La vape : outil de sevrage ? Deux addictologues témoignent

Stéphanie Lavaud

29 octobre 2019

France — En amont du Moi(s) sans tabac et dans le contexte de la vague de pneumopathies survenues aux Etats-Unis, les « pro vape » se sont mobilisés ces derniers temps pour défendre la cigarette électronique en tant qu’outil de sevrage efficace du tabac. Invités par le CRIVAPE (Centre de Recherche et d’Innovation pour la vape créé en 2016 à l’initiative du groupe industriel français Gaïatrend) à une table ronde intitulée « Arrêt du tabac : quel rôle actif pour le vapotage ? », les Drs Jean-Michel Delile, psychiatre addictologue dans un centre de soin à Bordeaux et Marion Adler, tabacologue à l’AP-HP, ont, tous deux, fait part de leur expérience avec l’e-cigarette [1].

Vapotage, moyen le plus populaire pour tenter d’arrêter de fumer

Pour ce qui est des chiffres, Santé Publique France fait état d’une prévalence tabagique de 26,9% en 2017 contre 29,4% en 2016 [2,3]. A cette baisse d’un million de fumeurs, plusieurs causes possibles et notamment les mesures prises en lien avec le Programme National de Réduction du Tabagisme du précédent gouvernement : paquet neutre, forfait de remboursement à 150€ des substituts nicotiniques, actions de mobilisation comme l’opération Mois Sans Tabac. « Des politiques de santé publique qui vont dans le bon sens » ont commenté en cœur les Drs Jean-Michel Delile et Marion Adler, mais qui n’intègrent pas le vapotage, autre explication probable à la baisse du nombre de fumeurs quotidiens, puisque c’est aujourd’hui le moyen le plus populaire pour tenter d’arrêter de fumer. Avec plus d’un quart (26,9%) des tentatives d’arrêt, le vapotage se situe largement devant l’usage des substituts nicotiniques qui bénéficient désormais du remboursement intégral.

Ce que confirme le Dr Dellile : « le premier support pour les gens c’est la vape. Et c’est toujours ce qui est choisi qui marche le mieux en matière d’addiction ». Sachant bien sûr que « le but ultime reste de se libérer complètement du tabagisme et à terme, de la dépendance à la nicotine » rappelle le Dr Adler.

La vape, porte d’entrée dans... une consultation de sevrage tabagique

En quoi la vape peut-elle être une étape vers le sevrage ? D’une part, de façon peut-être inattendue, en faisant entrer dans une consultation de sevrage tabagique. « Les gens se disent par exemple, je prends une cigarette électronique mais finalement je me rends compte que ce n’est pas totalement adapté, cela m’aide mais pas suffisamment car je continue à fumer, donc je suis vapo-fumeur. Pourquoi pas prendre l’avis d’un professionnel pour arrêter complètement ? Ou bien, je suis fumeur et je m’interroge sur la vape (en particulier avec tout ce qui se dit actuellement), donc je vais aller demander à un professionnel », témoigne le Dr Adler qui considère que les tabacologues ont un rôle d’accompagnement, d’une part, des vapoteurs avec d’autres moyens si nécessaires et, d’autre part, des patients vapo-fumeurs à arriver à être complètement sans cigarettes.  « Aujourd’hui, après avoir appris la vape à but de sevrage auprès des patients, je peux donner des conseils pour l’utiliser afin que ce ne soit pas aversif, et pour que ce soit efficace au maximum dès le départ (voir encadré)».

C’est toujours ce qui est choisi qui marche le mieux en matière d’addiction Dr Jean-Michel Delile

De la réduction des risques au sevrage

Autre expérience, mais conclusions similaires du Dr Delile qui voit dans son centre des usagers de tout type de produits : « Nous savons bien, et nous avons pu vérifier sur le terrain, que des personnes qui sont entrées dans un dispositif pour la réduction des risques peuvent être amener à changer d’objectif en cours de route, parce qu’elles reprennent confiance dans leur capacité à réguler leur consommation, et s’autoriser à dire « pourquoi ne pas aller un petit peu plus loin et pourquoi pas arrêter ?». Fort de son expérience dans le domaine des stupéfiants et de l’alcool, où, rappelle-t-il, l’échange de seringues et les traitements de substitution étaient, à l’origine, plus demandés par les usagers que par les professionnels, tout comme le baclofène dans le domaine de l’alcool, il considère, tout comme le Dr Adler que « quand il s’agit d’une initiative qui vient des patients eux-mêmes. On se dit alors que cela va être particulièrement porteur » affirme le président de la Fédération Addiction, pour qui « le vapotage, dans le cadre de la réduction des risques, peut constituer une porte d’entrée facilitatrice, pour certaines personnes, et les conduire à des objectifs d’arrêt. Et je crois que c’est ce à quoi nous sommes en train d’assister typiquement ».

Vaincre les craintes par la réalité de terrain

Comment expliquer les réticences et les idées fausses concernant la cigarette électronique ? Là encore pour le Dr Delile, on peut faire un parallèle avec les craintes concernant la mise à disposition de seringues ou du subutex – cela ne risquait-il pas de favoriser l’entrée dans la toxicomanie ? « Si l’hypothèse était bonne, la réalité a montré que ce n’était pas le cas, signale le psychiatre bordelais pour qui, au contraire, ce sont en fait des outils formidables pour aller vers le sevrage et le traitement. « Dans les centres de réduction de risque où nous voyons de gros fumeurs, nous proposons un vapotage de qualité, gratuitement grâce à un financement de l’Agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine. Les usagers l’expérimentent tous et on voit leur niveau de consommation de tabac qui s’effondre. On commence même à obtenir, dans ces populations extrêmement vulnérables d’un point de point psychologique et social, des sevrages, si j’ose dire, en douceur ».

Pas plus toxique que la cigarette

Le système réglementaire actuel offre-t-il des garanties de sécurité suffisante ? « Ce qui nous rassure nous quand on propose un sevrage grâce à la vape, c’est qu’on ne leur propose pas quelque chose de plus destructeur que la maladie qu’ils ont, à savoir la dépendance vis-à-vis du tabac, dont on sait à 100% que c’est toxique » considère Marion Adler. « A condition toutefois d’aller vers de la vape et des e-liquides normés, et surtout ne pas acheter au marché noir ou sur internet, des comportements qui mènent à la problématique qu’on a vu aux Etats-Unis avec des cas très graves et qui font beaucoup de tort ».

Le Dr Delile se veut, lui aussi, rassurant : « le système actuel offre de bonnes garanties de sécurité, en tout cas, d’une efficacité incomparable quand le comparateur est le tabac ». Et pour ce qui est des « effets indésirables » de la e-cigarette : « la direction générale de la santé (DGS) nous demande de signaler de façon systématique tout incident auxquels seraient confrontés les usagers du vapotage, et nous en voyons beaucoup. Pour autant, actuellement, il n’y a eu incident de ce type, et je pense que l’on peut faire l’hypothèse que c’est lié au fait qu’en France les produits sont contrôlés (Loi française de modernisation du système de santé de 2016 et déclaration obligatoire de la composition des e-liquides auprès de l’ANSES, ndlr). Il faut surveiller de près, mais ce serait marginal alors que la mortalité liée au tabac, elle, ne l’est pas.

Accompagnement individualisé

Y-a-t-il une durée idéale du vapotage ? «Pas de règle absolue en la matière, la prise en charge est individualisée affirme le Dr Delile qui reconnait l’existence d’une représentation sociale qui veut que « pour s’en sortir, il faut souffrir », mais « ce n’est pas le cas, affirme-t-il, quoi qu’il en soit, la qualité du lien est essentielle ».

« Pas de durée-type, confirme le Dr Adler qui rappelle : « notre but, ce n’est pas que les gens passent du tabac au vapotage mais qu’on les accompagne pour qu’ils se libèrent totalement du tabagisme, mais aussi de la vape – dans la mesure où ça ne les fait pas replonger dans le tabac. »

Conseils pratiques

  • En ce qui concerne l’achat de produits de vapotage : se rendre uniquement dans les magasins spécialisés dans la vape de façon à se procurer du matériel répondant aux normes, les préférer aux buralistes qui vendent aussi du tabac. Fuir le marché noir et Internet.

  • Dans une optique de sevrage, « trouvez les arômes et la quantité de nicotine qui vont bien, cela aide beaucoup » considère le Dr Adler, puis commencer par diminuer la fréquence de la vape avant de diminuer la quantité de la nicotine.

 

Le Dr Delile a déclaré des liens d’intérêt (transport, repas) avec AbbVie, Gilead Sciences, MSD, Indivior, Lundbeck, ViiV healthcare, Bouchara Recordati, Cepheid et BMS.

Le Dr Adler a déclaré des liens d’intérêt (transport, repas) avec Bouchara-Recordati, Pierre Fabre, Pfizer, EthyPharm, AstraZeneca.

 

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