POINT DE VUE

Hyperprogression : nouvelles données controversées à l’ESMO

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

11 octobre 2019

Barcelone, Espagne—Le phénomène d’hyperprogression tumorale, qui correspond à la croissance très rapide d'une tumeur lors de l’instauration d’une immunothérapie, existe-t-il vraiment ? Depuis la première publication sur le sujet, il y a 2 ans, par le Dr Stéphane Champiat[1] , oncologue médical à Gustave Roussy (Villejuif), le sujet reste fortement controversé.

Les dernières données présentées à ce sujet lors de l’ESMO 2019 (étude CheckMate 451, BMS) suggèrent que l’hyperprogression n’est pas une réalité[2]. Toutefois, selon le Dr Champiat, la méthodologie de l’essai est fortement critiquable et ne permet pas d’aboutir à une telle conclusion.

Ne pas confondre…

L’hyperprogression est parfois confondue avec deux phénomènes :

  • la pseudoprogression où la maladie progresse dans un premier temps avant de répondre au traitement ;

  • la résistance primaire à l’immunothérapie, lorsque le traitement n’a pas d’effet et que la maladie continue de progresser.

Dans l’essai randomisé contrôlé de phase 3 CheckMate 451, des patients atteints de cancer bronchique à petites cellules ont reçu en traitement d’entretien (dans les 9 semaines suivant la fin d’une première ligne de chimiothérapie) soit du nivolumab 240 mg (n=177), soit du nivolumab (1mg/kg) et de l’ipilimumab (3mg/kg) (maximum 4 doses puis nivolumab 240 mg) (n=179), soit un placebo (n=175) et ce jusqu’à progression de la maladie ou intolérance au traitement.

L’évaluation des tumeurs a été réalisée toutes les 6 semaines au cours des 36 premières semaines de traitement puis toutes les 12 semaines.

L’hyperprogression a été calculée en évaluant le changement de taille de la tumeur entre le bras traitement actif et le les bras contrôles.

Le pourcentage de patients dont la tumeur a augmenté de taille ≥ 20 %, ≥50% et ≥100 % entre la randomisation et la première évaluation sous traitement a été comparé entre les différents bras.

Il en ressort que l’augmentation moyenne de la taille tumorale était plus importante dans le bras placebo que dans les bras nivolumab seul et nivolumab +ipilimumab.

Résultats

Augmentation ≥ 20 % : 45,7% dans le bras placebo vs 27 % dans les bras nivo et ipi+nivo

Augmentation ≥ 50 % : 22,3% vs 10,2% dans le bras nivo et 11,2 % dans le bras nivo+ipi

Augmentation ≥ 100 % : 6,3% vs 2,8% dans les bras nivo et nivo +ipi.

Les auteurs concluent donc que dans l’analyse rétrospective CheckMate 451, le nivolumab et l’association de nivolumab et d’ipilimumab ne sont pas associés à un phénomène d’hyperprogression.

 
Cette étude ne s’intéresse pas à l’hyperprogression...elle ne rapporte pas à quelle vitesse la maladie progressait avant la mise sous traitement. Dr Stéphane Champiat
 

Toutefois, l’une des limites indiquées dans le poster présenté est que « les analyses ont porté sur la mesure de la taille de la tumeur à un seul moment, après 6 semaines de traitement, et n’ont pas inclus d’évaluation des taux de la croissance de la tumeur avant le traitement ».

Pour le Dr Champiat, c’est bien là que le bât blesse : la cinétique de la croissance tumorale avant immunothérapie n’est pas comparée à celle après mise sous immunothérapie.

« Cette étude ne s’intéresse pas à l’hyperprogression mais à la progression, c’est-à-dire au pourcentage de patients progresseurs dans le bras nivolumab versus nivolumab plus ipilimumab versus placebo. Elle n’intègre pas du tout à la cinétique de croissance. Elle ne rapporte pas à quelle vitesse la maladie progressait avant la mise sous traitement.

Autre détail important, elle s’intéresse au cancer bronchique à petites cellules qui est un cancer pour lequel on ne soupçonne pas un phénomène d’hyperprogression », souligne-t-il.

Quel est l’état des connaissances sur l’hyperprogression ?

L’hyperprogression a été rapportée dans des études, que ce soit dans le cancer bronchique non à petites cellules où le taux estimé est autour de 10 %[3] ou dans le cancer ORL où le taux estimé se situe entre 20 et 30 %[4]. « Toutefois, il s’agit d’études rétrospectives ce qui présente une limite », indique l’oncologue français.

Une autre étude sponsorisée par BMS et dédiée au sujet, ATTRACTION-2, a évalué le nivolumab dans le cancer gastrique et n’a, en revanche, pas retrouvé d’hyperprogression[5,6]. « Mais, le cancer gastrique ne fait pas partie des tumeurs pour lesquelles nous suspectons un phénomène délétère de l’immunothérapie », explique-t-il.

« Malheureusement les études actuelles ne permettent pas de répondre à cette question de l’hyperprogression. Nous espérons que des données, notamment biologiques, issues des patients qui présentent ce phénomène d’accélération de croissance tumorale permettront de confirmer ou non la réalité du phénomène de l’hyperprogression », souligne-t-il.

Peut-on prédire ces flambées de la maladie ?

Ce que nous observons c’est que « dans le cancer bronchique, le cancer ORL ou le cancer de la vessie, les courbes de survie se croisent dans les études de phase 3 par rapport aux bras chimiothérapie. Dans ces études, dans les 3 à 6 premiers mois de traitement, les patients sous immunothérapie semblent avoir un effet délétère du traitement ou en tout cas moins bon par rapport à la chimiothérapie.

Tout l’enjeu actuellement, en tant qu’oncologue mais aussi pour les autorités de santé, est d’arriver à comprendre ce qui se passe et d’identifier mieux les patients qui sont dans ce cas de figure.

Actuellement, nous n’avons pas de facteurs prédictifs solides pour identifier de phénomène d’hyperprogression, pour éviter que ces patients soient exposés à l’immunothérapie. Et, s’ils sont exposés d’avoir une stratégie d’intensification du traitement avec l’ajout de chimiothérapie pour limiter ce phénomène.

Le Dr Champiat a des liens d’intérêt avec plusieurs laboratoires pharmaceutiques dont Amgen, AstraZeneca, BMS, Janssen, MSD, Novartis, Roche, Bayer, Abbvie, …

 

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