Paris, France — Va-t-on sauver l’hôpital public ? Après 8 mois de grèves et suite à la forte mobilisation des hospitaliers jeudi dernier dans toute la France, Agnès Buzyn et Edouard Philippe ont dévoilé, ce matin, un plan d’urgence pour l’hôpital public avec à la clé 1,5 milliards d’euros sur trois ans.[1]
« Les nécessaires mesures structurantes ont été prises avec la stratégie "Ma santé 2022' […]. Mais, la situation de l’hôpital implique que nous apportions des solutions supplémentaires pour répondre aux problématiques qui ne peuvent pas attendre », a indiqué la ministre de la santé.
Le nouveau plan d’urgence repose sur 3 objectifs :
redonner envie de s’engager à l’hôpital public et d’y construire une carrière ;
lutter contre la bureaucratie dans les hôpitaux ;
dégager des moyens supplémentaires, immédiatement et dans la durée.
Ces objectifs sont-ils accompagnés de mesures concrètes répondant aux demandes exprimées par les différents collectifs et syndicats de soignants depuis des mois ? Analyse point par point.
Augmentation du budget hospitalier ?
Alors que l’ONDAM hospitalier devait être augmenté de 2,1 % pour 2020, les différents collectifs et syndicats ont fait la demande d’une augmentation d’au moins 4 %.
Moins gourmands, les représentants des directeurs et des médecins des hôpitaux publics ont demandé fin octobre, une hausse des dépenses hospitalières de 2,4 % « a minima » en 2020, au lieu des 2,1 % prévus, soit au moins 250 millions d’euros de crédits supplémentaires.
Au final, le plan d’urgence prévoit un ONDAM à 2,45 % en 2020 et 2,4% en 2021 et 2022, soit respectivement 300 millions, 500 et 700 millions d’euros supplémentaires par an et donc 1,5 milliard d’euros supplémentaires entre 2020 et 2022.
En outre, les tarifs hospitaliers ne baisseront pas ou seront en hausse jusqu’à la fin du quinquennat (après la première campagne en hausse exceptionnelle de 2019, interrompant 10 années de baisse). « L’objectif est d’augmenter chaque année les tarifs d’au moins 0,2 % et de faire encore mieux quand ce sera possible grâce à une meilleure pertinence des soins », indique le gouvernement.
Aussi, sur les 3 prochaines années, 150 millions d’euros annuels seront alloués à l’investissement courant pour répondre au besoin d’investissement quotidien (achat de matériel, rénovation). « Ces investissements devront être majoritairement à la main des chefs de service », indique le ministère de la santé.
Enfin, les 400 millions d'euros de crédits gelés en début d'année seront débloqués dans les prochains jours.
Reprise de la dette des hôpitaux ?
Autre question fortement débattue ces derniers jours, celle d’une reprise totale ou partielle de la dette des hôpitaux (environ 30 milliards d’euros) par l’Etat.
Il ressort du nouveau plan que l’allègement de la dette entre 2020 et 2022 devrait atteindre 10 milliards d’euros, soit un tiers de la dette.
« Pour que les communautés hospitalières puissent se concentrer sur leur métier, le soin, au lieu de s’épuiser à rembourser des emprunts, nous lancerons dès 2020, un programme massif de reprise de dettes des hôpitaux de 10 milliards d’euros sur 3 ans », a indiqué le premier ministre en conférence de presse.
Augmentation des salaires ?
La revalorisation des salaires des hospitaliers aura-t-elle lieu ? Le gouvernement n’a pas accédé à la demande d’augmentation générale de 300 euros.
Toutefois, pour tenter d’endiguer la fuite du personnel de l’hôpital public vers le privé ou d’autres carrières, il a décidé d’accorder des primes, en particulier aux soignants ayant des bas salaires et à ceux travaillant dans des conditions difficiles.
Les étudiants soignants non-médecins pourront désormais bénéficier du contrat d’engagement de service public (CESP) assorti d’une indemnité mensuelle de 750 euros . Le CESP consiste à verser aux étudiants une prime mensuelle pendant la durée de leurs études en contrepartie d’un engagement d’exercer à l’issue de leurs études dans une zone caractérisée par une difficulté d’accès aux soins. (Mise en œuvre au 1er trimestre 2020 de 300 premiers CESP paramédicaux)
En parallèle, la prime d’engagement dans la carrière hospitalière (PECH) qui consiste à inciter les médecins, en fin de formation, mais pas uniquement, à faire le choix de s’engager dans une carrière hospitalière publique plutôt que d’un autre mode d’exercice sera étendue aux non-médecins . Les deux niveaux initiaux seront de 10 000 euros et 15 000 euros. La mise en œuvre de cette mesure est prévue au 1er trimestre 2020 avec un objectif de 5 000 signataires/an.
Cette même prime PECH sera également « revalorisée » pour les médecins faisant augmenter les deux niveaux initiaux (10 000 et 20 000 euros) à 15 000 et 30 000 euros, soit 50 % de hausse. (Mise en œuvre au 1er trimestre 2020 avec un objectif de 1 500 signataires/an)
Pour les médecins toujours, le ministère a également annoncé une augmentation et un élargissement de la prime d'exercice territoriale (PET, quatre échelons de 250 à 1 000 euros brut mensuels). Cette prime est versée aux praticiens hospitaliers qui exercent une partie de leur activité hospitalière dans un ou plusieurs autres établissements que leur hôpital d’affectation pour participer à la mise en œuvre du projet médical partagé, à des actions de coopération ou de soutien à des équipes médicales en difficulté. (Mise en œuvre en 2020)
Autre mesure les concernant : la fusion des quatre premiers échelons du statut de praticien hospitalier et un accès accéléré à l'indemnité de service public exclusif (ISPE, 490 euros par mois pour un PH temps plein), « afin de gommer les effets de seuil avec le statut hospitalier-universitaire de chef de clinique ». (Mise en œuvre en 2020)
Du mieux aussi pour les aides-soignants concernant les perspectives de fin de carrière, avec la mise en place d’un grade de débouché en catégorie B qui pourra bénéficier à plus de 10 000 professionnels par an. En outre, la formation destinée à renforcer les connaissances et les besoins spécifiques de la prise en charge des personnes âgées exerçant en service de gériatrie sera plus accessible. Une prime de 100 euros mensuels nets sera mise en place pour les personnels formés, soit à terme 60 000 professionnels.
De surcroît, les hôpitaux disposeront d’enveloppes pour valoriser , selon des critères qu’ils auront eux-mêmes définis, l’engagement et l’investissement des personnels . Cela représentera en moyenne une prime annuelle d’environ 300 euros. Cette prime pourrait concerner à terme jusqu’à 600 000 personnels. « Cette prime n’obéira pas à des critères financiers, mais à des critères de qualité des soins et de prise en charge, au niveau de chaque service », précise le ministère. (Déploiement à compter de la fin du 1er trimestre 2020)
Enfin, pour faire face à l’accroissement du coût de la vie en région parisienne, une prime annuelle nette de 800 euros sera allouée aux 40 000 personnels hospitaliers travaillant à Paris, dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne et gagnant moins que le salaire médian (environ 1 950 euros net par mois). (Mise en œuvre au 1er janvier 2020/coût global 40 millions en 2020, 2021 et 2022)
Changement du mode de gouvernance de l’hôpital et du principe de la T2A ?
Sur ces points le gouvernement reconnait que : « l’hôpital public a connu des évolutions majeures dans son organisation, qui ont parfois donné aux équipes le sentiment d’une mise à l’écart de la décision et d’une perte de sens ».
Il promet donc que « le personnel soignant sera mieux intégré à la gouvernance des hôpitaux et que le management de proximité sera renforcé et valorisé » :
Le directeur et le président de la commission médicale d’établissement décideront et nommeront conjointement sur tous les domaines de compétence partagés : projet médical, projets de pôles cliniques et médicotechniques, nominations des chefs de service et de pôle;
Les présidents des Commissions médicales de groupement piloteront les projets médicaux des Groupements hospitaliers de territoire (GHT);
L’entretien individuel au sein de la communauté médicale sera systématisé;
Les projets de service seront réhabilités;
Les bonnes pratiques de management seront promues : formations à l’animation d’équipes et élaboration de chartes ou de projets d’équipes;
La fonction de management sera (re)valorisée : présidents de CME, chefs de pôles, cadres supérieurs, cadres de santé et chefs de service;
Les postes de chefs d’établissements seront ouverts aux médecins.
Mise en œuvre à partir de 2020.
Pour conclure, le gouvernement a souligné que l’ensemble des engagements financiers devrait permettre de mener à bien les transformations induites par Ma Santé 2022 et notamment de faire aboutir la sortie du « tout T2A ».
Lancement d’une mission sur la gouvernance et la simplification des hôpitaux
Afin de stabiliser le nouveau schéma de gouvernance des hôpitaux publics et d’approfondir la vision de « l’hôpital simplifié », une mission nationale est confiée au Pr Olivier Claris qui devra dresser un diagnostic de la gouvernance actuelle et un état des lieux des opportunités de simplification.
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Citer cet article: Crise de l’hôpital public : le gouvernement dévoile son plan d’urgence - Medscape - 20 nov 2019.
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