Changement de pratique : ISCHEMIA confirme l’absence de bénéfice de la revascularisation

Dr Christophe Thuaire, Dr Walid Amara

Auteurs et déclarations

19 novembre 2019

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

Enregistré le 17 novembre 2019, à Philadelphie, PA, É.-U.

Pavé dans la marre à l’AHA 2019 avec l’étude ISCHEMIA : chez les patients avec une ischémie sévère, la revascularisation myocardique en plus du traitement médical optimal (TMO) n’apporte pas de bénéfice versus le TMO seul. Bien qu’il y ait une amélioration des symptômes cliniques et de la qualité de vie chez certains patients, les pratiques vont certainement changer. Christophe Thuaire, co-investigateur de l’étude, passe en revue les résultats.

TRANSCRIPTION

Walid Amara — Bonjour et bienvenue sur Medscape, en direct du congrès de l’American Heart Association (AHA 2019) avec le Dr Christophe Thuaire qui est praticien hospitalier au CHU de Chartres. Nous allons parler aujourd’hui d’une étude qui a fait l’actualité : ISCHEMIA (International Study of Comparative Health Effectiveness with Medical and Invasive Approaches: Primary Report of Clinical Outcome).

Christophe, à Chartres, vous avez été le centre qui a le plus inclus de patients en France dans cette étude internationale. Peux-tu nous dire ce qu’est ISCHEMIA ?

Christophe Thuaire — ISCHEMIA est d’abord une petite déception pour les cardiologues interventionnels, il faut bien le dire. On espérait beaucoup d’ISCHEMIA qu’elle permette de compenser les travers des études COURAGE et ORBITA, à savoir n’inclure que des patients ayant une ischémie réellement sévère. Et on espérait que sur ce groupe de patients, il y ait un bénéfice à la revascularisation en plus du traitement médical optimal.

Walid Amara — ce sont en fait des patients coronariens stables qui ont une ischémie…

Christophe Thuaire — C’est vrai que c’est important de voir quels patients ont été exclus : les patients instables qui avaient eu des douleurs dans les deux mois précédant la randomisation, les patients qui avaient une lésion du tronc commun coronaire gauche et les patients qui avaient une dysfonction ventriculaire gauche avec une fraction d’éjection inférieure à 35 %. Ces patients-là ne rentraient pas dans l’étude. Et à partir du moment où on avait un angor stable et une ischémie au moins modérée, modérée à sévère, on pouvait être randomisé pour l’étude ISCHEMIA.

Walid Amara — Et donc les deux bras…

Christophe Thuaire — Là, on passait un coroscanner… qui avait comme objectif d’éliminer les lésions du tronc commun coronaire gauche et des incidentalomes, ensuite, on était randomisé soit au traitement médical, soit à la revascularisation invasive. Il y avait plus de 5000 patients en tout, plus de 2500 dans chaque groupe. Le critère primaire était un critère composite de décès cardiovasculaire, infarctus, hospitalisation pour angor instable et insuffisance cardiaque, et arrêt cardiaque. Sur ce critère primaire, l’étude ne ressort pas.

Walid Amara — Y compris chez l’insuffisant rénal, il n’y a pas de bénéfice, alors ?

Christophe Thuaire — Chez l’insuffisant rénal, sur ces critères durs, il n’y a pas de bénéfice, non plus.

Walid Amara — D’accord. Mais en même temps, on pourrait dire, il n’y a pas de surrisque — on aurait pu imaginer que cela ce serait moins bien passé chez ces patients.

Christophe Thuaire — C’est exact. Sur l’étude princeps, il y a un croisement des courbes qui est assez étonnant, à deux ans, avec une tendance non significative de moins de 2 % de surrisque dans le groupe invasif par rapport au groupe conservateur. Et les courbes se croisent à deux ans et il y a une tendance de bénéfice à 2 % non significative, également, dans le groupe invasif par rapport au groupe conservateur après deux ans, jusqu’au suivi de quatre ans.

Walid Amara — Finalement, ce n’était pas la première étude, il y en avait eu d’autres.

Christophe Thuaire — Tout à fait.

Walid Amara — Globalement, il y avait eu COURAGE, mais je pense que tu vas peut-être m’en dire plus. Il n’y a plus de place à rechercher l’ischémie ?

Christophe Thuaire — Alors effectivement, comme on en parlait, pour l’étude COURAGE et l’étude ORBITA, un des reproches qu’on leur faisait était d’avoir inclus des patients peu ischémiques, d’avoir eu des traitements de lésions non ischémiantes. On ne peut pas faire ce reproche à ISCHEMIA qui a été vraiment une étude très bien menée pour cela. Les patients étaient vraiment tous coronariens, puisque la coronaropathie était infirmée sur un coroscanner lu en aveugle, donc effectivement, cela réduit la place sur les critères durs. Mais, par contre, la bonne nouvelle, c’est que la revascularisation ajoutée au traitement médical permet de soulager de façon beaucoup plus efficace des symptômes, et améliore la qualité de vie sous réserve que le patient soit symptomatique avec un angor quotidien, mensuel, au minimum. Et là, on améliore beaucoup plus, deux fois plus, la qualité de vie des patients que le traitement médical seul.

Walid Amara — Est-ce que tu te souviens quel est le pourcentage de cross-over, c’est-à-dire des patients qui étaient dans le groupe médical qui ont quand même eu une angioplastie, parce que c’était prévu, il me semble – de mémoire, c’était autour de 10 % ?

Christophe Thuaire — C’est un peu plus de ça, il me semble, 18 %…

Walid Amara — D’accord. Parce que, bien sûr, si le patient résiste au traitement médical, il pouvait aller vers la stratégie invasive.

Christophe Thuaire — C’était pré-spécifié dans l’étude. C’est-à-dire, il y avait des critères stricts pour ne pas favoriser les cross-overs et donc le taux de cross-over était plus faible que dans les autres études comme COURAGE et ORBITA.

Walid Amara — Alors ça, c’est l’angine stable, mais je me souviens qu’il avait eu l'étude COMPLETE, dans le post-infarctus qui n’avait donné peut-être pas tout à fait le même message.

Christophe Thuaire — C’est vrai que quand on avait eu les résultats de l’étude COMPLETE au moment du congrès de la Société Européenne de Cardiologie, on était redevenu optimiste sur une efficacité sur les critères durs, puisque COMPLETE c’était : « en plus de la revascularisation de l’artère responsable de l’infarctus, je revascularise, dans la même hospitalisation, les artères ayant des sténoses significatives et je réalise une revascularisation complète ». Et là, sur les critères durs, cette stratégie était efficace. Et donc on s’était dit, finalement, revasculariser des lésions significatives peut être une bonne approche et améliorer la survie et les critères durs. Malheureusement, cela n’a pas été le cas dans ISCHEMIA. Est-ce qu’une des explications — et là, on pourrait faire un petit lien avec une étude dont les résultats ont été publiés, et dont vous allez reparler, je crois, et qui est l’étude COLCOT (Voir COLCOT : efficacité exceptionnelle de la colchicine en post-infarctus ). Est-ce qu’une des explications n’est pas le phénomène inflammatoire qui est présent à la phase aiguë de l’infarctus et qui ne l’est pas dans les angors stables qui ont été sélectionnés sur ISCHEMIA ?

Walid Amara — Oui. L’étude COLCOT : il y aura des vidéos dédiées — elle a été présentée et publiée dans le New England en même temps. Elle montre, finalement, que rajouter 0,5 mg de colchicine versus un placebo offre un bénéfice sur un critère dur composite, y compris, de mémoire, la mortalité cardiovasculaire également. Et donc c’est vrai qu’on se dit que pour cette population de patients… avec infarctus, il y a quand même des choses intéressantes.

Alors maintenant tu vas revenir à Paris — qu’est-ce que cela va changer dans ta pratique ? Moi, personnellement, je faisais jusque-là beaucoup de scintigraphies ou de tests d’ischémie à mes patients coronariens stables — mais moins qu’avant, quand même. Quand on regarde les recommandations sur le syndrome coronaire chronique, qui nous dit que le niveau de risque de la population européenne a baissé et que peut-être il n’y a plus de place au coroscanner – est-ce que demain, tes patients stables, tu vas continuer à faire de la recherche d’ischémie ou tu vas changer ta pratique ?

Christophe Thuaire — C’est vrai que sur le patient stable, une attitude qui serait de faire une échographie cardiaque pour s’assurer d’une fraction d’éjection normale et supérieure à 35 % et un coroscanner pour s’assurer de l’absence d’une lésion significative du tronc commun coronaire gauche est tout à fait recevable au vu des résultats de l’étude ISCHEMIA.

Walid Amara — Bon. Merci. Je pense qu’on a fait un assez bon tour et dans ce contexte, l’étude ISCHEMIA a quand même occupé toute une hotline avec trois présentations : l’étude princeps, l’insuffisance rénale [ISCHEMIA-CKD] et également les données de qualité de vie. On est bien sûr déçu par la négativité de l’étude, mais cela montre que finalement chez ces patients stables bien traités, excellemment traités, il est difficile de montrer quelque chose sur une période de suivi de quatre ans. J’espère que cela vous a intéressé et que cela va impacter votre pratique. Et je vous dis à très bientôt sur Medscape.

LIENS :

Trois études phares de l’AHA : Treat Stroke to Target, ORION-10 et ISCHEMIA

COLCOT : efficacité exceptionnelle de la colchicine en post-infarctus 

ISCHEMIA : peut-on prédire le bon contrôle des facteurs de risque à un an ?

 

 

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