France--Le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) vient de rendre un nouvel avis sur la santé mentale des détenus, qui dresse un constat accablant de leur prise en charge[1].
Tout comme, dernièrement, l'organisation mondiale de la santé (OMS) qui a pointé du doigt, dans un rapport, la condition sanitaire déplorable des détenus en Europe, notamment en France, en ce qui concerne leur santé mentale.
Le CGLPL et des ONG, notamment l'observatoire international des prisons, mais aussi Human Right watch, ont déjà, par le passé tiré la sonnette d'alarme sur la thématique de la santé mentale des détenus dans de nombreux rapports[2,3,4,5,6].
On peut donc dire que ce rapport du CGLPL n'invente rien. Mais, il a le mérite de synthétiser en quelques pages les différents aspects qui pêchent, dans la prise en charge de la santé mentale des détenus.
8 détenus masculins sur 10 souffrent d'au moins un trouble psychiatrique
Dans un premier temps le CGLPL rappelle la forte prévalence des pathologies mentales chez les personnes détenues : « huit détenus masculins sur dix souffrent d'au moins un trouble psychiatrique et parmi eux, 24% d'un trouble psychotique ». En juillet dernier, la garde des sceaux et la ministre des affaires sociales et de la santé ont d'ailleurs décidé de mieux évaluer la santé mentale des détenus et de lancer une étude épidémiologique.
Le CGLPL constate que de nombreux malades mentaux se retrouvent en prison de manière tout à fait inopportune : manque d'expertise psychiatrique, crise profonde de l'expertise psychiatrique, réduction de peine en cas de troubles psychiatriques et non suspension de peine... Aussi, une fois détenus, les malades mentaux ne sont pas pour autant repérés, par manque de formation du personnel de surveillance.
Quels moyens ?
En détention, les moyens pour garantir l'accès aux soins sont insuffisants. Il s'agit de :
l’ambulatoire, dans les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP);
l’hospitalisation de jour dans les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) et certaines USMP;
l’hospitalisation complète.
En ambulatoire, l'accès aux soins est très inégal, selon que la personne détenue est affectée ou non dans un établissement disposant d'un SMPR. Idem pour les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), au nombre de 9 sur tout le territoire. Dans les établissements pénitentiaires, la prise en charge est inadaptée. Le CGLPL cite le cas emblématique du centre pénitentiaire de Château Thierry (Aisne), qui a vocation à accueillir des personnes « condamnées présentant des troubles du comportement rendant difficile leur intégration à un régime de détention classique, mais ne relevant ni d'une prise en charge par un SMPR, ni d'une hospitalisation en soins psychiatrique sans consentement, ni d'une UHSA ». Le CGLPL y a constaté de graves atteintes aux droits des personnes détenues, notamment du fait de l'administration de traitements médicaux lourds. « Plusieurs personnes n'acceptaient de se soumettre à de tels traitements qu'en raison de leur crainte de subir des injections forcées ». Pour Adeline Hazan, il apparait plus approprié de « développer les structures hospitalières sécurisées que de créer des maisons médicalisées ».
Menottage systématique, contention, isolement
Le CGLPL pointe aussi du doigt la pratique qui consiste à entraver un prisonnier qui nécessite des soins en milieu hospitalier : « les personnes détenues hospitalisées sous ce régime sont presque systématiquement placées en chambre d’isolement et quelquefois sous contention, même si leur état clinique ne le justifie pas, pendant toute la durée de leur séjour ». Et de demander que de mettre un terme au « menottage systématique des personnes pendant leur transport d'un établissement à un autre et leur placement systématique à l'isolement ». De manière globale, pour le CGLPL, il faut mettre un terme aux atteintes aux droits fondamentaux des personnes détenues, et parvenir enfin à « l'égalité réelle dans l'accès aux soins des personnes détenues ».
La réponse de la garde des sceaux
Nicole Belloubet, garde des sceaux, dans un courrier annexé au rapport, répond aux griefs du CGLPL. Elle rappelle dans un premier temps que deux études sur la prévalence des troubles mentaux débuteront en début d'année en 2020. Elle reconnait des « difficultés liées au diagnostic des pathologies psychiatriques avant le prononcé de la peine » mais rappelle aussi que les « dispositions législatives ont récemment évolué pour tenir compte de l'abolition ou de l'altération du jugement ». Sur la crise de l'expertise psychiatrique, Nicole Belloubet affirme qu'un groupe de travail interministériel travaille sur la question. De la même manière, la garde des sceaux convient que la formation à la santé mentale des personnels de surveillance est une priorité, et que la « feuille de route santé prévoit ainsi l'élaboration de sessions de formation et de sensibilisation des personnels pénitentiaires par les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) ».
La ministre de la justice affirme également que la feuille de route santé prévoit un accroissement de l'offre d'hospitalisation de jour. Par ailleurs, la loi du 23 mars 2019 doit faciliter les suspensions de peine pour raisons médicales. Sur l'usage abusif de la contention sur les patients détenus hospitalisés, « un groupe de travail, piloté par la DGOS relatif aux droits des patients, qui se réunira en 2020, aura pour mission de travailler sur les problématiques liées au menottage, à la contention et à l'isolement des patients détenus ».
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Citer cet article: Santé mentale des personnes détenues : un constat accablant - Medscape - 26 nov 2019.
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