La saga du vaccin contre la dengue aux Philippines continue

Antoine Hasday, Nicolas Quénel

Auteurs et déclarations

21 novembre 2019

Philippines – Cet automne, en pleine épidémie de dengue aux Philippines, nos reporters,  Antoine Hasday et Nicolas Quénel, se sont rendus sur place. Ils reviennent, pour nous, sur l’affaire du vaccin contre la dengue dans l’archipel asiatique ; un fiasco dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui.

Pour rappel, en janvier 2015, les Philippines ont été le premier pays asiatique à approuver l’utilisation du Dengvaxia, le vaccin contre la dengue développé par Sanofi-Pasteur. Mais 2 ans après, en novembre 2017, les autorités l’ont accusé d’avoir provoqué la mort de patients et interdit.

Un vaccin qui accroît le risque de dengue sévère chez les séronégatifs

Le développement du Dengvaxia, le vaccin contre la dengue, a été complexe,  notamment en raison de l’existence de quatre sérotypes différents pouvant transmettre la maladie lors de la piqûre par le moustique Aedes. Le produit de vingt ans de recherche devait donc être efficace contre ces quatre sérotypes. Un défi considérable, puisque les anticorps développés lors d’une première infection (ou d’un premier vaccin) peuvent « aider » un autre sérotype du virus à franchir la barrière immunitaire, ce que l’on appelle la facilitation de l’infection par les anticorps.

Dengvaxia est un vaccin vivant chimérique fabriqué en utilisant la souche vaccinale du virus de la fièvre jaune dont on a remplacé les gènes de structure par ceux de chacun des quatre virus de la dengue.

En avril 2016, une campagne de vaccination massive est lancée dans les régions philippines de Central Luzon, Calabarzon and Metro Manila. Plus de 800 000 personnes reçoivent du Dengvaxia. Par la suite, de nombreux décès sont constatés, notamment chez des enfants.

Or, dès mars 2016, l’OMS publie une étude sur le Dengvaxia, indiquant que « il existe une possibilité théorique que la vaccination soit inefficace ou même augmente le risque chez les personnes séronégatives au moment de la première vaccination ». Elle autorise néanmoins son utilisation pour les zones les plus touchées par la dengue.

Le 29 novembre 2017, Sanofi publie un communiqué confirmant que le vaccin peut être dangereux pour les personnes séronégatives, c’est-à-dire n’ayant jamais été contaminées par la dengue.

Dans la foulée de ce communiqué, le gouvernement philippin décide de suspendre l’utilisation du Dengvaxia et accuse Sanofi d’imprudence ayant entrainé la mort. « Pour les personnes n’ayant jamais eu la dengue, la vaccination augmente le risque de dengue sévère de 0,2% lorsque ces personnes se font piquer, après vaccination, par un moustique qui est porteur de la maladie »,  précise le laboratoire pour Medscape édition française.

Cependant, il ajoute « […] aucun décès n’a été lié au vaccin. (…) La dengue sévère est causée par le virus de la dengue et non par la vaccination. Le vaccin ne provoque pas la maladie.  [Par ailleurs], le vaccin pourrait ne pas être en mesure de prévenir l'infection par la dengue chez une minorité d'individus. »

Toujours selon Sanofi : « La valeur de Dengvaxia pour la santé publique a récemment été reconnue par [...] l'OMS, l’Agence Européenne des Médicaments et la Food and Drug Administration américaines. »

Et, selon le Comité consultatif mondial de la sécurité des vaccins de l'OMS, qui a rendu un avis en juin 2018 les preuves seraient insuffisantes pour établir un lien de causalité entre les décès signalés aux Philippines et le Dengvaxia.

Un scandale sanitaire et politique

Pourtant, aux Philippines, l’affaire du Dengvaxia a pris l’aspect d’un scandale politique, avec une commission d’enquête parlementaire, des poursuites contre les responsables politiques, y compris l’ancien président, Benigno Aquino III, mais aussi des responsables de Sanofi. Une longue enquête du South China Morning Post (SCMP) a soulevé plusieurs questions épineuses pour laboratoire.

Les journalistes rappellent que lors de la campagne de vaccination, deux médecins épidémiologistes philippins, Antonio et Leonila Dans, ont critiqué les essais cliniques de Sanofi. « Les essais étaient entachés de petites inexactitudes, de données manquantes et de risques non calculés... Pas vraiment une manipulation à haut niveau de données, mais plutôt le travail de statisticiens obligeants qui veulent faire plaisir à leurs patrons. »

Selon le professeur Scott Halstead, un des spécialistes reconnus de la dengue, les compagnies pharmaceutiques comme Sanofi « veulent concevoir des vaccins avant même de comprendre le fonctionnement du virus. » Il affirme que lors des essais cliniques de Sanofi, les enfants de moins de cinq ans ayant reçu le vaccin avaient huit fois plus de risques de contracter une forme sévère de dengue. Sanofi a donc décidé de fixer l’âge minimum pour la vaccination à neuf ans, ce qui était insuffisant selon Halstead, qui a tenté sans succès d’alerter Sanofi, pour qui le vaccin représentait un « pari industriel ».

Des soupçons de corruption pèsent également sur le contrat de 62 millions d’euros entre Sanofi et les autorités philippines, également mentionnés par le SCMP. Selon la commission des audits philippines, les règles des marchés publics n’ont pas été respectées et les vaccins sont arrivés avant la signature du contrat. On soupçonne aussi les autorités d’avoir précipité la campagne de vaccination, juste avant les élections. Plusieurs plaintes ont été déposées aux Philippines.

« Normalement, avec un nouveau vaccin, il faut un à deux ans pour préparer le secteur de la santé, et une population cible d’environ 40 000 personnes. Or, ici, les professionnels des centres de santé n'ont pas été formés pour dépister les enfants dont le système immunitaire était affaibli. Le vaccin a été administré à plusieurs enfants atteints de lupus, de leucémie ou d'autres affections chroniques graves [chez lesquels le vaccin est contre-indiqué]», déplore Paulyn Ubial, du ministère de la santé, citée par le SCMP.

Pour la procureure philippine Persida Rueda-Acosta, ce sont à la fois le vaccin et la mise en œuvre hâtive d'une campagne de vaccination « massive et aveugle » qui seraient à l'origine des nombreuses victimes.

Un impact néfaste sur la vaccination aux Philippines

Les répercussions de l’affaire du vaccin de Sanofi se font sentir encore plusieurs années après. Cette année, une forte épidémie de dengue a frappé les Philippines, avec à ce jour plus de 371,717 cas et 1 407 morts, soit presque deux fois plus que l’année dernière. En cause notamment, le réchauffement climatique, qui aurait déclenché des pluies plus tôt dans l’année.

Toutefois, les autorités refusent toujours de réutiliser le Dengvaxia.

Pourtant, lors des essais, le Dengvaxia « a montré un profil de tolérance général satisfaisant chez les individus âgés de 9 à 60 ans ». Par ailleurs « il peut aider à réduire le risque de dengue sévère de 84% et d'hospitalisations de 79% chez les personnes âgées de 9 à moins de 17 ans ayant déjà contracté la dengue. Nous disposons également de données appuyant l'innocuité et l'immunogénicité chez des personnes âgées de 17 à 45 ans ayant déjà contracté la dengue », précise Sanofi pour Medscape édition française

Mais, pour le département de la santé (DOH) des Philippines là n’est pas la question. Dans un communiqué, transmis à Medscape édition française par le gouvernement philippin, le secrétaire à la Santé, Francisco T. Duque III explique que « l'efficacité du Dengvaxia lui-même n'est pas en cause dans la présente affaire. Cette décision concerne le non-respect total par Sanofi des réglementations de la FDA philippine, qui ont été précisément mises en place par la loi pour assurer la sécurité », a déclaré le membre du gouvernement. Le plan de gestion des risques, particulièrement important pour « ce produit de santé innovant » n’a pas été respecté, assurent les autorités philippines.

Toutefois, au milieu de la nouvelle épidémie de dengue, le gouvernement philippin a informé Sanofi « qu’il pouvait faire une nouvelle demande d'enregistrement du produit, en respectant scrupuleusement toutes les lois, règles et réglementations en vigueur ».

Un respect des procédures « essentiel pour nos efforts visant à rétablir la confiance du public dans nos programmes de santé publique et dans des vaccins dont l'efficacité est prouvée depuis longtemps », a ajouté le secrétaire à la santé.

Une confiance concernant la vaccination qui n’est, en effet, plus au rendez-vous.

Aux Philippines, l’affaire du Dengvaxia a créé une défiance générale vis-à-vis de la vaccination avec des conséquences graves, notamment la réapparition de la poliomyélite en septembre, contraignant les autorités à lancer une nouvelle campagne de vaccination massive. Aussi, le pays a connu une recrudescence de la rougeole, avec 26 000 cas et 355 morts liés à une baisse de la vaccination...

Dans ce contexte de méfiance, début novembre, après enquête, la procureure Persida Rueda-Acosta a rendu publique le nombre de victimes estimé du Dengvaxia : le bilan s’établirait désormais à 147 personnes. Les poursuites contre Sanofi et plusieurs anciens membres du gouvernement philippin sont en cours.

Dengvaxia : indications et contre-indications

Le vaccin Dengvaxia est indiqué dans la prévention de la dengue due aux sérotypes 1, 2, 3 et 4 du virus de la dengue chez les sujets âgés de 9 à 45 ans ayant un antécédent d’infection par le virus de la dengue et vivant dans des zones d’endémie.  Le schéma vaccinal consiste en trois injections administrées à 6 mois d’intervalle.

L’utilisation du Dengvaxia est approuvée par l’OMS, la Food and Drug administration et l’Agence européenne du médicament.

Une réponse immunitaire protectrice peut ne pas être obtenue avec Dengvaxia chez tous les sujets vaccinés. Il est donc recommandé de continuer à appliquer des mesures de protection individuelle contre les piqûres de moustique après la vaccination.

Ce vaccin n'est pas recommandé pour les voyageurs d'une zone non endémique vers une zone endémique. Il n'est pas recommandé pour les résidents de La Réunion et de Mayotte. Pour les personnes qui vivent en Guadeloupe, en Martinique ou en Guyane, la vaccination n'est pas recommandée mais peut toutefois être proposée à celles apportant une preuve documentée d’une infection confirmée virologiquement.

Les sujets sans antécédent d’infection par le virus de la dengue ou pour lesquels cette information n’est pas connue ne doivent pas être vaccinés car un risque accru d’hospitalisation pour dengue et de dengue cliniquement sévère (principalement dengue hémorragique de grade 1 ou 2) a été observé chez ces sujets au cours du suivi à long terme des études cliniques.

Les contre-indications :

  • Hypersensibilité à la substance active, à l’un des excipients mentionnés à la rubrique 6.1 ou survenue après une administration antérieure de Dengvaxia ou d’un vaccin contenant les mêmes composants.

  • Sujets présentant un déficit de l’immunité cellulaire congénital ou acquis, y compris les sujets ayant reçu des traitements immunosuppresseurs tels qu’une chimiothérapie ou une corticothérapie par voie générale à fortes doses (par exemple 20 mg ou 2 mg/kg de prednisone pendant au moins 2 semaines) au cours des 4 semaines précédant la vaccination.

  • Sujets présentant une infection par le VIH symptomatique, ou asymptomatique accompagnée de signes d’altération de la fonction immunitaire.

  • Femmes enceintes et femmes qui allaitent.

Sources :  https://www.ema.europa.eu/en/documents/product-information/dengvaxia-epar-product-information_fr.pdf, www.mesvaccins.net

 

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