Copenhague, Danemark -- Comment porter son choix vers des AOD plutôt que vers des antivitamines K (AVK), ou inversement, face à un patient atteint de fibrillation auriculaire (FA) ? Différents essais cliniques ont comparé et continuent de comparer les performances et les effets indésirables des anticoagulants oraux directs (AOD) et des AVK dans diverses situations. Une étude danoise a suggéré, par exemple, que le risque d'infarctus du myocarde est moins élevé chez un patient atteint de FA sous AOD que sous AVK. Aujourd'hui, une autre étude observationnelle danoise montre que les AOD sont associés à un moindre risque de fracture ostéoporotique que la warfarine.
Les résultats sont détaillés dans le Journal of the American College of Cardiology[1].
Les investigateurs ont analysé le risque à deux ans de fracture ostéoporotique chez plus de 37 000 patients atteints de FA, en comparant ceux sous AOD à ceux traités par AVK. Ils ont ainsi mis en évidence que les AOD présentaient un risque relatif de fracture ou d'initiation d'un traitement ostéoporotique diminué de 20 %.
« Je pense que les médecins doivent être informés de cette association entre les AVK et les fractures
ostéoporotiques. Aussi, ils devraient envisager de remplacer les AVK par des AOD pour les patients à risque d'ostéoporose ou de fracture ostéoporotique », a expliqué le premier auteur de la publication Casper Binding (Université de Copenhague, Danemark) à nos collègues de the heart.org/Medscape Cardiology.
Faire le tour du sujet
Habituellement, les patients atteints de FA sont mis sous warfarine, un traitement qui a été associé dans plusieurs études à une faible densité osseuse et potentiellement à un risque augmenté de fracture, écrivent les auteurs [2,3,4,5,6].
Sans impact sur la synthèse de l'ostéocalcine, les AOD sont des molécules plus récentes « dont on a montré la non-infériorité voire même la supériorité par rapport aux AVK dans certains cas » concernant le risque d'AVC/ d'embolie systémique et le risque de saignement important.
Casper Binding et ses collègues expliquent que leur motivation pour conduire cette étude est venue de la lecture une étude « intrigante »[6] qui comparait le risque de fractures chez des patients atteints FA traités avec dabigatran versus warfarine. « Les patients atteints de FA sont en général âgés et les fractures ont un impact délétère important sur leur santé », rappelle Casper Binding. D'autres études ont établi un lien entre les AVK et une faible densité osseuse, mais le tour de ce sujet «important » n'avait pas été fait.
Pour cette analyse, les chercheurs ont utilisé le Registre National Danois afin d’identifier tous les patients atteints d'une FA non valvulaire pour lesquels étaient prescrits pour la première fois soit des AVK soit des AOD (dabigatran, rivaroxaban, apixaban ou erdoxaban) (n=61 099). Les patients devaient être âgés entre 30 et 100 ans et devaient avoir été suivis 180 jours après leur première prescription d’AVK ou AOD et pour une durée de deux ans, sauf événements tels que l'émigration, le décès....
Les chercheurs ont identifié cinq critères d'évaluation : survenue d'une fracture, survenue d'une fracture ostéoporotique sévère, survenue d'une fracture du col du fémur, initiation d'un traitement contre l'ostéoporose. Le cinquième critère est une combinaison de deux autres critères « survenue d'une fracture ou initiation d'une médication contre l'ostéoporose ».
Un lien avec le régime alimentaire ?
Sur les 37 350 personnes incluses dans l'étude, 67,4% étaient sous AOD et 32,6 % sous AVK, avec un âge médian plus élevé pour les patients prenant un AOD (73 ans [67-81] vs 72 [67-81] pour les AVK ; P<0,001) et une plus grande proportion de femmes dans le groupe AOD (44,1% vs 38,2% ; P<0,001).
Un plus grand nombre de patients dans le groupe AOD avait eu une fracture auparavant (4,1% vs 2,9 % ; P<0,001).
A deux ans, le traitement par AOD est associé à une réduction du risque absolu et du risque relatif pour les 4 critères d’évaluation en comparaison aux AVK.
Critères d'évaluation sur la survenue de fracture à deux ans
Critère d'évaluation |
Groupe AOD |
Groupe AVK |
Risque relatif, AOD vs AVK |
Survenue d'une fracture |
3,09 [2,85-3,33] |
3,77 [3,37-4,19] |
0,85 [0,74-0,97] |
Survenue d'une fracture ostéoporotique sévère |
2,29 [2,02-2,49] |
2,82 [2,46-3,19] |
0,85 [0,72-0,99] |
Initiation d'un traitement contre l'ostéoporose |
2,44 [2,22-2,66] |
3,14 [2,79-3,51] |
0,82 [0,71-0,95] |
Survenue d'une fracture |
5,21 [4,90-5,52] |
6,43 [5,89-6,94] |
0,84 [0,76-0,93] |
Réduction du risque absolu à deux ans
Critère d'évaluation |
Réduction du risque absolu à deux ans en % |
Survenue d'une fracture |
-0,68 [1,17-0,21] |
Survenue d'une fracture majeure ostéoporotique |
-0,53 [0,94-0,13] |
Initiation d'une médication contre l'ostéoporose |
-0,71 [1,12-0,30] |
Survenue d'une fracture |
-1,22 [1,82-0,64] |
« Cela revient à constater 6,8 fois moins de fractures ostéoporotiques et 7,1 fois moins d'initiation d'un traitement anti-ostéoporotique pour 1000 personnes traitées par AOD pendant deux ans » soulignent les signataires de l'article.
Ils précisent cependant que bien que les HRs soient ajustés pour des variables pouvant avoir un impact sur la survenue de fractures et d'ostéoporose (maladie pulmonaire obstructive chronique, syncope, traitement hormonal substitutif, insuffisance cardiaque ou AVC), d'autres facteurs confusion n’ont pas été pris en compte.
Ces potentiels facteurs de confusion « pourraient être présents dans cette étude car non pris en compte (comme l'INR- International normalized ratio, l'indice de masse corporelle, l'hémoglobine et la fonction rénale) » écrivent-ils.
« Je pense que de nombreux facteurs peuvent influencer le profil osseux, mais quand il s'agit des AVK, je crois que les mécanismes biochimiques des AVK et les restrictions diététiques nécessaires en cas de traitement par AVK sont très importantes », a commenté Caspar Binding.
Les AVK inhibent la gamma-carboxylation des facteurs de coagulation II, VII, IX et X et sont liées à une sous carboxylation de l'ostéocalcine, une enzyme impliquée dans la densité minérale osseuse. Il en résulte donc une fragilité osseuse pour les patients traités par AVK, explique Caspar Binding.
De plus, les patients sous AVK ont des restrictions alimentaires, notamment pour les légumes, ce qui pourrait conduire à une moindre quantité d'apports en acide folique, induire une baisse de l'activité ostéoblastique et augmenter l'activité ostéoclastique, augmentant alors le risque d'hyperhomocystéinémie.
« Il est possible d'augmenter la prise alimentaire d'acide folique avec d'autres aliments, grâce aux fruits par exemple, mais je ne pense pas que les patients sous AVK soient encouragés à le faire, dans la mesure où c'est un aspect souvent délaissé » a-t-il ajouté.
Du côté de la biochimie
Dans un éditorial qui accompagne l'article [7], le Pr Brian Gage (Washington University School of Medicine, St Louis, Etats-Unis) considère que les auteurs « avaient une base biochimique forte pour chercher le lien entre les AVK et les fractures ostéoporotiques » et que leur « étude observationnelle bien faite apporte une preuve supplémentaire de ce lien ». Cependant, il met en garde sur le fait que des « facteurs de confusion résiduels aient pu exagérer l'association ».
C'est pourquoi, « au moins pour les patients atteints de FA et sans fracture ostéoporotique avant le traitement (c'est-à-dire la population étudiée), le choix de prescrire un AVK ou un AOD devrait dépendre des risques d'accident ischémique, d'hémorragie, du besoin de suivi et des ressources financières (ndlr : pour le coût des médicaments), plutôt que du risque de fracture ostéoporotique » a-t-il conclu.
Pour Casper Binding, au contraire, le « take-home message » de cette étude est que le profil osseux du patient doit être pris en compte quand on prescrit des AOD à des patients atteints de FA ».
Cet article est une traduction-adaptation par Marine Cygler de l’article DOACs Tied to Lower Fracture Risk vs Warfarin in AF publié le 22 octobre 2019 sur medscape.com.
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Citer cet article: AOD ou AVK, faut-il prendre en compte le risque de fracture ? - Medscape - 31 oct 2019.
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