Cancer de la prostate métastatique résistant à l'hormonothérapie : la prise en charge évolue

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

16 octobre 2019

Barcelone, Espagne— Les résultats de deux essais de phase III, présentés en séance plénière au congrès de l’ESMO 2019, devraient modifier la prise en charge du cancer de la prostate métastatique résistant à l'hormonothérapie. Avec les commentaires du Pr Karim Fizazi (Professeur d’oncologie médicale à Gustave Roussy, Villejuif).

La première, l’étude PROfound a permis d’identifier un sous-groupe de patients qui pourrait bénéficier du traitement inhibiteur de PARP (poly-ADP-ribose-polymérase-1), l’olaparib[1,3].

Il s’agit de la première étude de phase III à avoir évalué un traitement par inhibiteur de PARP dans le cancer de la prostate métastatique résistant à la castration mais aussi de la première à avoir exploré l’intérêt des biomarqueurs génétiques pour guider le choix thérapeutique.

L’autre, l’étude randomisée de phase III CARD a confirmé que le cabazitaxel était supérieur à une hormonothérapie de deuxième ligne chez des hommes ayant déjà reçu de l’abiraterone ou de l’enzalutamide et le docetaxel2,3].

Anti-PARP : après l’ovaire et le sein, le cancer de la prostate ?

L’étude PROfound confirme que certains patients atteints d’un cancer de la prostate pourraient, comme d’autres dans le cancer de l’ovaire et du sein, bénéficier d’un traitement par inhibiteur de PARP.

« A peu près 20 % des patients atteints d’un cancer de la prostate métastatique résistant à l'hormonothérapie ont un talon d’Achille dans leur tumeur qui est une anomalie des gènes de réparation de l’ADN, essentiellement BRCA2, plus rarement BRCA1 ou ATM et d’autres gènes encore plus rares. Ces altérations sont susceptibles de conférer une sensibilité aux inhibiteurs de PARP (poly-ADP-ribose-polymérase-1) », a commenté le Pr Karim Fizazi (Professeur d’oncologie médicale à Gustave Roussy, Villejuif), qui a participé à l’étude, pour Medscape édition française.

« On sait depuis quelques années, grâce aux études de phase II TOPARP , GALAHAD et TRITON-2 , que les inhibiteurs de PARP sont efficaces (en provoquant l’accumulation des lésions sur l’ADN tumoral et donc la mort cellulaire) et relativement bien tolérés chez les patients sélectionnés comme ayant des cancers porteurs de ce type d’anomalies, y compris chez des malades qui ont échappé à des hormonothérapies de nouvelle génération ou aux taxanes, qui sont les principaux traitements standards dans cette situation », souligne-t-il.

Manquait donc un essai de phase 3 pour le confirmer. C’est chose faite avec PROfound.

PROfound, un essai de phase III de médecine personnalisée

Dans PROfound, les chercheurs ont recruté 387 hommes dont la tumeur avait continué d’évoluer malgré une hormonothérapie de nouvelle génération (acétate d’abiratérone+prednisone ou enzalutamide) et une première chimiothérapie (2/3 des cas)(docétaxel le plus souvent). Tous présentaient au moins une altération génétique dans leur tumeur. Les participants étaient répartis en deux groupes :

  • la cohorte A incluant 245 hommes dont la tumeur présentait des mutations des gènes BRCA1, BRCA2 ou ATM, les altérations les plus fréquentes ;

  • la cohorte B incluant 142 hommes avec 12 autres altérations génétiques moins fréquentes.

Les patients ont ensuite été randomisés pour recevoir soit 300 mg d’olaparib (n=162 patients de la cohorte A, n=94 dans la cohorte B), soit l’hormonothérapie de nouvelle génération qu’ils n’avaient pas initialement reçue (1000 mg d’acétate d’abiratérone+prednisone ou 160 mg d’enzalutamide) (n=83 cohorte A, n=94 cohorte B).

Le critère de jugement principal était la survie sans progression.

Plusieurs mois supplémentaires de survie sans progression

Au total, 256 patients ont reçu l’olaparib, pendant une durée médiane de 7,4 mois. Les patients du groupe hormonothérapie chez lesquels ce traitement n’était pas efficace pouvaient alors recevoir l’olaparib ("cross-over").

Les analyses des données de la cohorte A montrent, à 6 mois, que la maladie n'a pas progressé chez 60 % des patients sous olaparib, contre seulement 23 % sous une 2e hormonothérapie (respectivement 28 % et 9 % à 1 an).

Dans la cohorte A, la survie sans progression moyenne est de 7,39 mois avec l’olaparib versus 3,55 mois dans le bras 2hormonothérapie (RR=0,34, p<0,0001).

Le taux de réponse objective (ORR) est de 33,3 % sous olaparib, contre seulement 2,3 % sous 2hormonothérapie.

Les analyses des données de l’ensemble des patients (cohortes A et B associées) confirment ces bons résultats.

Dans la cohorte A+B, la survie sans progression moyenne est de 5,82 mois avec l’olaparib versus 3,52 mois dans le bras 2hormonothérapie (RR=0,49, p<0,0001).

Le bénéfice est observé sur les autres critères évalués, en particulier sur le temps jusqu’à apparition d’une douleur (métastases osseuses) avec une réduction de 56 % du risque d’apparition de la douleur dans la cohorte A (p=0,02). « C’est bien sûr cliniquement très important », souligne le Pr Fizazi.

Aussi, l’analyse intermédiaire de la survie globale va dans le bon sens. La médiane de survie globale est de 18,5 mois contre 15 mois dans la cohorte A (RR=0,64, p=0,01), soit un gain de 3,5 mois.

Dans la cohorte A+B, la médiane de survie globale est de 17,51 mois contre 14,26 mois (RR=0,67, p=0,0063).

Plus de toxicité digestive et hématologique avec l’olaparib

Concernant la tolérance, l’olaparib a été moins bien toléré que la 2hormonothérapie mais la durée du traitement était supérieure (7,4 mois vs 3,9 mois). Les arrêts de traitement ont concerné 16,4 % des patients dans le bras olaparib versus 8,5 % des patients dans le bras hormonothérapie.

« Les effets secondaires étaient comparables à ceux observés dans les autres tumeurs où il est employé. Il y a plus de toxicité digestive et hématologique mais ce sont des effets indésirables qui sont souvent des grades 1-2 », précise le Pr Fizazi.

Le Dr Eleni Efstatiou (Houston, Etats-Unis), invitée à modérer ces résultats en conférence de presse, a pour sa part, indiqué : « nous ne devons pas ignorer que des effets indésirables significatifs comme les nausées et l’anémie sont plus fréquents avec l’olaparib, ce qui peut interférer avec la possibilité de prendre le traitement. En pratique, les patients devront être suivis avec attention ».

« Cette étude va au-delà de nos espérances parce que, non seulement la survie sans progression est améliorée de manière nette mais, il y a aussi un bénéfice clinique sur la douleur, avec un profil de tolérance tout à fait acceptable à ce stade de la maladie. Enfin, il y a une vraie tendance forte sur la survie globale », conclut le Pr Fizazi.

Un réel bénéfice pour tous les patients ?

« Nous avons observé un bénéfice pour tous les sous-groupes de patients, quel que soit le pays, l’âge, les traitements antérieurs, la sévérité de la maladie, y compris chez ceux avec des métastases au niveau du foie ou du poumon », a commenté l’auteur principal de l’étude, le Pr Maha Hussain (Chicago, Etats-Unis) pour l’ESMO.

Mais, le bénéfice s’applique-t-il à toutes les altérations génétiques étudiées dans l’essai ?

Globalement, les données montrent que ce sont les hommes avec une mutation sur les gènes BRCA2, RAD51B et RAD54L qui semblent le plus bénéficier de l’olaparib.

« Pour certaines altérations, il s’agit de petits groupes de patients et nous ne pouvons pas être certains des résultats. Les résultats sont assez clairs pour BRCA2 avec une survie sans progression qui est de l’ordre de 4 mois dans le groupe contrôle et de 11 mois dans le groupe olaparib. C’est écrasant. La messe est dite pour ces patients », souligne le Pr Fizazi. « En revanche, pour le gène ATM, la différence n’est pas très nette. Elle est d’environ 4 mois contre 5 mois. En outre, ATM est un gène très long avec beaucoup d’altérations, très différentes les unes des autres. Pour CDK12, le bénéfice semble plus net, de l’ordre de 2 mois à un peu plus de 5 mois en médiane. Mais, là encore, il est un peu tôt pour tirer des conclusions définitives sur le plan scientifique », précise-t-il avant d’ajouter qu’à l’avenir, « les questions qui vont se poser seront de savoir quels tests moléculaires utiliser. Dans PROfound, le test était réalisé par une entreprise privée et était onéreux (Fondation Medicine). Il faudrait développer des tests académiques et décider, avec les autorités de santé, jusqu’où aller dans le détail des gènes que l’on souhaite analyser. »

CARD : le cabazitaxel supérieur à une 2ème hormonothérapie de nouvelle génération

La seconde étude présentée en séance plénière au congrès de l’ESMO a été présentée par Ronald de Wit (Rotterdam, Pays-Bas).

Baptisée CARD, il s’agit d’un essai multicentrique randomisé de phase IV comparant l’efficacité et la sécurité d’une chimiothérapie (bras A : cabazitaxel plus prednisone) à celle d'une deuxième hormonothérapie nouvelle génération (bras B : enzalutamide ou acétate d’abiratérone+prednisone) chez des patients atteints d’un cancer métastatique de la prostate résistant à l'hormonothérapie traditionnelle et à une hormonothérapie de nouvelle génération (abiraterone ou enzalutamide), déjà traités par le docétaxel, et dont le cancer a évolué dans les 12 mois suivant le début de l'hormonothérapie de nouvelle génération.

Au total, 255 hommes ont été inclus : 129 dans le bras A et 126 dans le bras B.

À 6 mois, le taux de survie sans progression du cancer évalué par imagerie a atteint 64 % chez les patients du bras A, contre seulement 36 % chez ceux du bras B (23 et 7 % à 12 mois, 9 et 3 % à 18 mois).

Comparé à une 2ème hormonothérapie de nouvelle génération, le cabazitaxel a prolongé la survie globale médiane de 2 mois et demi (13,6 mois contre 11 mois), et réduit la mortalité de 36 %.

Plusieurs autres paramètres ont confirmé la supériorité de la chimiothérapie par rapport à une 2ème hormonothérapie de nouvelle génération : réduction du taux de PSA chez 35,7 % des malades (contre 13,5 %), réponse objective de la tumeur au cabazitaxel dans 36,5 % des cas (contre 11,5 %) et baisse de la douleur chez 45 % des hommes (contre 19,3 %).

« Depuis des années, des données rétrospectives et prospectives (essais non comparatifs) nous indiquent que si on a déjà utilisé une hormonothérapie de dernière génération (abiratérone ou enzalutamide), prescrire dans un deuxième temps celle qui n’a pas été utilisée en premier lieu, n’apporte pas grand-chose à part des effets secondaires, une maladie qui progresse et des coûts inutiles », a commenté le Pr Fizazi, qui a participé à l’étude, pour Medscape édition française.

« Avec CARD, nous avons une étude prospective de phase III qui le démontre clairement. C’est important parce que, dans les faits, beaucoup de médecins continuaient à donner une deuxième hormonothérapie de nouvelle génération. Là, la supériorité du cabazitaxel est éclatante avec un bénéfice sur tous les critères que ce soit en survie sans progression, mais aussi en survie globale, en termes de réponse évaluée par les critères RECIST, sur la réponse biologique (PSA) et sur la douleur », conclut l’oncologue.

Interrogé sur l’intérêt de donner une autre taxane après le docétaxel, le Pr Fizazi a souligné que le cabazitaxel avait été développé sur des lignées cellulaires résistantes au docétaxel.

Concernant les effets secondaires liés au cabazitaxel, l’oncologue a rappelé que la dose initialement choisie dans les années 2000 était trop élevée (25 mg/m²) mais que depuis, deux études randomisées avaient montré qu’avec 20 mg/m², on gagnait en efficacité tout en limitant les effets indésirables sévères.

Au final, ces deux études, PROfound et CARD, montrent que l’anti-PARP olaparib ou le taxane cabazitaxel sont plus efficaces qu’une deuxième hormonothérapie de dernière génération dans le cancer de la prostate métastatique résistant à l’hormonothérapie.

L’essai PROfound a été mené en collaboration avec l’institut de la Recherche contre le Cancer de Londres et la Royal Marsden NHS Foundation Trust. Il a été financé par AstraZeneca et Merck Sharp & Dohme Corp.

L’essai CARD a été financé par Sanofi. Les liens d’intérêt des auteurs sont disponibles sur le NEJM.

M. Hussain a des liens d’intérêts avec Sanofi/Genzyme, Genentech; Aptitude Health; AstraZeneca; Bayer; Pfizer; Astellas.

K. Fizazi a des liens d’intérêt avec Amgen; Astellas; AstraZeneca; Bayer; Curevac; Essa; Janssen; MSD; Orion; Sanofi.

 

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