France -- Le gouvernement a présenté le 6 novembre dernier sa nouvelle politique en matière d'immigration. Au centre de ces « 20 décisions pour améliorer notre politique d’immigration, d’asile et d’intégration », la prise en charge sanitaire des étrangers, en particulier des étrangers en situation irrégulière et un objectif clairement affiché « lutter contre les dévoiements et les abus ». En cause : l'aide médicale d'État (AME) – une prise en charge par l'État (et non l'assurance maladie) des frais de santé des étrangers en situation irrégulière – et, dans une moindre mesure, la Protection universelle maladie (Puma), qui permet de rembourser les frais de santé des demandeurs d'asile. Avec une gageure : « limiter les abus, sans remettre en cause le panier de soins ».
Les 14 mesures de la mission
Ces mesures dérivent pour partie d’un rapport sur les dispositifs de l’aide médicale de l’État (AME) et des soins urgents commandité en juin dernier à l'Inspection générale des finances et à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et rendu au gouvernement en octobre (voir encadré).
Dans celui-ci, 14 mesures sont listées par les rapporteurs pour lutter contre la fraude, tout en assouplissant le dispositif pour « garantir un meilleur accès aux soins des bénéficiaires ». Y figurent des propositions concernant la mise en place de vérifications renforcées concernant le demandeur lui-même, comme d’exiger sa présence physique des demandeurs, de justifier son statut irrégulier, de fournir des attestations d'hébergement comme preuve de résidence, ses conditions de ressources.... Pour lutter contre les usages abusifs de l'AME, les rapporteurs proposent d'activer le contrôle médical de l'assurance maladie, l'instauration pour la prise en charge de soins programmés non essentiels d'un délai de carence de neuf mois... Pour assouplir la prise en charge des soins, les rapporteurs ont souhaité transformer la carte AME en carte à puce pour permettre la télétransmission, mettre en place une visite médicale de prévention, étendre le forfait patientèle médecin traitant...
Contrôles renforcés
Dans son plan « pour améliorer notre politique d'immigration, d'asile et d'intégration », le gouvernement a retenu certaines des propositions de la mission conjointe de l'IGAS et de l'IGF. Ainsi dès 2020, une demande d’AME ne pourra être présentée que sur comparution physique du demandeur dans une CPAM ou, en cas d’empêchement, par l’intermédiaire d’un hôpital ou d’une permanence d’accès aux soins de santé (PASS). De même, le contrôle des attestations d’hébergement sera renforcé.
Dès 2020, les CPAM auront accès à la base de données des visas « VISABIO » pour identifier, en amont de l’octroi du droit, les dissimulations de visas et un délai de 3 mois de résidence en France à partir de l’expiration du visa ou du titre de séjour sera requis avant l’obtention de l’AME, pour éviter que des personnes n’entrent sur le territoire avec un visa afin d’obtenir l’AME immédiatement à son expiration.
Certains soins non-urgents non pris en charge et délai de carence de 3 mois
Par ailleurs, pendant une durée de plusieurs mois à compter de l’entrée d’un bénéficiaire dans le dispositif AME (cette durée sera définie par décret), un certain nombre de soins et traitements, correspondant à des soins et prestations programmés et non-urgents (comme la pose de prothèse de genou ou de hanche (hors traumatisme), l’opération de la cataracte, la chirurgie bariatrique, les soins de kinésithérapie) ne seront plus pris en charge, « sauf sur dérogation accordée par le service du contrôle médical de la CPAM dans les cas où un défaut de prise en charge pourrait entraîner, pour le bénéficiaire, des conséquences vitales ou graves et durables ».
Pour éviter le détournement de la demande d’asile dans le seul but d’obtenir la prise en charge de soins – le demandeur d’asile est affilié à la PUMa dès le dépôt de sa demande d’asile –, un décret introduira dès fin 2019 un délai de carence de trois mois, sauf pour les soins urgents qui resteront pris en charge.
Pour les « primo-arrivants » : rendez-vous santé dans chaque région
En revanche, le gouvernement souhaite assurer un meilleur accès aux soins des « primo-arrivants » dans chaque région afin de délivrer des soins adaptés aux « vulnérabilités liées au parcours de migration (psycho-trauma, maladies infectieuses) ». Ce parcours comportera un « rendez-vous santé » dans les quatre mois suivant l’arrivée en France. Une expérimentation va d’ailleurs se mettre en place à Rennes pour tester ce dispositif en ville avec appui aux professionnels de santé, accès à des interprètes et rémunération de la consultation adaptée au temps passé avec ces patients particulièrement précaires. Les moyens alloués aux permanences d’accès aux soins de santé (PASS), devraient également être renforcés.
Les soins hospitaliers représentent deux tiers des dépenses de l'AME
Missionné par le gouvernement, l'Inspection générale des finances et à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ont rendu en octobre dernier un rapport intitulé « Aide médicale d’état : diagnostic et propositions ».
Il ressort de ce document que le bénéficiaire type de l’AME est un homme entre 30 et 34 ans, originaire du continent africain, vivant seul en Île-de-France. Le coût total de l’AME (droit commun et soins urgents) était de 904M€ en 2018, dont 824 M€ d’AME de droit commun et 70 M€ de soins urgents. Par bénéficiaire, le montant des dépenses moyennes s'élevait à 2675 euros contre 2667 euros en 2009.
Les deux tiers des dépenses de l'AME proviennent des soins hospitaliers, avec une consommation de médicaments supérieure à celle des assurés pour les traitements associés aux maladies infectieuses (VIH, hépatites, tuberculose), aux dépendances et à la toxicomanie ou encore pour les antalgiques et anti-inflammatoires. « Ce qui traduit un état de santé dégradé » analysent les rapporteurs mais ils consomment en revanche moins de médicaments des troubles psychiques – reflétant sans doute un défaut de prise en charge psychiatrique.
« Les domaines d’activité concernés par les séjours hospitaliers des bénéficiaires de l’AME reflètent également les besoins spécifiques de cette population : 27% d'entre eux sont du domaine de l'obstétrique contre 4% pour les assurés sociaux » écrivent les rapporteurs. En médecine, les domaines d’activité les plus représentés sont la pneumologie (7 % des séjours AME et 7 % des séjours de soins urgents) et l’hépato-gastro-entérologie (6 % des séjours AME et 7 % des séjours soins urgents). « Ces atypies, résument l'IGF et l'Igas, renforcent l’hypothèse d’une migration pour soins pour les accouchements, et pour certaines pathologies comme l'insuffisance rénale, les cancers et les maladies du sang ». Quoi qu'il en soit, la mission « recommande d’envisager avec prudence toute évolution de l’AME qui aurait pour effet d’augmenter le renoncement aux soins et de dégrader l’état de santé des populations ciblées. En particulier, une nouvelle réduction du panier de soins de l’AME paraît peu pertinente ».
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Citer cet article: Aide médicale d'État : de nouvelles mesures pour lutter contre les abus - Medscape - 11 nov 2019.
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