France – Si la crise des urgences fait l'objet de toutes les attentions médiatiques et politiques, celle de la psychiatrie, non sans lien avec les urgences et pas moins critique, suscite pourtant moins l'intérêt. Pour autant, un récent rapport parlementaire de la Commission des affaires sociales sous la houlette de députés Caroline Fiat (La France Insoumise) et Martine Wonner (LREM), rendu public fin septembre, rappelle combien il est urgent de réformer ce secteur. Rappelons que l’une est aide-soignante, et l’autre, médecin psychiatre, respectivement.
Ce rapport parlementaire plaide pour la mise en place d'une politique nationale dans le secteur de la psychiatrie et de santé mentale, pilotée par une agence interministérielle. L'objectif pour les rapporteures est de déployer 80% des moyens de l'hôpital psychiatrique sur l'ambulatoire. Pourtant « non partisan », comme l’a rappelé Caroline Fiat, lors de l’examen du rapport de la mission d’information, le rapport a aussi été diversement apprécié, pour ne pas dire vertement accueilli par le Syndicat des psychiatres des hôpitaux qui considère qu’il n’apporte rien, sinon du « catastrophisme » à une spécialité déjà boudée par les internes.
Un secteur qui concerne une grande partie des Français
Le secteur psychiatrique concerne une grande partie des Français, quelques chiffres suffisent à s’en convaincre. « Un Français sur trois souffrira de troubles mentaux », « le suicide entraine la mort de 10 000 personnes en France », les maladies psychiatriques et les traitements chroniques constituent le premier poste de dépenses de l'assurance maladie avec 23 milliards d'euros annuels.
Parallèlement, les maladies mentales représentent la première cause d'invalidité en France, les pathologies psychiques liées à la souffrance et à l'épuisement au travail sont en augmentation, tandis que l'errance diagnostique de la schizophrénie et des troubles bipolaires est évaluée respectivement à deux et dix ans.
Mission
Après le mouvement social de janvier 2019 intitulé "le printemps de la psychiatrie", qui a mis en lumière le malaise dans le secteur psychiatrique, la commission des affaires sociales a décidé́ le 4 avril 2019 la création d’une mission d’information sur l’organisation territoriale de la santé mentale. Les membres de la mission ont sillonné la France, du Val-de-Marne à la Haute-Vienne en passant par le Nord, tout en s'inspirant d'exemples étrangers, européens notamment pour dresser le bilan de l’état de la psychiatrie et proposer des solutions.
« Si j’ai souhaité être rapporteure sur cette mission, a expliqué Caroline Fiat le 18 septembre devant la Commission des Affaires Sociales, c’était pour savoir si la situation dans les hôpitaux psychiatriques était aussi catastrophique que ce que l’on entendait. Après de multiples déplacements pendant plusieurs mois, je crois que nous sommes en mesure de vous apporter la réponse…c’est encore pire que ce que, pour ma part, j’avais imaginé et c’est encore pire que dans les EHPAD [C. Fiat a été co-rapporteure d’une mission sur les EHPAD l’an dernier] ».
Pour en rendre compte, les deux rapporteures ont tenu à rendre hommage aux patients, à leur famille et aux soignants rencontrés. « Leur regard et leurs témoignages ont énormément apporté et ont nourri ce rapport ». Voici leurs mots, qui, disent-elles, « se suffisent à eux-mêmes » :
« On va presque aussi mal que les patients. »
« On dit aux familles venant pour un proche avec un comportement suicidaire : on ne peut pas accueillir dignement votre proche ici, prenez plutôt des jours de congés. »
« Faute de lits, on a renvoyé une dame, elle s’est jetée le soir même dans la Garonne. »
« Je manage une équipe au bord de la rupture. Pour la première fois, à quelques années de la retraite, j’envisage de quitter le service public hospitalier »
« On a le sentiment que ce qu’on fait ne sert plus à rien. »
« Avant, il y avait des difficultés. Maintenant, il y a de la souffrance. »
Un secteur qui reste trop hospitalo-centré
Si ce rapport se revendique avant tout comme « un manifeste politique et un cri d’alarme », il n'en établit pas moins un état des lieux « sévère mais plus que jamais d’actualité » de la psychiatrie, en revenant, dans un premier temps, sur ses réformes les plus récentes.
Ainsi la politique de sectorisation, initiée en 1960 et relancée en 1990 à l'occasion de la publication de la circulaire du 14 mars 1990, n'a pas atteint ses objectifs, à savoir se départir de l'hospitalo-centrisme pour offrir des soins primaires de santé mentale, au plus près des patients. La sectorisation a été supprimée par la loi HPST du 21 juillet 2009 puis réhabilitée par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
En même temps, en lieu et place de la sectorisation réhabilitée on instituait, via la loi de modernisation de 2016, les projets territoriaux de santé mentale (PTSM), « l’instrument qui permet de définir, et d’articuler les différentes actions que requiert la politique de santé mentale dans un espace géographique qui ne recoupe pas nécessairement celui défini par les secteurs ». Tout en relativisant l'importance sur les territoires de ce nouvel outil : seuls 7% de PTSM ont été conclus, se désolent les rapporteurs. À cela s'ajoutent des groupements d'établissements de santé introduits par la loi de 2016 et dénommés communautés psychiatriques de territoire (CPT). Sans oublier les conseils locaux de santé mentale (CLSM) – réunissant professionnels de santé et associations d'usagers – dont le développement a été encouragé par les lois HPST de 2009 et de modernisation de notre système de santé de 2016.
Profusion d'instances mais rareté des PU-PH
Cette profusion d'instances conduit à une gouvernance erratique du secteur de la psychiatrie et de la santé mentale. « Tout y est et pourtant, soixante ans plus tard, c’est un échec » peut-on lire dans le rapport.
Les rapporteures dénoncent un « mille-feuilles indigeste de structures et d’acteurs » qui va de pair avec un parcours de soins défaillant pour le patient : manque de fluidité entre la ville et l'hôpital, lacune des médecins généralistes en termes de diagnostic des troubles psychiques, prévention limitée, offre de soins non programmés insuffisante tout comme l'éducation thérapeutique, carence en solution d'aval notamment dans le secteur médico-social... Qui plus est, la baisse du nombre de lits d'hospitalisation, qui a diminué de moitié entre 1990 et 2016, ne s'est pas pour autant accompagnée d'un développement proportionnel de l'ambulatoire. Lequel s'est heurté à un tournant sécuritaire pris par les pouvoirs publics, dès 2004. « Alors qu'en 2012, 4,8% des patients étaient suivis sans leur consentement, ils représentaient 5,4% des patients en 2015 [...] Selon la même étude, les personnes hospitalisées sans leur consentement représentaient 24% de la file active des personnes hospitalisées à temps plein », établissent les rapporteurs. La rareté des PU-PH et l'inégale répartition des psychiatres sur le territoire, avec un rapport de 1 à 10 entre Paris et la Meuse, assombrit encore le tableau.
Miser sur le virage ambulatoire
Les auteures du rapport plaident pour la mise en place d'une politique nationale de psychiatrie et de santé mentale, pilotée par une agence interministérielle. Mais cette politique nationale ne sera effective que lorsque la psychiatrie aura réussi son virage ambulatoire : « Il est urgent de déployer des moyens importants sur les structures extrahospitalières, qu’elles soient sanitaires, sociales ou médico-sociales. Ces structures doivent être des structures d’aval mais également de prévention. » L'objectif pour les rapporteurs est de déployer 80% des moyens de l'hôpital psychiatrique sur l'ambulatoire.
Autres résolutions : mieux former les médecins généralistes à la santé mentale, tout en insistant sur le rôle que devront jouer les infirmiers, en particulier les infirmiers en pratique avancée. Aussi, le libre choix du patient doit être réaffirmé, ce que ne permet pas actuellement la politique de sectorisation.
Catastrophisme
Le rapport a été diversement apprécié lors de sa sortie. Dès sa rédaction, il a fait l'objet de points de vue divergents entre les deux rapporteures, Caroline Fiat et Martine Wonner (LREM). Ainsi Caroline Fiat s'est opposée au développement d'une offre en hospitalisation privée concurrente de l'hospitalisation publique que préconisait Martine Wonner, et a plutôt insisté sur un redéploiement des moyens financiers en faveur de l'hospitalisation publique.
Le rapport a été vertement accueilli par le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) : « l’organisation imaginée avec des niveaux supplémentaires de pilotage (coordonnateurs territoriaux, délégué interministériel, agence nationale) ajoute de la complexité, en méconnaissant les rôles des instances qui existent déjà : CPT, comité de pilotage de la psychiatrie, délégué ministériel santé mentale et psychiatrie, comité stratégique de santé mentale », détaille le SPH. Le syndicat de psychiatres ajoute que ce rapport n'apporte rien : « il ne traite pas la situation critique de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, il ajoute du catastrophisme pour une discipline qui peine à recruter et dont 17% des postes offerts n’ont pas été choisis par les internes, il ne suggère rien sur les moyens à apporter face à des files actives de patients qui augmentent de 5% chaque année alors que le gouvernement ne prévoit une progression de l’ONDAM pour les établissements de santé que de 2,1%. »
De son côté, sur le blog de l’association « Comme des fous », le psychiatre Mathieu Bellahsen (Moisselles), membre du collectif pour un Printemps de la Psychiatrie , dresse une analyse sévère. S’il reconnait à ce rapport, une ambition « plus démocratique, plus accessible, plus citoyenne » et note quelques points positifs (comme l’ouverture de la psychiatrie à la cité, le respect des libertés fondamentales et l’organisations des acteurs de terrain au plus près de leur territoire), il pointe aussi des contradictions, la principale étant de ne pas voir dans le sous-financement chronique, « l’une des raisons fondamentales du mal profond ayant participé à l’émergence du printemps de la psychiatrie et des luttes dans les hôpitaux psychiatriques ».
Peu ébloui par la « mission-flash », il lui prédit une fin dans les tiroirs déjà bien encombrés des gouvernements successifs.
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Citer cet article: Le nouveau rapport parlementaire sur la psychiatrie préconise de « sortir enfin la psychiatrie de l’hôpital » - Medscape - 18 oct 2019.
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