Schizophrénie : quand le projet de vie du patient devient moteur du soin

Catherine Moréas

7 novembre 2019

Montpellier, France -- La schizophrénie est-elle un frein à l’emploi, au logement autonome ou à une vie sociale ordinaire ? Pour le Dr Nicolas Rainteau, psychiatre au CHU de Montpellier, la question ne se pose plus. Ce chef de clinique développe avec succès depuis deux ans un programme audacieux au Centre de rétablissement et de réhabilitation (C2R) Jean Minvielle.

Dans ce centre, où le paternalisme est mis aux oubliettes, pas question de parler de «patients», on lui préfère le terme « usager », une façon de dire que la maladie est présente, mais tenue à distance.  Le but est d’aider les « usagers » à avancer dans la vie, au même titre que tous jeunes de 25 ans. Désormais, tout est centré sur les envies et les projets – études, travail, rencontres, logement – du patient, sans attendre une hypothétique guérison.

Interview de ce psychiatre moderne et communiquant – très actif sur les réseaux sociaux –qui offre aux jeunes l’espoir d’une vie normale malgré la maladie.

Medscape édition française :  Qui accueillez-vous au centre de rétablissement et la réhabilitation sociale Jean Minvielle  ?

Dr Nicolas Rainteau  : Notre centre est spécialisé dans l’accueil de jeunes personnes atteintes de schizophrénie dont la maladie évolue depuis moins de 10 ans. En moyenne, les 130 usagers du centre ont 25 ans. Quand on parle de schizophrénie, on s’attache beaucoup à la durée de psychose non-traitée, c’est-à-dire le délai entre l’apparition des tout premiers symptômes et la première prise en charge. Plus cette période est courte, meilleur est le pronostic. Malheureusement, pour certaines personnes en France, la durée de psychose non-traitée peut durer deux, trois ou quatre ans. Il y a de grandes difficultés pour accéder aux soins.  

Medscape édition française :  Comment vous sont adressés vos usagers ?

Dr Rainteau  : Certains ont été hospitalisés à temps complet. Généralement, nous les rencontrons une quinzaine de jours avant leur sortie et nous leur proposons une collaboration. Certains sont orientés par des psychiatres qui les suivent en ambulatoire. Nous avons aussi des candidatures spontanées, soit d’usagers, soit de leur famille. Les associations comme l’Unafam ou Promesses nous envoient des personnes. Enfin, nous travaillons avec les structures médico-sociales. Pour les usagers, il n’y a évidemment rien d’obligatoire. En deux ans, nous n’avons eu que 9 % de refus d’intégrer le centre sur environ 170 propositions de collaboration. C’est très peu. 

Medscape édition française :  À partir du moment où une personne atteinte de schizophrénie est accueillie au centre, quelles sont vos priorités ? 

Dr Rainteau  : Notre priorité, c’est de répondre à ses demandes. Au tout début, les usagers rédigent une fiche-projet. Pour cela, ils sont accompagnés par un infirmier-référent, un « case manager »*. Sous forme de tableau, ils listent tous leurs projets de vie, qu’il s’agisse de logement, d’autonomie, de vie sociale ou de travail. En face, ils indiquent leurs compétences et les obstacles qu’ils pourraient rencontrer. Cette fiche est le premier outil qui guidera la collaboration avec l’usager.

*dans le domaine de la psychiatrie, le case manager est un infirmier aux compétences élargies, qui soutient l’usager dans les besoins courants de la vie quotidienne dans laquelle s'intègre le traitement psychiatrique.

 

Medscape édition française :  Pouvez-vous répondre à toutes les demandes ? 

Dr Rainteau  : Chacun des 8 infirmiers-référent travaille en collaboration avec une quinzaine d’usagers, ce qui permet de faire du sur-mesure et, s’il le faut, passer deux jours d’affilée avec la même personne. Mais nous arrivons à notre maximum de capacités.  

Medscape édition française : Comment la réalisation d’un projet de vie s’harmonise-t-elle avec les phases de soins ?  

Dr Rainteau  : Le psychiatre traitant reste le prescripteur. En ce qui nous concerne, les propositions de soins se font uniquement au service du projet de la personne. Nous avons, par exemple, des groupes d’éducation thérapeutique, des groupes de travail sur les habiletés sociales, ou encore des groupes de remédiation cognitive (ex : développer des stratégies pour palier à des difficultés cognitives). Mettre en route des projets fait émerger de nouvelles demandes qui peuvent amener au soin. Par exemple, une personne nous dit qu’elle ne sera pas à l’aise avec ses futurs collègues de travail autour la machine à café. Dans ce cas, nous lui proposons d’intégrer le groupe sur les habiletés sociales. Pour cette personne, ce soin a du sens puisqu’il est au service de son projet. Malheureusement, en dehors des centres de rétablissement (il en existe plusieurs en France*, NDLR), l’état d’esprit actuel serait plutôt de dire : faites d’abord les soins et quand vous aurez les compétences, on verra les projets. En réalité, en voulant préparer les gens, on les met sous cloche.  

* La liste des centres est disponible sur : https://centre-ressource-rehabilitation.org/-les-centres-de-rehabilitation-psychosociale-

Pour cette personne, ce soin a du sens puisqu’il est au service de son projet. 

 

Medscape édition française : Quels sont les principaux obstacles que ces jeunes rencontrent ? 

Dr Rainteau  : Il y a des freins spécifiques à la maladie. Lorsque vous entendez encore des voix, ce n’est pas facile de se concentrer. Les troubles cognitifs (troubles de la mémorisation, de l’attention, de la concentration, de la planification...) sont aussi des freins et ils doivent être travaillés. Les symptômes négatifs de la schizophrénie (perte de plaisir, d’élan vital...) siphonnent également leur énergie. Parmi ces jeunes personnes, certaines connaissent la psychiatrie depuis plusieurs années. Par empathie, on leur a dit : attention, n’allez pas trop vite, ne faites pas çi, ne faites pas ça, ça sera trop compliqué... En fait, certains n’ont pas de projet parce qu’ils ont perdu l’espoir en une vie meilleure. Ils ont arrêté de rêver et c’est terrible. Le plus difficile, c’est de leur redonner espoir. La stigmatisation est également un frein. Dans la population, il y a toujours l’image que ce sont des gens violents, imprévisibles, impulsifs, incapables de travailler. Sans compter la peur des soignants et des familles. Ce réflexe de vouloir protéger la personne des échecs possibles et des gens mal intentionnés est légitime. Mais au lieu de les protéger de la maladie, on les protège de la vie. Et là, ça ne va plus. 

Le plus difficile, c’est de leur redonner espoir. La stigmatisation est également un frein. 

 

Medscape édition française : La prise en charge de la maladie ne lève-t-elle pas une partie de ces obstacles ? 
Dr Rainteau  : Le traitement médicamenteux le fait en partie. Il agit sur les symptômes positifs, les pensées délirantes et les hallucinations. Mais il est très peu efficace sur les troubles cognitifs. C’est là qu’interviennent toutes les prises en charge non-médicamenteuses, individuelles ou en groupe. Par exemple, les groupes de remédiation cognitive ou les thérapies cognitivo-comportementales qui aident la personne à reprendre confiance en elle.

Medscape édition française : Quand la personne se présente à un stage ou à un emploi, est-ce qu’elle annonce sa maladie ? 

Dr Rainteau  : Cela dépend des personnes. Certaines ont envie d’être honnête jusqu’au bout. D’autres préfèrent se taire. C’est leur droit. Nous les aidons à justifier les blancs dans leur CV liés aux hospitalisations. Nous savons que la plupart des gens ne veulent pas d’un patient atteint de schizophrénie comme collègue, ami, voisin ou colocataire. Il ne faut pas être dupe. Dire qu’on est atteint de schizophrénie, ça ferme des portes. 

Medscape édition française : Constatez-vous une baisse des rechutes grâce à ce programme ? 

Dr Rainteau  : En deux ans, seuls 8 % des usagers ont été réhospitalisés, dont 6 % dans le mois qui a suivi leur sortie de l’hôpital. Clairement, nos statistiques montrent que les projets protègent de la rechute. L’ensemble des usagers qui ont demandé à avoir un appartement autonome ont tous déménagé et, à 100 %, ils ont maintenu leur autonomie. Nos usagers sont épanouis et voient le soin différemment. Ils acceptent aussi mieux le traitement parce qu’il leur permet d’être plus serein et de mener à bien leur projet.  

Medscape édition française : Dans l’intitulé du C2R, il y a le mot « rétablissement ». Quel sens donner à ce mot dans le contexte de la schizophrénie ?

Dr Rainteau  : Le même que pour toutes les maladies chroniques. Le rétablissement, tel que nous le voyons, c’est le parcours de la personne qui endosse son rôle de malade mais se reconstruit, reprend le contrôle de sa vie et affronte tous les obstacles que met la maladie en travers de ses projets.  

Nos statistiques montrent que les projets protègent de la rechute.

 

Medscape édition française :  Quels résultats obtenez-vous ? 

Dr Rainteau  : Il est toujours compliqué d’évaluer le rétablissement. Ce n’est pas parce qu’on ne travaille pas qu’on n’est pas rétabli. Chaque projet de vie est différent. 60 % des usagers demandent une reprise d’emploi ou de formation. Ils ont tous un premier contact avec une structure environ trois mois après la demande. Cela peut être un entretien d’embauche, une journée portes ouvertes sur une formation, un contact avec une mission locale, avec le centre régional de formation professionnelle, avec Pôle Emploi... Parmi ces personnes, 60 % ont réellement démarré un emploi ou une formation deux à trois mois après ce premier contact.  

Medscape édition française : S’agit-il de solutions durables ? 

Dr Rainteau  : Sur les 60 % qui ont repris une activité, 42 % sont toujours dans l’orientation qu’ils ont choisie depuis plus de 8 mois ; 39 % ont arrêté prématurément environ 1 mois après le début. Pour la grande majorité d’entre eux, l’activité ne leur a pas plu. Enfin, 19 % ont été au bout d’une formation ou d’un stage limité dans le temps (5 mois en moyenne).  

Les emplois ou les formations trouvés se déroulent essentiellement en milieu ordinaire. Nous avons, par exemple, un CDI dans une entreprise agricole, un temps plein dans un fast-food, un dans le BTP, un micro-entrepreneur qui travaille avec entreprise de portage de repas, et des usagers dans une école d’ingénieurs du son et aussi de journalisme. Ceux pour qui l’expérience s’est arrêtée prématurément faisaient un premier stage en milieu protégé dans un ESAT (Etablissement et service d’aide par le travail). Beaucoup sont revenus en disant : je ne me sens pas à ma place. Certains ont aussi eu du mal à tenir le rythme de travail. Nous ne considérons pas cela comme un échec, parce que nous les avons laissés aller au bout de leur idée. 

Medscape édition française : Si un jeune a des projets trop ambitieux par rapport à son état ou ses capacités, comment le recadrez-vous ? 

Nous ne le recadrons pas du tout. Nous ne sommes pas là pour dire ce qui est possible de faire ou pas. Si un jeune nous dit qu’il veut être astronaute, nous nous posons la question : quel diplôme, quelle école, comment déposer un dossier ? En fait, on se rend compte qu’aucun projet n’a été trop ambitieux ou s’il l’était, c’est l’usager lui-même qui est revenu à d’autres projets. Nous ne leur avons pas dit non, et ça change tout.

 

Le Dr Nicolas Rainteau (au 1er rang en sweat-shirt gris) et son équipe

 

Crédit photo : Dr Rainteau

 

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