France – Deux décisions du Conseil d’État rendent caduque l’interdiction totale de publicité pour les médecins et les chirurgiens-dentistes. La France doit, en effet, se mettre en conformité avec la législation européenne.
Desserrer l'étau
C'est un changement de doctrine important qu'a rendu le Conseil d'État, dans deux arrêts rendus publics ce 6 novembre (ici et ici). Ces deux décisions concernent l'interdiction faite aux médecins et aux dentistes de faire de la publicité. Désormais, l’interdiction totale de publicité pour ces deux professions de santé est abrogée. Déjà en 2018, une étude du Conseil d'État préconisait de desserrer l'étau de l'interdiction de publicité aux médecins, en les autorisant à communiquer sur les actes hors monopole, comme l'ostéopathie.
Parallèlement l'autorité de la concurrence, en janvier dernier, dans un avis rendu au sujet de l'interdiction faite à la société Groupon* de faire de la publicité pour des actes médicaux esthétiques, avait suggéré de modifier « à brève échéance, les dispositions relatives à la publicité qui ont été affectées par l’évolution de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) afin, d’une part, d’assurer la conformité des dispositions règlementaires concernées avec le droit européen ».
*Groupon est une multinationale américaine de commerce électronique basé sur le concept d'achat groupé afin d’obtenir une remise substantielle sur un produit.
« La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce »
Le Conseil d'État rappelle ainsi que l'article 56 du traité de fonctionnement de l'Union Européenne stipule que « l'article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale (...) qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires (...) ».
La cour de justice de l'Union européenne, en 2017, avait déjà donné raison à un médecin, en Belgique, qui s'opposait à l'interdiction qui lui était faite de faire de la publicité pour son activité médicale. Il résulte donc « des stipulations de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, [...] qu'elles s'opposent à des dispositions réglementaires qui interdisent de manière générale et absolue toute publicité ».
En conséquence, la décision de la ministre de refuser d'abroger le second alinéa de l'article R 4127-19 du code de la santé publique, comme demandé par un médecin, est annulée. Rappelons que cet article stipule que « la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. / Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale ».
Il n’en reste pas moins, rappelle le Conseil d'État, qu’il incombe aux pouvoirs publics de définir les « procédés de publicité », compatibles avec les « exigences de protection de la santé publique, de dignité de la profession médicale, de confraternité entre praticiens ».
« La profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce »
Le deuxième arrêté concerne un chirurgien-dentiste qui avait demandé l'abrogation de l'article R4127-215 du code de la santé publique, qui établit que « la profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce. / Sont notamment interdits : / 1° L'exercice de la profession dans un local auquel l'aménagement ou la signalisation donne une apparence commerciale ; / 2° Toute installation dans un ensemble immobilier à caractère exclusivement commercial ; / 3° Tous procédés directs ou indirects de publicité ; / 4° Les manifestations spectaculaires touchant à l'art dentaire et n'ayant pas exclusivement un but scientifique ou éducatif ».
Était également visé l'article article R. 4127-225 du code de la santé publique, qui stipule que « le chirurgien-dentiste doit éviter dans ses écrits, propos ou conférences toute atteinte à l'honneur de la profession ou de ses membres. Sont également interdites toute publicité, toute réclame personnelle ou intéressant un tiers ou une firme quelconque. / Tout chirurgien-dentiste se servant d'un pseudonyme pour des activités se rattachant à sa profession est tenu d'en faire la déclaration au conseil départemental de l'ordre ».
Là aussi, le Conseil d'État se prévaut de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui s'oppose à toute restriction totale de publicité pour les professionnels de santé, entre autres.
Dans les deux cas, l'État est condamné à verser aux plaignants la somme de 3000 euros.
Dommages et intérêt pour les praticiens sanctionnés ?
Le cabinet d'avocats spécialisé Di Vezio, qui avait saisi le Conseil d'État, a publié un communiqué triomphateur : « le 6 novembre 2019, le Conseil d’Etat lui donne gain de cause, invalidant la décision implicite de la ministre de la Justice de ne pas abroger le Code santé publique. Le Conseil d’Etat requiert également le versement d’indemnités, à hauteur de 3000 euros, pour les deux requérants mis en cause par l’Ordre des médecins dont le dossier faisait l’objet de la saisine ». Pour l'avocat Fabrice Di Vezio, cette décision du Conseil d'État rend illégales « les centaines de sanctions antérieures prononcées par l’Ordre des médecins sous le motif d’interdiction de publicité ». Il va donc désormais « poursuivre l’État et réclamer des dommages et intérêts pour tous les praticiens sanctionnés à tort ».
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Citer cet article: La publicité pour les médecins quasi autorisée - Medscape - 18 nov 2019.
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