
Dr Jean-Pierre Lyon
Orne, France -- Médecin généraliste depuis 53 ans – il en a aujourd’hui 83 –, le Dr Jean-Pierre Lyon est l’un des doyens de la médecine en France.
Après avoir commencé seul, il a rapidement décider de s’associer à d’autres médecins. Et quand ces derniers sont partis à la retraite, lui a fait le choix de continuer sa pratique. Cela fait maintenant 10 ans qu’il est seul dans son cabinet, dans la ville d’Alençon, dans l’Orne (61) et pour autant, il n’est pas près d’arrêter. Ses patients dans cette ville de 30 000 âmes sont toujours aussi fidèles, avec des jeunes et des moins jeunes, qu’il voit au cabinet ou à domicile. Il nous explique sa vision de la médecine, son regard sur l’évolution de celle-ci et sur ses confrères.
Medscape édition française : Pourquoi avoir choisi de devenir médecin ?
Dr Jean-Pierre Lyon : La médecine n’a pas été immédiatement une vocation. Je pense que c’est d’abord mon esprit indépendant qui est intervenu dans ce choix. Il faut savoir qu’à l’âge de 15 ans, j’étais apprenti dans une usine d’amortisseur, j’ai vite compris que je n’étais pas fait pour ça. Puis j’ai passé le bac de mathématique. Sans me prendre au sérieux, je me suis dit que je me verrais bien dans une profession indépendante, et puis j’appréciais déjà le fait d’avoir de bonnes relations avec les gens. Mon envie d’être indépendant et mon intérêt pour les gens, c’est tout cela qui m’a fait choisir ce métier. Mais vraiment, je me suis dit très tôt : quel bonheur de ne pas avoir de chef derrière les oreilles ! Mon expérience à l’usine m’a été très utile pour cela.
Pourquoi la médecine générale ?
Dr Lyon : À l’époque, il y a 60 ans, il y avait le médecin et le chirurgien. Il n’y avait pas de pédiatre, pas de gynécologue, et encore moins de SAMU. Il y avait bien quelques médecins spécialistes, mais cela ne représentait pas grand-chose et puis ils exerçaient très peu en ville. Pour le patient, le médecin généraliste était souvent le premier et le dernier recours, nous formions un pilier de la médecine.
Regrettez-vous cette période ?
Dr Lyon : En vieillissant, on a juste les regrets de la jeunesse, on courrait vite, on était jeune. Pour se resituer, il faut savoir que mes patrons étaient nés au XIXe siècle, à l’époque de la mort de Pasteur, c’était une autre époque, la formation et la pratique n’étaient pas les mêmes. Quand j’étais jeune médecin, je faisais des accouchements, des petites chirurgies, j’étais à l’aise dans mon métier, et je n’aurais rien fait d’autre que de la médecine générale.
Mais les choses ont changé, les médecins étaient des médecins, maintenant ce sont des techniciens de la médecine, ils pensent à leur weekend, les horaires sont fixes et les vacances prennent une place qui n’existait pas avant. Il est indéniable que les jeunes médecins sont très doués intellectuellement, mais ce n’est plus mon époque. On ne choisit plus la médecine, et encore moins sa spécialité pour les mêmes raisons qu’autrefois.
La médecine n’est plus une vocation selon vous ?
Dr Lyon : Bien entendu, ma génération était issue de la guerre, je suis un des derniers survivants, tout le monde « crevait » de faim, on était content de travailler, d’avoir une aisance matérielle, de faire un métier qui nous passionnait. Aujourd’hui, on vit dans le confort. Beaucoup des plus jeunes n’ont plus la passion de la médecine, c’est devenu un métier comme un autre, ce n’est plus un mariage d’amour. Ils font ce qu’ils ont à faire, point ! Prenez les ophtalmologistes, quand on donne un rendez-vous à un patient dans 6 mois, je trouve cela indigne d’un médecin qui se doit d’être accessible et présent pour son patient. À 83 ans, j’ai de bonnes relations avec mes confrères, mais on a des analyses divergentes sur notre métier et son évolution.
La place du médecin généraliste a-t-elle évolué dans le bon sens ?
Dr Lyon : La médecine générale a connu un âge d’or. C’était dans les années 1960, même si c’était au prix d’une grande fatigue. Mais nous faisions de la vraie médecine, on avait une pratique extrêmement diversifiée, nous étions, je peux le dire, les dignes hérités de la médecine d’antan, capable de gérer tous les maux. La nuit, nous étions appelés pour une crise d’asthme et d’autres urgences. Aujourd’hui, les patients appellent le SAMU, il ne nous reste donc pas grand-chose pour nous médecins généralistes.
L’existence des urgences et du SAMU pose-t-elle problème pour les médecins, selon vous ?
Dr Lyon : Je pense que oui. En ne faisant ni les gardes de nuit, en ne prenant plus en charge les urgences, et en déléguant aux urgences tous ces actes banals, on n’est plus capable. Il faut en toucher des abdomens pour faire la différence entre un trouble abdominal banal et une véritable appendicite. Avec le temps, nous sommes devenus des « orientateurs », bien plus que des médecins. Je reste convaincu qu’il reste des médecins passionnés qui continuent de faire de la vraie médecine, mais je pense malheureusement que ce n’est plus la norme.
La formation n’est pas adaptée non plus ?
Dr Lyon : On ne forme plus de généraliste actuellement. Ce n’est pas en passant dans un service de neurochirurgie, de chirurgie cardiaque et j’en passe, qu’on apprend la médecine générale. Les études ont changé et pas qu’en bien. Sans oublier la sélection négative que l’on fait aujourd’hui dans les universités. Les jeunes ne choisissent plus une spécialité par envie. Quand dans la vie, la décision n’est pas un choix, mais une obligation, on est mal parti.
À quoi ressemble votre journée de travail aujourd’hui ?
Dr Lyon : Je ne travaille plus la nuit, ni le dimanche. Naturellement, je travaille beaucoup moins qu’avant. Malgré tout, je suis au travail tous les jours. Je travaille aussi le samedi jusqu’à 12h-13h, j’ai des consultations libres et sur rendez-vous, auxquelles s’ajoutent les quelques visites à domicile le matin. Cela convient très bien à mon âge, mais quand j’avais 35 ans, ce rythme m’aurait totalement désespéré.
Quel était votre rythme de travail au début de votre carrière ?
Dr Lyon : Je travaillais de 8 h du matin à 20 h le soir avec environ 10 nuits de garde par mois, et 1 le dimanche. Je dois dire que nous étions largement rémunérés pour ce que nous faisions, et il faut aussi relativiser, la charge de travail n’était pas la même, les nuits où nous dormions sur nos deux oreilles étaient fréquentes. Quoi qu’il en soit, malgré les conditions d’exercice et les difficultés parfois, jusqu’à aujourd’hui, je me suis toujours interdit de geindre après la médecine, ce n’est pas ma philosophie.
Obliger les médecins généralistes à faire des gardes fait débat, qu’en pensez-vous ?
En ne faisant plus de garde, vous ne vous lèverez plus la nuit pour une appendicite, un infarctus ou une grossesse extra-utérine, vous perdrez vos automatismes et donc vos qualités cliniques. Aujourd’hui, les internes n’ont pas le droit de revenir le lendemain d’une garde, c’est un non-sens pour un médecin de mon époque. On gagne en confort, ce qu’on perd en passion. Les gardes sont essentielles selon moi.
À quoi ressemble votre patientèle aujourd’hui ?
Dr Lyon : Ils me sont très attachés, les rapports sont respectueux et affectueux. Je dois l’admettre, une grande partie de ma patientèle est âgée. Je suis plébiscité par les plus de 50 ans. Je vois quand même un peu les sportifs, mais je vois de moins en moins de jeunes mamans ou de bébés. Les jeunes sont habitués à aller aux urgences, à appeler SOS médecin au moindre petit tracas. Les anciens sont attachés à une médecine d’antan.
Si c’était à refaire ? Vous feriez les mêmes choix ?
Dr Lyon : Non, je ne pense pas. Je ferai probablement de la chirurgie car, même aujourd’hui, pour faire de la chirurgie et tenir le rythme, il faut être passionné. J’ai beaucoup de respect pour les chirurgiens. Mais aujourd’hui, les jeunes veulent faire des spécialités sans garde, sans urgence, avec tout le respect que j’ai pour les consœurs et confrères dermatologues, j’entends que beaucoup choisissent cette spécialité par confort et non par vocation. Faire médecine pour être tranquille, c’est une vocation médicale qui n’est pas très glorieuse, non pas que la dermatologie n’est pas respectable, mais choisir cette spécialité pour ne rien faire n’est pas une bonne chose. J’ai conscience d’être minoritaire, mais fort modestement, je pense que Galilée et Pasteur étaient aux aussi minoritaires dans leurs idées.
Et la technologie dans tout ça ? Pour ou contre l’utilisation du numérique au cabinet ?
Dr Lyon : Je suis naturellement pour. C’est devenu aujourd’hui un outil très important, mais ça doit rester un domestique et non un maître. C’est un outil intéressant, mais si vous commencez à taper sur l’écran avant d’interroger et d’examiner votre patient, c’est que vous êtes un malade de la technologie. Il ne faut pas être dépendant de ces choses.
Le confort de l’informatique nous éloigne de la réalité du patient, mais aussi du terrain. Dans le confort du cabinet, on oublie l’intérêt de faire des visites à domicile par exemple. Les médecins ne veulent plus en faire, or, c’est essentiel, il faut voir comment les gens vivent. Si vous vous rendez chez une dame et que tout est propre et ordonné, on sait qu’elle prendra ses comprimés comme un légionnaire, si c’est le bazar, elle ne les prendra probablement pas. Il faut rentrer dans les foyers pour faire de la médecine, on traite une personne, pas une liste de symptômes.
Jusqu’à quand pensez-vous exercer ?
Dr Lyon : Le Bon Dieu décidera, si demain il a besoin d’un ange, je suis son homme. En attendant, tant que la patientèle à la faiblesse de me faire confiance, je n’envisage pas d’arrêter. Si j’arrête, ça sera par contrainte, mais jamais par choix. Et puis, je pense modestement encore avoir les capacités pour faire de la médecine de base. J’ai une bonne mémoire, et même si je ne suis pas doué pour apprendre par cœur, je peux réciter toutes les collatérales de la carotide postérieure si vous me le demandez.
Quel conseil donneriez-vous aux plus jeunes ?
Dr Lyon : Si la médecine n’est pas un mariage d’amour, vous ne ferez pas un mariage heureux, si vous l’aimez passionnément, vous n’aurez pas l’impression de travailler.
Je vais sur mes 84 ans, je ne sens absolument pas la fatigue. Quand je voyais les terrassiers travailler cet été sous le soleil, ça doit nous donner une leçon d’humilité et de modestie.
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Citer cet article: Médecin à un âge avancé, le Dr Lyon ne compte pas s’arrêter - Medscape - 11 oct 2019.
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