POINT DE VUE

Essais cliniques sauvages : après le sida et le cancer, les maladies neurologiques…

Pr Gilles Pialoux

Auteurs et déclarations

4 novembre 2019

TRANSCRIPTION

Bonjour. Gilles Pialloux — je suis professeur de maladies infectieuses à l’université Paris-Sorbonne et à l’hôpital Tenon, aussi. Je suis ravi de vous retrouver sur Medscape. Nous n’allons  pas parler que de maladies infectieuses, aujourd’hui – mais aussi d’essais cliniques sauvages. Je pense que vous avez lu, notamment sur Medscape, que plusieurs informations judiciaires et ordinales étaient ouvertes contre les expérimentations faites dans une abbaye par le professeur Joyeux. Essais expérimentaux qui sont dans le domaine des maladies neurologiques, essentiellement du Parkinson, Alzheimer mais aussi des troubles du sommeil. Les événements ont pris de l’ampleur puisque le 27 septembre dernier, le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire sur ces essais sauvages pour tromperie, abus frauduleux de l’ignorance ou de la faiblesse d’une personne vulnérable et exercice illégal de la profession de pharmacien — ce qui est déjà assez conséquent comme chef d’accusation, bien sûr, avec une présomption d’innocence.

Notons que le Conseil national de l’Ordre des médecins, réuni en session le 4 octobre, a également décidé de porter plainte devant la juridiction ordinale contre huit médecins d’ores et déjà identifiés comme étant liés au Fonds Josefa, mis en cause dans ces essais thérapeutiques illégaux sur des maladies neuro-dégénératives, pour violation notamment des articles 15 (Recherches impliquant la personne humaine), 39 (Charlatanisme) et 40 (Risque injustifié) du code de déontologie.

Un essai sauvage qui fait écho

Ce qui est incroyable, aussi, c’est qu’avec cette nouvelle affaire, les maladies neurologiques, le Parkinson, l’Alzheimer, les troubles du sommeil rejoignent ce qu’on connaissait déjà fort bien dans le cancer et dans le sida.

L’exemple caricatural, c’est celui du début du sida — c’est un exemple assez ancien — un rapport de l’IGAS et de la direction générale de l’administration et de l’éducation nationale, qui date de 95, mais qui était tout à fait édifiant et qui fixe, finalement, tout le cadre de ces essais sauvages[1].

Les manquements peuvent aller de l’exercice illégal de la médecine et de la pharmacie, on l’a déjà vu, à l’écart par rapport à la loi Huriet-Sérusclat  à l’époque, puis, maintenant, de la loi Jardé sur le consentement, sur l’utilisation à titre compassionnel de médicaments hors AMM, mais il y a aussi, évidemment, et cela concerne plus précisement l’affaire Joyeux, des essais menés hors cadre institutionnel, donc, non seulement hors cadre légal, mais aussi hors cadre institutionnel où, là, se pose effectivement la question de l’exercice illégal de la médecine et de la pharmacie, de la tromperie et de la publicité mensongère.

Ce rapport de l’IGAS assez ancien est assez intéressant à ressortir, puisqu’il pointe toutes les déviances qu’on peut offrir à des malades qui sont en errance thérapeutique, c’est le cas des beaucoup de patients parkinsoniens ou atteints de démence et, évidemment, en situation de fragilité, aussi. Là, en l’occurrence, sur l’affaire Joyeux, comme vous le savez, il s’agissait de promouvoir des patchs diffusant deux molécules, donc une, la valentoline, qui n’a rien à voir avec la ventoline, la valentoline, qui était qualifiée sur le site qui faisait la promotion de son produit comme « une révélation qui signe la miséricorde de Dieu ». Une formulation rendant clair que ces essais cliniques mélangent des thématiques différentes — religieuses, mystiques — au-delà du cadre strictement légal.

Donc un essai clinique sauvage sur des patients comme le sida, on l’a connu. Dans le rapport de l’IGAS de 1995, on avait à la fois l’utilisation abusive du titre de docteur en médecine, de docteur en pharmacie, les publicités mensongères tirées à des dizaines de milliers d’exemplaires sur des plantes médicinales, la modification de l’utilisation d’un brevet d’un médicament sur une autre valeur thérapeutique, des menaces, aussi, faites sur les patients, des intimidations — on se souvient de l’affaire des corticoïdes utilisés comme traitement du sida — et puis, ce qui retient, en tout cas dans rapport de l’IGAS sur le sida, dans plusieurs fiches qui confinent totalement à l’escroquerie.

Affaire à suivre

Nous verrons, dans l’affaire du professeur Joyeux, dans quel cadre à la fois ordinal et surtout judiciaire se situe cette expérimentation en abbaye d’un patch contre la maladie de Parkinson.

Bien sûr, c’est extrêmement grave – le cadre légal dès la loi Jardé a resserré totalement la protection des personnes, encore plus que l’avait fait la précédente loi Huriet-.

Après l’alerte de l’ANSM sur le fait que cet essai devait s’arrêter et était en dehors totalement des clous posés par les autorités sanitaires, on verra quelles sont les retombées en termes juridiques. Et il faut bien comprendre que dans le cadre du sida comme dans le cadre du cancer ou des maladies neurologiques, il y a, au-delà de la dimension illégale, une dimension humaine compliquée de rapport à la médecine traditionnelle, si je puis dire, puisque la plupart de ces essais demandaient l’arrêt des traitements en cours. Nous verrons si c’était le cas dans l’affaire de l’abbaye du professeur Joyeux. Voilà.

C’était un petit intermède, coup de gueule, mais je pense que ces essais sont d’un autre âge, d’une autre dimension éthique et juridique et qu’il est incroyable qu’en 2019 on soit encore à lire des rapports sur ce type d’essai. Merci.

Voir tous les blogs du Pr Pialoux ici.

 

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