POINT DE VUE

Faut-il élargir la vaccination contre le HPV aux garçons?

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

31 octobre 2019

Pau, France La vaccination contre le papillomavirus humain (HPV) va-t-elle être élargie en France aux garçons? Alors que plusieurs pays (Etats-Unis, Australie, Belgique, Allemagne, Grande-Bretagne…) ont fait le choix de vacciner les filles comme les garçons avant les premiers rapports sexuels, les appels se multiplient en France pour suivre cette voie. La Haute autorité de santé (HAS) s’est penchée sur la question et devrait donner prochainement son avis. Elle vient de soumettre à consultation publique jusqu'au 27 novembre un projet de recommandation en faveur d'une vaccination élargie à tous les garçons de 11 à 14 ans[1].

« Le papillomavirus est responsable de nombreux cancers et d’autres maladies touchant l’homme et la femme. » C’est ainsi que débute l’ « Appel des 50 », signé en début d’année par un collectif de 50 sociétés médicales (académies, collèges, sociétés et syndicats médicaux) pour demander une vaccination universelle contre le HPV. Parmi elles figurent l’Académie de médecine, l’Académie de pharmacie, la Société française de pédiatrie ou encore la Société de chirurgie oncologique.

Dans cet appel, le collectif veut effectivement rappeler que le HPV est à l‘origine non seulement du cancer du col de l‘utérus, mais aussi des cancers de l'oropharynx, de la cavité buccale et de l’anus, en plus de provoquer des verrues génitales. « Un tiers des cancers liés aux HPV et la moitié des verrues génitales touchent les hommes ».

L’élargissement de la vaccination aux garçons permettrait aussi de compenser la couverture vaccinale très insuffisante observée chez les filles (21% en 2018 alors que l’objectif du plan cancer est d’atteindre 60%), avance également le collectif, qui réclame « la mise en œuvre d’une politique vaccinale ambitieuse pour les jeunes filles et les garçons »

La Commission technique des vaccinations (CTV) de la HAS a depuis été saisie pour évaluer la pertinence d’une vaccination universelle contre le HPV. « Avant de devenir définitif, son avis sera soumis à la consultation publique d’ici quelques semaines », a précisé la HAS, auprès de Medscape édition française.

Dr Christian Jamin

Au cours du congrès Infogyn 2019, le Dr Christian Jamin, médecin gynécologue à Paris, est intervenu pour évoquer ce sujet [1]. Nous l’avons l’interrogé pour connaitre son point de vue.

Medscape édition française: Quels sont, selon vous, les arguments majeurs justifiant l’élargissement de la vaccination contre le HPV aux garçons?

Dr Christian Jamin: Le taux de vaccination des filles contre le HPV est très faible en France. On estime qu’il s’élève à moins de 30%. Vacciner les garçons aurait, dans ce contexte, un bénéfice majeur. Cela permettrait de réduire la circulation du virus et contribuer ainsi à mieux protéger la population féminine contre le cancer du col de l’utérus. Il s’agit là de l’argument principal. On a aussi l’expérience d’autres pays qui ont déjà instauré une vaccination universelle, comme l’Australie, où le cancer du col de l’utérus est en voie d’éradication.

D’autre part, le virus HPV est à l’origine de près de 1 300 cancers des voies aériennes supérieures par an chez l’homme, contre 380 chez les femmes. Des cancers que l’on attribue désormais de manière indiscutable aux rapports sexuels oraux-génitaux, autant chez les hommes, que chez les femmes. Une récente étude américaine a montré que l’incidence des cancers de l’amygdale lié au HPV a doublé en dix ans. En population générale, elle est même devenue supérieure à celle des cancers du col de l’utérus. Dans ce contexte, il apparait nécessaire de vacciner également les garçons, d’autant plus qu’on ne dispose pas encore de moyen de dépister ce type de cancer.

Par ailleurs, le vaccin contre le HPV protège contre le cancer de l’anus, en progression dans les deux sexes. Ce cancer est aussi lié aux rapports sexuels. Aux Etats-Unis, son incidence a plus que doublé en 30 ans. Il est beaucoup plus fréquent chez la femme, avec près de 1 000 cas par an en France, contre 400 cas environ chez l’homme [à titre comparatif, on enregistre 3 000 nouveaux cas de cancer du col de l’utérus chaque année, ndr].

C’est d’ailleurs pour cette raison que la vaccination contre le HPV est recommandée en France pour les hommes homosexuels. Pourquoi ne pas se limiter aux populations à risque?

Dr Jamin: Parce que ce n’est pas une stratégie efficace. On sait depuis longtemps qu’une vaccination ciblée ne fonctionne pas pour lutter contre une infection. Par exemple, dans le cas de la rubéole, on a commencé par vacciner les femmes avant la grossesse [la rubéole est une infection qui peut s’avérer très grave en cas de transmission de la mère au foetus, ndr]. La protection n’était pas suffisante. On a fini par vacciner les enfants de manière systématique pour limiter suffisamment la circulation du virus et protéger ainsi toutes les femmes enceintes.

Dans le cas des hommes homosexuels, la vaccination contre le HPV n’est pas vraiment efficace, car en général elle est envisagée assez tard, lorsque la vie sexuelle a déjà commencé [la vaccination est recommandée chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) jusqu’à l’âge de 26 ans, ndr]. Rappelons que cette vaccination a surtout un intérêt avant le premier contact avec le virus et donc avant les premiers rapports sexuels. Il est rare que les garçons se déclarent homosexuels avant une première expérience. Et, je doute que les parents en viennent à vacciner leurs enfants, en anticipant une potentielle orientation homosexuelle. Cibler les garçons homosexuels n’est clairement pas une bonne idée.

 
Cibler les garçons homosexuels n’est clairement pas une bonne idée. Dr Christian Jamin
 

Concernant les cancers oro-pharyngés, on ne sait pas encore très bien comment ils se développent. Comment peut-on alors être assuré que le vaccin sera efficace ?

Dr Jamin: La carcinogenèse est effectivement mal connue dans le cas des cancers des voies aériennes supérieures. Par exemple, on n’a pas de données précises sur le délai entre l’infection par le HPV et le développement des lésions cancéreuses. Ce type de cancer a aussi une particularité assez problématique dans le cas de cette stratégie vaccinale: il se développe souvent sans passer par des lésions pré-cancéreuses. Or, pour le cancer du col de l’utérus, l’efficacité du vaccin contre le HPV s’est basée sur sa capacité à réduire les lésions pré-cancéreuses. Il a fallu 20 ans pour vérifier qu’il y avait effectivement une répercussion sur l’incidence du cancer.

Nous n’avons donc pas encore la preuve irréfutable de l’intérêt du vaccin en prévention des cancers ORL. Mais, plusieurs éléments permettent d’envisager sérieusement cette stratégie. Tout d’abord, le lien avec l’infection au HPV est établi. Même, si on ne peut pas dépister l’infection par le HPV dans les voies ariennes supérieures, des recherches ont montré que le risque relatif de cancer dans cette zone est multiplié par 274 lorsqu’on est positif à l’oncoprotéine E6 du HPV. Par ailleurs, il a été observé une hausse du taux d’anticorps dirigés contre ce virus au niveau des voies aériennes supérieures avec l’utilisation du vaccin quadrivalent contre le papillomavirus. De même, de récentes études ont montré que le vaccin permet une nette réduction de la prévalence des infections à HPV au niveau oral.

Si la vaccination des garçons est approuvée, quel serait le schéma vaccinal ?

Dr Jamin: Il n’est pas encore déterminé. Il est fort probable qu’il soit calqué sur celui des filles, avec un schéma à deux doses de vaccin espacées de 6 à 13 mois entre 11 et 14 ans. Entre 15 et 19 ans, le schéma vaccinal prévoit l’injection de trois doses.

Le Dr Christian Jamin a déclaré des liens d’intérêt avec Effik, MSD France, MSD Vaccins, HRA Pharma, Laboratoire CDD.

 

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