POINT DE VUE

Vapotage : faut-il l’interdire dès maintenant ?

Dr Colas Tcherakian

Auteurs et déclarations

22 octobre 2019

« A ce jour, aucun cas de syndrome de détresse respiratoire après vapotage n’a été identifié sur le sol français. Mais est-ce une raison suffisante pour ne rien faire ? » demande le Dr Colas Tcherakian, pneumologue à l’hôpital Foch. Faut-il, dès maintenant, interdire la cigarette électronique en France ?

TRANSCRIPTION

Je voudrais partager avec vous mes inquiétudes concernant la cigarette électronique. Vous le savez, ou peut-être pas, depuis plusieurs semaines des messages d’alerte arrivent en provenance des États-Unis témoignant de plusieurs cas de patients — aujourd’hui plus de 1000, souvent jeunes — qui ont fait un syndrome de détresse respiratoire après avoir vapoté. Le syndrome de détresse respiratoire est une destruction du poumon qui est telle que vous ne pouvez plus vous oxygéner par vous-même et on est obligé de vous oxygéner à l’aide d’une machine, le temps que vos poumons arrivent à se réparer — ou non. Quinze jeunes sont décédés dans les suites de ce syndrome.

Alors pourquoi ces centaines, voire milliers de patients sont touchés après vapotage ? C’est une question qui est en cours de résolution et elle a été un des thèmes abordés au congrès de l’ERS (European Respiratory Society) 2019 où des données ont été discutées [1,2,3] sur ce syndrome de détresse respiratoire après vapotage. En réalité, malgré tous nos efforts, nous n’arrivons pas à comprendre le mécanisme qui, après vapotage, conduit aux lésions pulmonaires. Il y a plusieurs hypothèses et en particulier il est clair que les liquides contenaient souvent du tétrahydrocannabinol, mais pas toujours, et aujourd’hui les hypothèses sont vraiment multiples, mais aucune ne satisfait à l’ensemble des observations.

Premier point : le seul élément en commun est le vapotage.

Deuxième point : c’est un mécanisme toxique, c’est clair, lié au vapotage toujours, sans que l’on puisse identifier dans le liquide quel élément l’a déclenché.

Il y a, de façon étonnante, une vraie césure entre la France, l’Europe et les États-Unis : il semble que les liquides européens soient soumis à plus de vérifications et pour l’instant il n’y a pas de cas déclarés en France. Les autorités envoient aux pneumologues, sans arrêt, des éléments d’alerte et nous demandent de recueillir tous les cas qui pourraient ressembler à ce type de syndrome de détresse respiratoire. Aujourd’hui, à ma connaissance, aucun n’a été identifié sur le sol français. Mais ma question est : est-ce une bonne raison pour ne rien faire ? Car aujourd’hui, la vraie question est : si c’est arrivé aux États-Unis, il ne faut pas imaginer que cela n’arrivera pas, un jour aussi, chez nous. Même si les liquides sont soumis à plus de vérifications, il semble qu’en réalité les patients qui ont souffert du syndrome de détresse respiratoire avaient manipulé leur propre liquide et donc il est fort à penser que cela arrivera probablement ici. Je rappelle que nous avons des jeunes qui sont particulièrement imaginatifs. On peut tout à fait leur donner le crédit qu’un jour ils arriveront à manipuler eux aussi leur liquide pour obtenir, par exemple, des effets chicha avec la libération, eux aussi, de tétrahydrocannabinol ou d’autres substances. Donc je crois que la réponse derrière laquelle se cachent les autorités, qui est « ça n’arrive pas en France parce que les liquides sont soumis à surveillance », n’est pas une bonne réponse.

Autre élément : c’est la Société de Pneumologie de Langue Française qui, finalement, donne comme message de sécurité qu’il ne faut pas laisser les gens qui ne fument pas la cigarette commencer la cigarette électronique. De toute façon, cela me semblait déjà, au départ, un message de bonne pratique, étant donné que nous savons que la cigarette électronique n’est pas sans danger — les études s’accumulent pour le dire.

 
Il ne faut pas laisser les gens qui ne fument pas la cigarette commencer la cigarette électronique.
 

Donc aujourd’hui, la question est : ne devrait-on pas, en France — et en Europe, d’ailleurs — interdire la cigarette électronique, en sachant que l’ERS, pour le coup donc l’ensemble de la communauté européenne des pneumologues, a été très claire là-dessus, sur le fait que la cigarette électronique est à ranger avec la cigarette et donc à bannir. Et c’est vrai qu’il y a un delta avec les recommandations françaises aujourd’hui. Alors est-ce du laxisme de la part des autorités françaises, et des pneumologues que nous sommes, de ne pas être plus véhéments dans nos allégations pour interdire la cigarette électronique ? C’est une question à laquelle j’ai ma propre réponse. Je vous invite, vous aussi, à faire le bilan des données. Je vous mets en lien les messages que nous avons reçus, l’article vers le NewEnglandJournal of Medicine[1,2,3] montrant les cas, et ce que nous savons déjà sur ce type de lésions toxiques. Et je vous laisse faire votre idée sur, finalement, la notion de bénéfice/risque qui doit nous guider, aujourd’hui, dans notre choix de proposer ou non, ou de défendre ou non, la cigarette électronique. Je vous remercie et j’espère que cela vous a aidé à cheminer sur cette question.

 

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