COLCOT : efficacité exceptionnelle de la colchicine en post-infarctus

Dr Jean-Claude Tardif, Dr Michel Zeitouni

Auteurs et déclarations

19 novembre 2019

Enregistré le 17 novembre 2019, à Philadelphie, PA, É.-U.

L'essai randomisé COLCOT (The Colchicine Cardiovascular Outcomes Trial in Coronary Disease) montre que la colchicine diminue les évènements cardiovasculaires de 23% chez les patients en post-infarctus. Interview de l’investigateur principal, le Dr Jean-Claude Tardif.

TRANSCRIPTION

Michel Zeitouni — Bonjour. Je suis Michel Zeitouni, cardiologue à la Pitié-Salpêtrière et chercheur d’Action Cœur, et j’ai le plaisir de recevoir sur le plateau de Medscape, en direct de l’AHA 2019 le Pr Jean-Claude Tardif, directeur de recherche de l’Institut de Cardiologie de Montréal et qui a présenté aujourd’hui une étude qui a fait grand bruit à l’AHA, c’est l’étude COLCOT. Elle incluait un peu plus de 4000 patients en post-infarctus avec une évaluation de la colchicine dans un essai randomisé et 23 % d’événements cardiovasculaires en moins. Pouvez-vous nous dire quelques mots de cet essai clinique, de ces résultats et, avant tout, de ces patients ?

Jean-Claude Tardif — Effectivement, on a testé la colchicine comme un puissant anti-inflammatoire suite à l’accumulation de données qui suggéraient que l’inflammation est très pertinente dans la progression et les complications reliées à l’athérosclérose. L’étude COLCOT a inclus 4745 patients qui étaient recrutés dans les 30 jours après un infarctus du myocarde. Les patients recevaient les médicaments qu’ils doivent recevoir, deux antiplaquettaires, une statine, subissaient une angioplastie, si nécessaire, et, ensuite, recevaient la colchicine à la faible dose de 0,5 mg par jour, ou le placebo. Et, donc, effectivement, le suivi moyen a été de 23 mois et il y avait, donc, un bénéfice, une réduction de 23 % du risque du critère d’efficacité primaire, qui était la combinaison de décès cardiovasculaire, arrêt cardiaque réanimé, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral ou hospitalisation urgente pour angine nécessitant revascularisation.

Michel Zeitouni — Donc c’est toujours cette voie de l’inflammation qui est sous la lumière depuis quelques mois, depuis l’étude CANTOS, et là, avec un médicament qu’on connaît bien, depuis des dizaines d’années, on retrouve des bénéfices chez ces patients qui sont graves, avec un infarctus, et on a regardé la tolérance aussi, puisque c’est une question qu’on se pose avec la colchicine, et finalement, cela a été plutôt bien toléré.

Jean-Claude Tardif — Absolument. En fait, peut-être en partie dû au fait que nous avons utilisé une faible dose — 0,5 mg par jour — mais effectivement il n’y avait pas de différence quant à l’incidence d’effets adverses de toute cause ou sérieux — Æ ou SAE — il n’y avait pas de différence quant à la survenue de diarrhée. Tout ce qu’on a observé en termes de tolérance au médicament, c’était une très légère augmentation des nausées – 1,8 % dans le groupe actif versus, 1,0 % dans le groupe placebo – et un peu plus de pneumonies dans le groupe colchicine – 0,9 % versus, dans le groupe placebo, 0,4 %. À part cela, le médicament était très bien toléré.

Michel Zeitouni — Très bien toléré et donc avec une efficacité. Comme vous l’avez dit, on avait un critère composite de jugement assez large et on voit un effet consistant quels que soient les end points qu’on regarde, et une chose qui a particulièrement frappé ceux qui ont lu et vu votre présentation, c’est l’effet sur les AVC. Alors, comment on l’explique ? Et est-ce que vous pensez déjà à COLCOT-STROKE, par exemple ?

Jean-Claude Tardif — Excellente question. Premièrement, je ne suis pas sûr que j’ai toutes les réponses, mais on n’était pas les premiers — il y a eu une méta-analyse de très petites études précédemment publiées qui avait également suggéré un bénéfice assez marqué sur les AVC. Maintenant, est-ce que c’est un effet anti-athérosclérotique relié à son effet anti-inflammatoire ? Est-ce que c’est un effet vraiment, qui a quelque chose à faire spécifiquement sur les artères cérébrales ? Cela reste à voir. Maintenant, est-ce qu’il pourrait y avoir des effets insoupçonnés, par exemple sur la pression artérielle centrale ? Cela ouvre des questions auxquelles nous n'avons pas toutes les réponses, mais qui mériteraient d’être testées dans d’autres essais cliniques. Il y aura des études cliniques sur la colchicine dans l’accident vasculaire cérébral.

Michel Zeitouni — Alors, quelqu’un a évoqué COLCOT-2 dans un des late-breaking — est-ce que vous voulez nous en dire quelques mots ? Ce sera en prévention primaire chez le diabétique…

Jean-Claude Tardif — Exactement. La prochaine étape pour nous, maintenant que COLCOT-1 a été conduite chez les patients avec un infarctus récent, c'est l'étude qui s’appelle LoDoCo2, qui sera présentée en 2020, chez les patients coronariens stables. Et pour nous, la prochaine frontière, ce sont les patients en prévention primaire à haut risque et donc l'étude COLCOT-T2D. C’est une étude qui va impliquer 10 000 patients diabétiques de type 2 sans maladie coronarienne prouvée. Nous allons évaluer à plus long terme les patients — ils seront suivis pendant 4 ans — et on évaluera les critères d’efficacité cardiovasculaire, évidemment, mais il y aura un intérêt également à évaluer la survenue de cancer et de troubles cognitifs et de démence, parce qu’on va suivre les patients plus longtemps que dans COLCOT-1, où on suivait en moyenne 23 mois les patients.

Michel Zeitouni — D’accord. Donc colchicine serait the new aspirin chez ces patients à haut risque.

Jean-Claude Tardif — Eh bien, je suis content de l’entendre dire…

Michel Zeitouni — À tester…

Jean-Claude Tardif — Oui. Effectivement.

Michel Zeitouni — Pour que l’on s’imprègne de votre savoir sur cette colchicine, sur cet effet anti-inflammatoire, alors, les mécanismes soupçonnés — donc une réduction de la taille de l’infarctus au moment de la phase aiguë ou du remodelage, une diminution, peut-être, des troubles du rythme… Comment explique t'on cette efficacité ?

Jean-Claude Tardif — Écoutez — moi, j’ai plutôt l’impression que c’est un effet anti-athérosclérotique via son effet anti-inflammatoire. La raison pour laquelle je dis cela, c’est que nous avons recruté les patients en moyenne 13 jours après l’infarctus et quand on regarde les temps auxquels surviennent les événements, j’ai plutôt l’impression — et ce sont : l’effet sur les AVC, l’effet sur les hospitalisations urgentes pour angine — je crois plus que c’est relié autour de l’effet anti-athérosclérotique plutôt qu’un effet sur le remodelage ventriculaire, par exemple.

Michel Zeitouni — D’accord. Il y a une étude qui a été présentée en ce dimanche matin, c’est COLCHICINE-PCI. Ils ont regardé, chez des patients qui arrivaient pour une angioplastie, si l’administration de colchicine diminuait le taux d’infarctus ou de dommage myocardique périprocédural avec des critères de jugement qui sont des biomarqueurs, donc dommage myocardique défini par la définition universelle de l’infarctus. Donc, ils n’ont pas trouvé de différence sur ces marqueurs-là, mais ils ont trouvé que l’inflammation diminuait dans le bras colchicine avec le dosage des interleukines. Qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce qu’il y a une piste pour l’angioplastie aiguë, pour la colchicine pour diminuer les événements périprocéduraux ?

Jean-Claude Tardif — Le concept était intéressant. Je pense qu’il y avait, malheureusement, des problèmes méthodologiques importants dans COLCHICINE-PCI. Premièrement, c’était une étude qui n’avait inclus que 400 patients environ, donc la puissance était extrêmement limitée, deuxièmement de façon un peu curieuse, les investigateurs ont choisi de ne donner qu’une seule dose de colchicine avant l’angioplastie et de ne pas répéter ensuite. Alors, espérer des effets à plus long terme… C’était, je crois, peu probable qu’on observe des résultats significatifs. Il faut comprendre que nous, au contraire, dans COLCOT, ce n’était pas 400 mais 4700 patients, et on n’a pas traité les patients avec un seul comprimé, on les a traités pendant 23 mois. Alors, malheureusement, moi, ma lecture de COLCHICINE-PCI, j’ai peine à tirer des leçons. Je pense que si on veut répéter l’expérience, on devrait le faire avec la puissance adéquate. Le seul intérêt, peut-être, c’est l’aspect biomarqueurs, comme vous l’avez dit, autour de la réduction de l’inflammation dans cette période autour de l’angioplastie.

Michel Zeitouni — Très bien. Donc, avec ces résultats, en tout cas, de COLCOT, on fait un pas de plus dans la lutte contre le risque résiduel de nos coronariens, dans la diminution de leur risque de récidive ischémique et l’amélioration de leur survie et la colchicine va trouver sa place, vous pensez, au mieux, chez quels patients en post-infarctus et pour combien de temps ? Comment vous voyez les choses ?

Jean-Claude Tardif — Excellente question. Premièrement, quels patients ? Si vous vous rappelez, hier, pendant la section des late-breaking trials, il y a eu une question exactement là-dessus et les gens disaient « mais, mon Dieu, est-ce qu’on ajoute maintenant un autre médicament en plus des deux antiplaquettaires, la statine, peut-être un inhibiteur de l’enzyme de conversion » et si vous vous rappelez ma réponse, que je vais vous refaire – et bien, est-ce que, vraiment, on n’a pas moyen de pratiquer la médecine de façon plus intelligente…

Michel Zeitouni — Personnalisée.

Jean-Claude Tardif — Exactement.

Michel Zeitouni — Voilà.

Jean-Claude Tardif — Est-ce qu’on ne pourrait pas, au lieu de dire « on va donner tous les médicaments à tout le monde » essayer de plus personnaliser, soit par des caractéristiques cliniques — et on va évidemment faire des analyses de sous-groupes dans COLCOT — il faut comprendre, les données sont toutes chaudes. Elles ont été disponibles quelques semaines avant le congrès et on a préparé un article pour qu’il soit publié dans le New England Journal of Medicine et que l'étude soit présentée à l'AHA, mais là, il y a un travail, dans les prochains mois, d’analyse de sous-groupes et autres. Premièrement — est-ce qu’il y a des biomarqueurs, est-ce qu’il y a un profil génétique particulier qui pourrait nous montrer quel est le patient qui bénéficierait de la colchicine ? Moi, je pense que c’est une mauvaise idée de dire qu’on va donner six médicaments à tout le monde et par exemple, chez certains patients la maladie va être plutôt médiée par l’inflammation, peut-être chez d’autres ce sera le diabète… Donc je pense qu’il faudra aller plus vers une perspective de personnalisation de la médecine.

Michel Zeitouni — Voilà, chez les patients inflammatoires qui ont une maladie athérothrombotique évolutive, parfois chez certains jeunes qu’on voit, aussi, qui récidivent malgré un traitement médical optimal…

Jean-Claude Tardif — Exactement.

Michel Zeitouni — … on a un médicament, maintenant, qui est bien toléré et qui est accessible et avec des preuves solides.

Jean-Claude Tardif — Je pense qu’au début on pourra le donner à tout le monde, mais on va essayer rapidement de fournir l’information aux cliniciens, et je pense que tous les médicaments qu’on donne, on devrait faire un effort d’essayer de comprendre chez qui ils devront être administrés particulièrement. Et puis votre question portait sur la durée — ce que je peux dire, c’est que le suivi moyen était de 23 mois, alors on pourrait peut-être envisager de traiter ces patients-là deux ans. On fera, nous, COLCOT-T2D où on va suivre les patients quatre ans, mais pour l’instant, je recommanderais au moins deux ans de traitement.

Michel Zeitouni — Pr Tardif, merci beaucoup pour vos explications et pour cette étude qui va améliorer le pronostic de nos patients. On en sait plus sur l’inflammation et on en sait plus sur l’athérothrombose grâce à ce genre de recherche. On continue à suivre Medscape France en direct de l’AHA 2019 — merci pour votre attention et à bientôt !

 

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