture pathologique, une obésité ou encore un diabète de type 2. »
Peu connu, le risque de complication osseuse lié à la baisse du taux de testostérone est, en effet, non négligeable. Comme chez la femme, le déclin hormonal accompagnant le vieillissement chez l’homme favorise l’ostéoporose. « Près de 15% des hommes feront une fracture ostéoporotique après 50 ans, contre 40% chez la femme », a précisé le Pr Huygue, lors de la table ronde.
« Un tiers des fractures du fémur après 45 ans surviennent chez les hommes ». Avec des conséquences particulièrement délétères: « le taux de mortalité est deux à trois fois plus élevé chez les hommes après ce type de fracture, comparativement aux femmes ».
Cancer de la prostate plus agressif
Si les réticences à utiliser un traitement par testostérone sont encore très ancrées, c’est aussi en raison du risque supposé de favoriser le cancer de la prostate. « Un mythe très ancien », a rappelé lors de sa présentation, le Dr Jean-Pierre Graziana (Clinique mutualiste Porte de l’Orient, Lorient) qui évoque notamment une petite étude du milieu du XXème siècle, montrant une régression du cancer de la prostate après une castration.
La plupart des praticiens gardent aussi en tête qu’il faut réduire la testostérone pour traiter un cancer de la prostate métastasé. D’où l’idée qu’une faible testostérone est bénéfique. Pourtant, de récentes études ont montré l’inverse, une légère hausse de l’antigène PSA et une augmentation du volume prostatique étant rapportés en cas de testostérone très basse (moins de 2 ng/mL), a expliqué le chirurgien urologue.
On sait désormais que l’interaction entre la prostate et la testostérone s’appuie sur un modèle de saturation. « Une fois que tous les récepteurs sont saturés de testostérone en intraprostatique, il n’y a plus d’effet de la testostérone libre sur la prostate ». Ce seuil de saturation intraprostatique se situerait autour des 2 ng/mL de testostérone.
Concernant le risque de cancer de la prostate, « de nombreuses études montrent clairement qu’il n’y a pas de relation entre un niveau de testostérone élevé et le risque de développer un cancer de la prostate. Il semble même qu’un faible taux de testostérone peut exposer à un risque accru d’avoir un cancer plus agressif » [2].
« Il y a en ce moment beaucoup de découvertes étonnantes sur la relation entre la prostate et la testostérone, qui vont à l’encontre de ce qu’on pensait jusqu’à présent. On a ainsi observé que les hommes qui manquent de testostérone développent des cancers plus graves. Ils ont peut-être un plus mauvais pronostic que les autres », a confirmé le Pr Huygue.
Moins de récidive après prostatectomie
Peut-on, pour autant, traiter par testostérone des patients atteints d’un cancer de la prostate? Sur ce point, les données sont également rassurantes. « Il n’y a pas plus de risque de récidive biochimique chez les patients hypogonadiques traités pour un cancer de la prostate par radiothérapie ou curithérapie », souligne le Dr Graziana.
De récents travaux, présentés lors du dernier congrès de l’European Association Urology (EAU), ont même suggéré un effet protecteur de la testostérone sur la progression du cancer après une prostatectomie radicale, avec un taux de récidive biochimique réduit de plus de la moitié (10% chez les patients traités par testostérone, contre 23,5% dans le groupe non traité) [3].
Un bénéfice sur la progression de la maladie a également été suggéré dans le cadre d’une surveillance active chez des patients atteints d’un cancer à bas risque. « Les données sont limitées, mais il semble qu’une supplémentation hormonale [chez les patients présentant un déficit] limiterait le risque de progression du cancer prostatique ».
Selon les dernières recommandations de l’EAU, l’administration de testostérone peut être proposée en cas d’hypoandrogénie en respectant un délai minimum d’un an après le traitement initial (chirurgie, curiethérapie, radiothérapie) d’une tumeur à bas risque de récidive (tumeur localisée, PSA initial < 10, score de Gleason < 8).
Les prochaines recommandations de l’AFU devraient être similaires pour les patients atteints d’un cancer de la prostate, mais avec des délais variables selon le traitement, explique le Pr Huygue. « Dans le cas de la radiothérapie, la question du délai à respecter est plus complexe, car certains protocoles demandent de passer par une baisse de la testostérone. »
En revanche, en cas de cancer de la prostate localement avancé ou métastatique, la prise de testostérone n’est pas recommandée, du moins pas pour le moment, a précisé le Dr Graziana.
Par ailleurs, la prise de testostérone peut s’avérer bénéfique après un traitement du cancer de la prostate pour améliorer la vie sexuelle des patients, a souligné auprès de Medscape édition française, le Pr Huygue. « En cas de trouble sexuel après une prostatctetomie, on évoque toujours les conséquences de la chirurgie. On ne se pose jamais la question du déficit en testotérone. »
La supplémentation en testostérone en pratique
La grande majorité de la testostérone plasmatique circulante est liée à la protéine SHBG (Sex Hormone Binding Globulin), moins fréquemment à l’albumine. Seule 2% de la testostérone est libre. La testostérone totale englobe l’ensemble de ces fractions.
Pour diagnostiquer un déficit en testostérone, le dosage doit être effectué le matin à jeun, puis répété dans un délai d’une semaine en cas de testostérone totale ≤ 12 nmol/L (3,46 ng/mL), selon les dernières recommandations de l’International Society of Sexual Medicine (ISSM)[4]. Avec une la testostérone totale ≤ 12 nmo/L (2,3 ng/mL), le déficit est établi.
En raison d’un risque d’altération de la fertilité, le traitement substitutif n’est pas recommandé chez l’homme ayant un projet de procréation. Il peut être envisagé après un accident cardiovasculaire à condition de respecter un délai de 3 à 6 mois. Les effets du traitement sur les symptômes doivent être régulièrement évalués (à 3, 6 et 12 mois, puis tous les ans).
Plusieurs traitements sont disponibles sur le marché:
par voie orale: traitement substitutif remboursé, le Pantestone® (undécanoate de testostérone) s’administre à raison de deux à quatre comprimés par jour pendant les repas. Il a cependant l’inconvénient majeur de nécessiter un apport riche en graisse pour une absorption optimale;
par voie transcutanée: les gels à base de testostérone, non remboursés, (Androgel® et Fortigel®) s’appliquent quotidiennement. L’utilisateur doit rester vigilant pour éviter un transfert possible vers les femmes ou les enfants en cas de contact avec le site après application;
par voie injectable: l’Androtardyl® (enanthate de testostérone), forme injectable remboursé, s’utilise en intramusculaire une fois par mois. Le Nebido® (undécanoate de testostérone), dont le profil de biodisponibilité est plus intéressant, mais n’est pas remboursé, s’administre seulement une fois par trimestre.
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Citer cet article: Déficit en testostérone : de nouvelles recommandations en vue - Medscape - 27 nov 2019.
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