
Christian Navarre
Rouen, France – L’accident survenu dans la nuit du 25 au 26 septembre dernier à l’usine Lubrizol a suscité une vague d’angoisse dans la population rouennaise. La mise en place d’une cellule d’accueil psychologique, déclenchée automatiquement après la catastrophe, a permis de rassurer. Entretien avec Christian Navarre, psychiatre au centre hospitalier du Rouvray (Sotteville-lès-Rouen, Seine- Maritime), responsable de la cellule d'urgence médico-psychologique de Haute-Normandie.
Eviter l’emballement collectif
Vers 3 heures du matin, un incendie a ravagé l'usine chimique de Lubrizol, classé Seveso II, à Rouen, en Seine-Maritime. Un impressionnant panache de fumée noire, opaque, noir et odorant s’est étendu sur une vingtaine de kilomètres aux alentours. S’attendant à un afflux de blessés et de personnes traumatisées, les secours ont mis en place une cellule psychologique d'urgence dès le 26 septembre au matin.
Une initiative d’autant plus bienvenue que, quelques heures après, l'annonce du décès de l'ancien Président de la République Jacques Chirac a détourné l'attention des médias de la catastrophe rouennaise, ce qui a nourri un sentiment d'abandon de la population, lequel aurait pu, sans intervention de la cellule d'accueil, se transformer en emballement collectif.
Décryptage avec le Dr Christian Navarre, qui a coordonné cet accueil d'urgence. Il décrit les symptômes des Rouennais, leur sentiment d’abandon, et comment cette cellule psychologique a permis de passer du chaos à la réalité.
Medscape édition française : Comment s'est mise en place la cellule psychologique d'urgence après l'incendie de l'usine Lubrizol ?
Christian Navarre : Très rapidement. Il faut savoir qu'il existe en France un réseau des cellules d'urgence médico-psychologique depuis les attentats de 1995. Dans chaque département, des professionnels de santé volontaires, déjà identifiés, se détachent de leurs obligations quotidiennes lors d'une catastrophe.
A Rouen, le réseau des volontaires a été activé par le Samu dans la nuit. Une cellule d'urgence a donc été mise en place dès le matin du 26 septembre. Etant moi-même témoin de l’accident –objectivement, c'était comme être sous un volcan –, je pensais qu'on aurait à gérer des victimes physiques et des morts. Cela n'a pas été le cas heureusement, mais au fil des jours on s'est rendu compte d'un désarroi de la population qui a eu l'impression, fausse, que les autorités ne se préoccupaient pas de son sort.
A la demande des élus locaux, de l'Agence Régionale de Santé (ARS) et de la Préfecture, cette cellule d'urgence a été transformée en accueil citoyen qui a reçu une cinquantaine de personnes jusqu'à sa fermeture le 11 octobre dernier.
Medscape édition française : Vous dites que le silence médiatique a été source de chaos psychique pour la population. Pourquoi ?
Christian Navarre : Avec l'annonce du décès de Jacques Chirac, les médias se sont désintéressés d'un instant à l'autre de ce qu'il se passait à Rouen. La population a eu l'impression de ne plus exister : les gens qui sont venus étaient inquiets pour leur santé mais aussi ils témoignaient d'un sentiment d'abandon. Dans les situations de crise, les médias sont très importants. Il y a une distorsion cognitive à cause des décharges l'adrénaline et du cortisol liées au stress. L'émotion prévaut, les certitudes prennent le pas sur le raisonnement. A ce moment-là, les gens ont allumé la télévision pour comprendre et il n'y avait rien sur Rouen. Or les médias sont importants pour ne pas tomber dans l'irrationnel et éviter l'embrasement psychique et les théories complotistes.
Medscape édition française : De quoi souffraient les personnes qui ont poussé la porte de l'accueil citoyen ?
Christian Navarre : On ne peut pas parler de symptômes pathologiques mais il y avait une grande angoisse avec des ruminations, un état de confusion et des débuts de théories complotistes. Dans les jours qui ont suivi l'incendie, l'ambiance était étrange : la ville avait été désertée par les journalistes mais aussi par les Rouennais qui s’étaient réfugié ailleurs dans leur famille et ceux qui avaient profité du week-end pour aller en bord de mer. Une ville presque vide donc. Dans ce contexte, ceux qui restaient étaient à la limite de la panique collective par manque d'informations. Cet accueil psychologique a permis de passer du chaos à la réalité : c'est ce qu'on appelle la résilience, qui permet après avoir assisté à un événement impressionnant, de reprendre sa vie normalement.
Medscape édition française : Deux semaines après la fermeture de l'accueil citoyen, quel bilan tirez-vous de son utilité ?
Christian Navarre : Il n'y avait pas une nécessité médicale. Ce n'était pas de la « médecine » mais le dispositif a permis d'abaisser la pression psychique collective dans un moment d'angoisse et de rumination. Il était important de créer un lieu de rassemblement : les personnes étaient accueillies autour d'un café chaud pour un débriefing collectif. Il faut aussi que le dispositif s'arrête, cela fait, partie de la résilience, et que les gens fassent appel aux structures habituelles de prise en charge psychologique.
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Citer cet article: Lubrizol : quel soutien psychologique à Rouen après l’incendie ? - Medscape - 28 oct 2019.
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