Quel avenir pour la greffe d’utérus en France?

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

21 octobre 2019

Pau, France —  Alors que la première femme opérée avec succès à l’hôpital Foch, à Suresnes, devrait bientôt recevoir un transfert embryonnaire, la question de l’avenir de la transplantation utérine en France a fait l’objet d’un débat organisé au congrès Infogyn 2019 . Avec la participation du Pr René Frydman (hôpital Foch, Suresnes), impliqué dans un protocole de recherche sur la transplantation utérine à partir de donneuses vivantes. Les interrogations autour de l’origine du greffon y ont pris une place prépondérante.

Faut-il réaliser la greffe d’utérus à partir d’une donneuse décédée ou privilégier une démarche avec une donneuse vivante? Ou alors, laisser le choix entre deux approches ? Si les nombreuses équipes travaillant sur la transplantation utérine au niveau mondial ont dû faire un choix au moment d’initier leur recherche, ces questions, qui soulèvent des problèmes techniques, mais aussi éthiques, sont toujours au coeur des débats sur la transplantation utérine.

Donneuse décédée ou donneuse vivante?

En France, deux équipes se sont lancées dans ce type de greffe dans le cadre d’un protocole de recherche. Au CHU de Limoges, l’équipe des Drs Tristan Gauthier et Pascal Piver se prépare pour la transplantation utérine à partir de donneuses en état de mort cérébrale. Ils ont reçu une autorisation pour un essai clinique portant sur huit greffes. De son côté, à l’hôpital Foch de Suresnes, le Pr Jean-Marc Ayoubi et ses collègues ont reçu le feu vert pour traiter dix femmes, à partir de donneuses vivantes apparentées.

La première greffe d’utérus a été réalisée avec succès en mars dernier à l’hôpital Foch, chez une femme de 34 ans, née sans utérus. La donneuse, âgée de 57 ans, est sa mère. « Le délai de six mois après la greffe étant écoulé, nous allons bientôt procéder au transfert embryonnaire », a précisé le Pr Frydman, membre de l’équipe, lors de sa présentation.

Considérée comme une alternative à la gestation pour autrui (GPA), la transplantation utérine pourrait bénéficier aux femmes nées sans utérus et à celles qui ont dû subir une hystérectomie. « L’infertilité utérine concerne une naissance sur 4 500. En comptant les hystérectomies, on estime que 200 000 femmes pourraient bénéficier d’une greffe d’utérus en Europe. »

 
Le délai de six mois après la greffe étant écoulé, nous allons bientôt procéder au transfert embryonnaire. Pr René Frydman
 

Selon le bilan le plus récent, 70 greffes d’utérus ont été jusqu’à présent réalisées dans le monde, dans la majorité des cas à partir de donneuses vivantes. Elles ont permis 18 naissances de bébés en bonne santé. La première naissance a eu lieu en 2014 en Suède, où neuf femmes ont été transplantées dans le cadre d’un essai clinique pour évaluer la greffe à partir de donneuses vivantes.

15 heures d’opération pour la première greffe

Le prélèvement sur donneuse vivante a été longtemps privilégié par les équipes de recherche, avant que deux naissances soient récemment obtenues à partir de donneuses décédées au Brésil et aux Etats-Unis, a expliqué le Pr Frydman.

La procédure à partir de donneuse vivante a ses inconvénients. Tout d’abord, elle est plus complexe d’un point de vue opératoire, avec un temps de chirurgie beaucoup plus long. A l’hôpital Foch, il a ainsi fallu dix heures d’opération pour prélever l’utérus, puis cinq heures pour le greffer.

Le prélèvement représente aussi un risque non négligeable pour la donneuse. Dans les expériences menées au niveau international, le taux de complications pour les donneuses atteint 10% (lacération urétrale, fistule urétro-vaginale, hypotonie de la vessie…). Du côté de la receveuse, le taux d’échec de la transplantation s’élève à 25%.

A l’hôpital Foch, l’équipe a bénéficié de l’expertise des chercheurs suédois pour sa première greffe. « Le protocole est lourd », a souligné le Pr Frydman. « En plus d’appliquer des critères d’éligibilité stricts, il implique d’obtenir au préalable un nombre suffisant d’embryons et nécessite, par conséquent, la participation de plusieurs équipes pluridisciplinaires. »

 
Le protocole est lourd  Pr René Frydman
 

Le protocole prévoit d’obtenir les naissances par césarienne. Les patientes seront à nouveau opérées  pour retirer l’utérus dans un délai de cinq ans, après une ou deux naissances. « Au-delà de ce délai, il existe un risque de dysplasie du col de l’utérus sous l’effet d’un traitement prolongé par immunosuppresseur », a précisé le Dr Marie Carbonnel, membre de l’équipe de l’hôpital de Foch, lors d’un échange avec le public.

Consentement de la donneuse devant le juge

Le recours à une donneuse vivante doit respecter certaines règles, a rappelé, pour sa part, la juriste Claudine Bergoignan-Esper, qui participé à la rédaction d’un rapport de l’académie de médecine sur la transplantation utérine [2]. « Un comité d’experts doit vérifier que la donneuse a bien mesuré les risques et les conséquences. La donneuse doit aussi donner son accord devant le Tribunal de grande instance ».

Ce type de don amène aussi à s’interroger sur plusieurs aspects éthiques. « Quelle  est la liberté pour la donneuse vivante au consentement au don lorsqu’elle est la mère de la receveuse ? N’agit-elle pas inconsciemment sous l’effet d’une culpabilité vis-à-vis de l’infertilité de sa fille ? », s’interroge Claudine Esper. « Et, quelle sera la réaction de l’enfant lorsqu’il apprendra qu’il est né à partir de l’utérus d’une autre femme que sa mère ? »

Pour le Pr Frydman, « la question de la dette envers le donneur mérite une appréciation initiale, comme pour tout don issu de donneur vivant. Cette situation peut générer des tensions et des difficultés relationnelles. A l’avenir, le don d’utérus devrait certainement s’ouvrir aux donneuses décédées. Même si cela implique une organisation plus complexe, il y aurait moins de complications et moins de risque d’un point de vue relationnel. »

Considérée comme plus sure, la greffe à partir de donneuse décédée est aussi plus simple à réaliser et permet un prélèvement élargi du greffon. Interrogé par Medscape édition française pour réagir aux premiers résultats de l’équipe suédoise, le Dr Gauthier du CHU de Limoges a précisé que « contrairement au prélèvement sur donneuse vivante, la chirurgie sur donneuse décédée permet la sélection de l’ensemble de la vascularisation de l’utérus ».

 
La transplantation utérine est devenue une réalité. Elle offre un traitement à l’infertilité utérine  Pr René Frydman
 

Le remboursement en question

Ce type de greffe a néanmoins l’inconvénient majeur de nécessiter une organisation beaucoup plus complexe, impliquant la filière du don d’organes à partir de donneur en état de mort cérébrale. « Dans ce cas, le prélèvement de l’utérus n’est pas prioritaire, ce qui pose la question de la qualité du greffon », a souligné le Pr Frydman. Le bilan pré-greffe pour évaluer la qualité de l’organe est aussi plus compliqué après un décès.

Le choix entre les deux approches est encore loin d’être fixé et va dépendre des résultats obtenus par les deux équipes françaises. « On ne doit pas opposer donneur vivant et donneur décédé », a réagi, pour sa part, le Dr Carbonnel. « Il vaut mieux considérer ces deux procédures comme complémentaires. Si on ne peut pas aider une femme à obtenir une grossesse avec un donneuse vivante, il faut pouvoir l’aider avec une donneuse décédée ».

« A l’hôpital Foch, nous avons reçu une centaine de demandes de greffe utérine », poursuit la gynécologue.  « Pour le moment, notre protocole est ouvert aux donneuses apparentées et se restreint à la famille et aux amies. Dans beaucoup de cas, le don n’est pas compatible. Plutôt que de laisser ces femmes de côté, on espère bien à l’avenir leur proposer une greffe à partir de donneuse décédée ».

Si la transplantation utérine se limite pour le moment aux essais cliniques, les conditions de sa mise en pratique devraient encore faire l’objet de longs débats. D’autant plus que la technique apparait suffisamment viable pour être proposée dans un avenir proche. « La transplantation utérine est devenue une réalité. Elle offre un traitement à l’infertilité utérine, avec des résultats très encourageants », a commenté le Pr Frydman.

Il faudra encore se positionner sur les perspectives d’un remboursement pour une opération de procréation médicalement assistée certainement très onéreuse. Le profil des femmes pouvant en bénéficier devra également être défini. Avec une autre interrogation qui ne devrait pas laisser indifférent: peut-on ouvrir cette option aux hommes transsexuels après un changement de sexe?

 

 

 

 

 

 

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