Annonce d’une mauvaise nouvelle en oncologie : que faire quand un patient commence à pleurer?

Bishal Gyawali

Auteurs et déclarations

18 octobre 2019

Kingston, Canada — Au travers de son expérience d’oncologue médical dans divers pays (asiatiques et occidentaux), le Dr Bishal Gyawali témoigne de ce qu’il a appris d’essentiel sur la façon d’annoncer une mauvaise nouvelle et comment s’adapter aux réactions des patients en tenant compte des spécificités culturelles de chacun.

L’auteur de cet article, le Dr Bishal Gyawali, est un oncologue médical. Au cours de sa « brève » carrière dans la médecine, il a eu l’occasion de travailler dans plusieurs pays. Il a démarré ses études de médecine au Népal, où il est né et où il a grandi. Il est ensuite parti au Japon, en 2012, pour se former à l’oncologie médicale. Cinq ans plus tard, en 2017, il retourne au Népal pour travailler comme oncologue médical avant de s'installer à Boston (Massachusetts), en 2018, avec une bourse de recherche. Depuis 2019, il vit et travaille à Kingston, en Ontario (Canada).

Que faire lorsque votre patient se met à pleurer?

Commencer un travail clinique dans un nouveau pays est toujours un défi, non seulement à cause des différences de systèmes de soins de santé, mais aussi à cause des différences culturelles qui façonnent la pratique de la médecine.

Quand j’ai été sur le point de travailler en oncologie dans les deux hôpitaux où j’exerce actuellement à l'Université Queen's au Canada, je ne m'inquiétais pas trop des protocoles de traitement ni des doses de médicaments. Les traitements contre le cancer changent rapidement – certains peuvent être modifiés littéralement du jour au lendemain à la faveur des grands congrès. Je savais que je pouvais toujours rechercher le traitement le plus approprié dans une situation donnée.

Se tenir au courant des derniers traitements contre le cancer est une chose, mais annoncer une nouvelle difficile – et adapter la façon dont elle est « administrée » en fonction de l'individu et de sa culture – en est une autre.

 
Se tenir au courant des derniers traitements contre le cancer est une chose, mais annoncer une nouvelle difficile...en est une autre.
 

Andrea a été l'un de mes premiers patients au Canada. Elle avait un cancer du côlon de stade III traité par chirurgie et chimiothérapie adjuvante. Malheureusement, sa tumeur a récidivé et ce fut à moi d’annoncer cette mauvaise nouvelle. Elle attendait à l’hôpital avec son mari. Je me suis d'abord présenté et nous avons parlé de Kingston, de la météo et de nos familles respectives. Je n’arrivais pas à trouver le courage de lui annoncer la nouvelle. Mais je devais. J'ai parcouru son cursus médical pour m’assurer qu'elle comprenait pourquoi elle avait reçu une chimiothérapie après une chirurgie. Puis, j'ai annoncé la mauvaise nouvelle : le cancer était revenu, sous la forme de plusieurs tâches dans le foie et les poumons.

Andrea était sous le choc. J’imagine qu'elle s'était imaginée guérie. Elle a commencé à pleurer. Son mari était silencieux, les yeux plein de désespoir. Je me tenais immobile, ne sachant pas quoi faire. Devrais-je lui tenir la main ou la serrer dans mes bras ? Devrais-je commencer à discuter des options de traitement dans le contexte métastatique, et peut-être donner un faux espoir en proposant une immunothérapie ? Ou devrais-je simplement lui passer des mouchoirs en papier et rester silencieux, puis quitter la pièce pour leur laisser à elle et à son mari, un moment de tranquillité ?

Que faire lorsque votre patient se met à pleurer?

Ça a été ma plus grande inquiétude quand j’ai commencé la clinique au Canada. Je sais comment traiter le cancer, mais je ne sais toujours pas comment réagir quand j’annonce aux patients la plus mauvaise des nouvelles : une rechute, un diagnostic d’incurabilité, un passage en soins palliatifs.

Donc quand le Dr Christopher Booth, mon mentor au Canada, m’a demandé si j’avais des questions sur la pratique clinique en oncologie, je lui ai demandé : que dois-je faire lorsque mon patient se met à pleurer ? Pour moi, c’était la question la plus importante. J’ai appris depuis, que dans les pays occidentaux, la plupart des oncologues témoignent de leur tristesse et de leur empathie avec des mots de réconfort ou un contact physique rassurant.
 

 
Je sais comment traiter le cancer, mais je ne sais toujours pas comment réagir quand j’annonce aux patients la plus mauvaise des nouvelles.
 

Orient versus occident

Quand je suis retourné au Népal en 2017 après 5 ans de formation au Japon, j’ai travaillé dans un hôpital public de Katmandou.

Ramesh, un homme de 45 ans, est arrivé à l’hôpital avec son frère. Il était envoyé pour une masse hépatique qui a révélé, après biopsie, un adénocarcinome métastasé. Une IRM suggérait que le pancréas était la localisation primaire de la tumeur. Au Népal, les services d’oncologie des hôpitaux publics sont bondés, et il n’y a que très peu, voire aucune, intimité, donc pas les conditions idéales pour avoir une conversation délicate. Le protocole SPIKES pour annoncer les mauvaises nouvelles n’est d’aucune aide dans la plupart des hôpitaux des pays à bas ou moyens revenus ; là-bas, la première étape « trouver de l’intimité » tombe littéralement à l’eau.

Pendant la visite, j’ai dit à Ramesh et à son frère que Ramesh avait un cancer pancréatique. Ils étaient tous les deux consternés. Après un silence, le frère a demandé « Etes-vous sûr, docteur ? », suivi de l’inévitable question « il ne boit pas et ne fume pas ; comment est-ce possible ? ». Il m’a fallu quelques minutes pour rassembler mon courage de lui dire que son cancer était incurable. Ramesh s’est mis à pleurer. Je ne savais pas quoi faire. Ce n’était pas un pays qui m’était étranger, c’était le Népal, mon pays et mes compatriotes. Je suis l’un deux, j’étais supposé savoir comment réagir dans cette situation et je n’en avais aucune idée.

J’étais face au même dilemme : devrais-je lui prendre les mains ou le prendre dans mes bras ? Mais, je n’avais jamais vu des médecins népalais donner l’accolade. Le frère m’a demandé si aller se faire soigner en Inde pouvait augmenter les chances de guérison.

Devrais-je encourager cette option, et me sortir de cette situation inconfortable même si je sais qu’un cancer métastatique est incurable, sans me préoccuper de combien cela va leur coûter, ni de la qualité des soins qu’ils vont obtenir ? Non, mes considérations éthiques ne me permettront jamais de faire cela.

 
Je comprends aujourd’hui que le plus important quand on doit annoncer une mauvaise nouvelle est de s’assurer que le patient sent que vous prenez vraiment soin de lui.
 

Devrais-je lui dire que je vais lui donner de la chimio et que peut-être ça le soignerait ? Non, je me dois d’être honnête et ne pas créer de faux espoirs.

Etre fort

Le soir, j’ai discuté avec un de mes collègues sur la façon dont il gère ce genre de scénario. Il m’a dit que les patients et leurs familles attendent de nous que l’on soit fort. Apparemment, si le médecin montre des signes d’empathie trop évidents, les patients peuvent croire que le pronostic est bien pire que ce qu’il n’est réellement. Nos patients au Népal semblent ressentir l'amour et l’attention que le médecin leur porte quand il utilise des mots forts évoquant le courage, un peu comme lorsque l’on ressent l'amour d'un parent au travers de ses mots sévères.

Après avoir digéré le diagnostic, Ramesh est revenue dans mon hôpital avec sa femme et ses deux enfants, et son frère. Il a choisi de suivre un traitement dans notre centre. Nous avons parlé de son pronostic et des options de traitement.

Alors que j’énumérai la liste des effets secondaires, il a éclaté à nouveau en sanglots. Je lui ai dit que j’allais faire de mon mieux pour l’aider et j’ai instinctivement posé ma main sur son dos. Il s’est mis à pleurer encore plus abondamment. Sa femme sanglotait aussi. Je me suis souvenu du conseil de mon collègue et j’ai essayé d’être fort, en lui donnant des conseils fermes et en montrant moins d’empathie que ce qui est coutume dans les pays occidentaux.

Je lui ai dit de penser à ses enfants. Je lui ai rappelé qu’il était le pilier de la famille. «Que fera votre famille si vous pleurez comme ça? Regardez votre femme et vos enfants et soyez forts pour eux». Ca a semblé fonctionner. Ramesh a arrêté de pleurer et m’a remercié.

 
Vers la fin de vie, il était plus important d’être là pour le patient et de prendre soin de lui comme une personne plus que comme un patient.
 

Il a reconnu que ce que je lui avais dit était vrai et affirmé qu'il ferait de son mieux pour rester fort et positif pour sa famille. A l’occasion de visites ultérieures, sa femme m’a également remercié.

Cette approche est totalement à l'opposé de la façon dont j'ai été formé. En fait, on risque même de perdre son emploi en Occident si on demande à un patient de cesser de pleurer. Mais cette approche semble fonctionner au Népal car l'empathie peut s'exprimer de différentes manières. Je comprends aujourd’hui que le plus important quand on doit annoncer une mauvaise nouvelle est de s’assurer que le patient sent que vous prenez vraiment soin de lui.

Le Japon, un cas encore à part

Au Japon, où j’ai passé 5 ans à me former à l’oncologie entre 2012 et 2017, la culture est encore différente du Népal et de l’Amérique du Nord. Au Japon, il n’est pas rare de voir des livres avec des titres comme « Qu’est-ce que la mort ? La mort est un renouveau, ou Illumination et Zen sur la table de chevet des patients hospitalisés pour cancer.

Parler de la mort n’est pas aussi tabou qu’en occident. Souvent, je conseillais les patients sur des problèmes relatifs à la fin de vie et le patient fondait en larmes, mais ensuite, lui et sa famille s’inclinaient et me remerciaient. Je me sentais profondément humble et triste d’être partie prenante de ces conversations. On avait à peine dit au patient qu’il allait mourir bientôt, que lui et sa famille nous répondaient « Aarigatou gozaimashita » ("Merci beaucoup").

Parfois, la famille nous apportait des souvenirs après le décès du patient pour nous remercier de nos soins. Et il n’est pas inhabituel pour un patient de dire « je suis heureux d’avoir pu vivre aussi longtemps. Docteur, vous avez fait de votre mieux. Ne vous inquiétez pas pour moi. Je partirai quand mon heure viendra ».

 
Même si la formation aide, les éléments les plus essentiels de l’annonce de mauvaises nouvelles – être empathique et sensible – ne s’apprend pas.
 

C’est comme si c’était les patients qui nous conseillaient d’être fort. Curieusement, néanmoins, le contact physique est rare au cours de ces échanges. Comme j’entendais quelqu’un dire « je vais me battre contre cette maladie », j’ai réalisé que les soins dans le domaine du cancer, ce n’était pas seulement faire des choses ; et que vers la fin de vie, il était plus important d’être là pour le patient et de prendre soin de lui comme une personne plus que comme un patient.

L’art de l’annonce

L’annonce de mauvaises nouvelles et les discussions en fin de vie sont parmi les points les plus délicats en oncologie. Malheureusement, la formation que l’on reçoit ne semble pas adéquate pour gérer de telles situations. Même s’il y a eu des tentatives pour standardiser l’annonce de mauvaises nouvelles, ce n’est pas une science exacte. C’est tout l’art de l’oncologie. Cela demande que nous soyons véritablement présents pour le patient qui est devant nous d’une façon qui témoigne de notre empathie mais qui soit aussi adaptée à sa culture.

Même si la formation aide, les éléments les plus essentiels de l’annonce de mauvaises nouvelles – être empathique et sensible – ne s’apprend pas. La connaissance peut s’obtenir de toutes parts, mais écouter et prendre véritablement soin d’un patient est quelque chose qui se construit et s’intègre, en s’inspirant de mentors.

Les protocoles et les recommandations peuvent aider, mais la richesse et la diversité des patients dont nous nous occupons nous rappelle que nous devons être flexibles, écouter nos patients, et respecter leurs valeurs et la culture qui est à l’origine de ces valeurs.

Chaque patient est différent

En évoquant ces histoires de patients issues de trois pays différents, je ne veux pas laisser entendre qu’une approche est meilleure qu’une autre ; chaque culture est différente et chaque patient au sein d’un même contexte culturel est lui aussi différent.

 
Devoir adapter notre façon d’annoncer une mauvaise nouvelle au contexte culturel du patient est la première étape du soin personnalisé.
 

Je ne veux pas non plus généraliser les aspects culturels de ces différents pays avec ce récit, mais plutôt souligner la richesse des expériences humaines et comment nous pouvons apprendre de nos cultures respectives pour continuellement affiner l’art du soin en oncologie.

Même si la plupart d’entre nous n’ont jamais exercé que dans un seul pays, nous pouvons témoigner de la diversité des patients, des besoins thérapeutiques et des réactions émotionnelles.

Sachant que chaque patient est différent (même au sein du même pays), devoir adapter notre façon d’annoncer une mauvaise nouvelle au contexte culturel du patient est la première étape du soin personnalisé, au pire moment pour eux.

C’est, pour moi, la vraie façon de faire de la médecine personnalisée.

La peur est la même chez chaque patient – la peur d’une mort imminente. Et la façon dont la culture d’un patient affecte sa réponse à cette peur et comment, nous, en tant que praticiens, nous adaptons notre approche en tenant compte de ces différences culturelles fait toute la beauté de l’exercice de la médecine – et la beauté d’être un humain.

  • Les prénoms des patients mentionnés dans cet article ont été changés.

Le Dr Bishal Gyawali travaille actuellement comme oncologue medical et scientifique dans le département “cancer et épidémiologie”, à l’Institut de Recherche sur le Cancer de Queen's University, Kingston, Ontario, Canada. Il souhaite dédier cet article à tous les patients dont il a eu le privilège de s’occuper à travers les pays. Avec des remerciements spéciaux aux Drs Christopher Booth, Saroj Niraula, Kazunori Honda, et la défenseuse des patients Sally Schott pour leurs suggestions utiles pendant l’écriture de cet article.

La version originale de l’article a été publiée en anglais sur Medscape Medical News le 25 septembre 2019 et traduite par Stéphanie Lavaud pour Medscape Edition Française.

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....