Barcelone, Espagne— Nouvel espoir dans le cancer du sein triple négatif, le plus agressif des sous-types de cancer du sein. D’après les données de l’essai de phase III Keynote-522, présentées en session plénière lors de l’ ESMO 2019 par le Pr Peter Schmid (Londres), ajouter l’immunothérapie pembrolizumab (Keytruda®, Merck) au traitement standard par chimiothérapie en néoadjuvant, à un stade précoce, permet d’améliorer significativement la réponse histologique complète.
Une réponse histologique complète a été obtenue chez près de 65 % des patientes recevant l’association de chimiothérapie et de pembrolizumab versus seulement 51 % des femmes recevant la chimiothérapie seule.
Or, dans ce cancer, les femmes avec une réponse histologique complète ont 85 à 90 % de chance d’être guéries alors que celle qui ont une maladie résiduelle ont une probabilité de rechute de 40 à 50 % dans les trois ans, précise l’ESMO dans un communiqué.
« Cette étude est importante. Il s’agit de la première fois qu’il est fait la démonstration d’un bénéfice de l’ajout d’une immunothérapie à la chimiothérapie à un stade précoce. Les 10 à 15 % de réponse complète histologique supplémentaires et le gain de survie sans événement observé à 18 mois sont des données intéressantes et cliniquement pertinentes », a commenté le Dr Paul Cottu (Institut Curie, Paris) pour Medscape édition française/Société Française du Cancer.
« Cette étude pourrait avoir un impact majeur sur le traitement de ces patientes », a souligné pour sa part le Pr Fabrice André (Gustave Roussy, Villejuif) pour l’ESMO.
Ce que l’on sait déjà
Pour rappel, l’intérêt de l’immunothérapie dans le cancer du sein triple négatif a été évalué dans d’autres études mais au stade métastatique.
Lors de l’ESMO 2018, les données de l’essai IMpassion130 avec l’anti PD-L1 atézolizumab (Tecentriq®, Genentech) chez des patientes atteintes d’un cancer triple négatif métastatique non traité auparavant avaient suscité l’enthousiasme (gain de 20 % en survie sans progression et de 38 % chez les patientes PD-L1 positives).
Toutefois, lors de l’ASCO 2019, les données n’avaient pas été confirmées sur la survie globale, sauf chez les patientes PD-L1 positives. La molécule a donc été approuvée dans cette indication en fonction du statut PD-L1>0 par la FDA.
Keynote-522
Dans Keynote-522, 1100 patientes nouvellement diagnostiquées avec un cancer du sein triple négatif précoce ont été randomisées (2 :1) pour recevoir, en néoadjuvant, du pembrolizumab (n=784) ou un placebo (n=390) en sus d’une chimiothérapie qui a consisté en 4 cycles de paclitaxel + carboplatine et 4 cycles de doxorubicine ou épirubicine plus cyclophosphamide ; « la chimiothérapie la plus optimale possible », a souligné le Dr Cottu.
Après chirurgie, les patientes ont continué à recevoir du pembrolizumab ou un placebo pendant 9 cycles supplémentaires ou jusqu’à la rechute ou toxicité inacceptable. Le suivi moyen a été de 15,5 mois.
Parmi les 602 patientes chez qui la réponse histologique complète a pu être étudiée, l’association d’immunothérapie et de chimiothérapie a été associée à un taux de réponse histologique complète de 64,8 % versus 51,2 % dans le bras placebo, soit un gain de 13,6 % (p=0,00055).
Lors de la conférence de presse de présentation des résultats, le Pr Schmid a expliqué qu’il n’était pas surprenant que l’association de la chimiothérapie et de l’immunothérapie améliore la réponse histologique complète : « la chimiothérapie détruit les cellules cancéreuses, ce qui permet le relargage d’antigènes et facilite leur repérage par le système immunitaire […] La chimiothérapie facilite la reconnaissance du cancer par le système immunitaire à différents niveaux. Si vous boostez alors la réponse immunitaire en donnant une immunothérapie, il y a un effet synergique et c’est ce que nous observons pour différents cancers, notamment le cancer du sein ».
Quel que soit le statut PD-L1
Donnée plus surprenante, car contraire à ce qui a été observé en métastatique, l’efficacité de l’association immunothérapie/chimiothérapie s’est avérée similaire quel que soit le statut PD-L1.
Pour les tumeurs PD-L1 positives, l’ajout de l’immunothérapie était associé à un taux de réponse histologique complète de 68,9% versus 54,9% dans le bras placebo (différence de 14,2%).
Et, pour les tumeurs PD-L1 négatives, l’ajout de l’immunothérapie était associé à un taux de réponse histologique complète de 45,3% versus 30,3% dans le bras placebo (différence de 18,3%).
Notons enfin, que les chercheurs ont rapporté une tendance positive concernant la survie sans progression à 18 mois (91,3% versus 85,3% avec le placebo), bien que la durée moyenne de suivi de 15,5 mois soit trop courte à ce stade pour en tirer des conclusions définitives.
Quelle tolérance ?
Concernant les données de sécurité, les deux options thérapeutiques étaient comparables avec 76,8 % de patients traités par pembrolizumab et chimiothérapie souffrant d’effets secondaires de grade 3-5 pendant la phase néoadjuvante du traitement et 72,2 % dans le bras chimiothérapie seule.
Le taux d’effets secondaires ayant induit un décès était de 0,3 % dans les deux groupes alors que les EI ayant conduit à une interruption de traitement sont survenus chez respectivement 24,5 % (bras actif) et 13,1 % (placebo) des patients.
En phase adjuvante, les taux d’EI étaient moindre, 5,7 % versus 1,9% pour les EI de grade 3-5.
Le taux d’effets secondaires ayant induit un décès était de 0,2 % dans le bras pembrolizumab + chimio et nul dans le bras placebo. Et, les EI ayant conduit à une interruption de traitement sont survenus chez respectivement 3,3 % (bras actif) et 1,3 % (placebo) des patients.
Comment sélectionner les patientes candidates à l’immunothérapie ?
Sélectionner les patientes qui peuvent bénéficier le plus de cette association thérapeutique est essentiel comme l’a rappelé le Pr Giuseppe Curigliano (Institut Européen d’oncologie, Italie) invité à commenter ces résultats en conférence de presse.
« Nous devons déterminer comment sélectionner ces patientes qui ont un cancer du sein à un stade précoce parce que ces médicaments sont toxiques », a-t-il souligné.
Problème, la sélection par le statut PD-L1 positif qui a fonctionné pour le cancer métastatique ne semble pas être utile à un stade précoce.
Un phénomène qui pourrait s’expliquer de la façon suivante pour le chercheur italien : « Je pense qu’ici, nous n’avons pas besoin de sélectionner par l’expression de PD-L1 au départ parce que je suis convaincu que l’exposition à la chimiothérapie induit une augmentation de l’expression PD-L1 et que donc on observe plus de bénéfice ».
« Le mécanisme d’action reste à explorer », a commenté le Dr Cottu qui souligne que « dans le cancer du sein, l’immunogénicité est différente d’autres cancers comme le cancer du colon ou du poumon ».
Le Pr Schmid a précisé que l’étude des biopsies à l’entrée dans l’étude et dans le tissu des tumeurs résiduelles chez les non-répondeuses permettra de mieux comprendre la réponse à l’immunothérapie : « Nous avons recueilli beaucoup de tissus avant et après traitement. Nous avons prévu des analyses pour voir si des biomarqueurs d’intérêt se dégagent ».
L’étude a été financée par MSD. Le Pr Schmid a des liens d’intérêt avec Pfizer, AstraZeneca, Novartis, Roche, Merck, Boehringer Ingelheim, Bayer, Eisai, Puma, Celgene, Genentech, OncoGenex, Astellas. Le Pr Curilagno a des liens d’intérêt avec MSD, Mylan, Lilly, Pfizer, Foundation Medicine, Samsung, Celltrion, Seattle Genetics, NanoString, Roche, Novartis, Bristol-Myers Squibb, Scientific Affairs Group Ellipsis, Sanofi, Celgene, Servier, Orion, AstraZeneca, AbbVie, Tesaro, Merck Serono, Janssen Cilag, Philogen, Bayer, Medivation, Medimmune, Bayer, EUSOMA, Europa Donna, Fondazione Beretta, Lega Italiana Lotta ai Tumori. Le Dr Cottu a des liens d'intérêt avec AstraZeneca |
Citer cet article: Cancer du sein triple négatif précoce : résultats encourageants de l’immunothérapie - Medscape - 14 oct 2019.
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