Pau, France -- Après deux semaines de débats parlementaires à l’Assemblée nationale, l’examen en première lecture du projet de loi de bioéthique se termine ce jour. Il devra ensuite passer au Sénat. Six lectures vont se succéder avant une adoption définitive de la loi, qui pourrait intervenir avant l’été prochain, selon la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn.
PMA, autoconservation des gamètes et levée de l’anonymat du don
Parmi les mesures phares du projet : l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes célibataires et aux couples de femmes, l’autoconservation des gamètes pour de futures grossesses et la levée de l’anonymat du don pour permettre à l’enfant né d’un don d’accéder à l’identité du géniteur à sa majorité. Des mesures adoptées en première lecture début octobre, après de vifs débats.
Ce projet de révision des lois de bioéthique, qui se tient tous les 7 ans, a été initié début 2018 avec les Etats généraux de la bioéthique, organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Plusieurs instances de réflexion, comme l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ou la Commission spéciale bioéthique, ont convié des représentants de la société civile pour une consultation.

Dr Hélène Letur
Le Dr Hélène Letur (endocrinologue-gynécologue, Polyclinique de Navarre, Pau), présidente du Groupe d’étude pour le don d’ovocyte (GEDO) a participé à certaines des auditions des Etats généraux du CCNE avant révision des lois de bioéthique.
Nous l’avons interrogé à l’occasion du congrès Infogyn 2019 , pour en savoir plus sur les demandes portées par l’association. Elle explique notamment pourquoi le GEDO soutient qu’il faut mettre fin au décret permettant à la fois le don d’ovocytes et l’autoconservation.
Pour rappel, l’autoconservation des ovocytes est une technique médicale qui permet à une femme de faire prélever, puis vitrifier (c’est-à-dire congeler de façon ultra-rapide à -196°) ses gamètes, dans le but de préserver sa fertilité. En France, l’autoconservation des ovocytes « dite de confort » – congeler ses ovocytes pour les utiliser plus tard quand la situation professionnelle, matérielle ou personnelle sera favorable – n’est pas permise, alors qu’elle est autorisée dans de nombreux pays (en Espagne et en Belgique, notamment). Selon l’article L2141-11 de la loi du 6 aout 2004, cette technique n’est proposée qu’aux femmes atteintes de maladies comme le cancer ou certaines maladies auto-immunes à qui on prescrit des traitements susceptibles d’altérer leur fertilité. Néanmoins, pour favoriser les dons d’ovocytes, les donneuses ont la possibilité, en contrepartie de leur don, de profiter d’une partie de leurs gamètes récoltées, au-delà d’un certain nombre, d’où la possibilité de contourner la loi.
Le Dr Letur explique aussi pourquoi le GEDO est favorable au maintien de l’anonymat du donneur.
Medscape édition française: Vous avez défendu une distinction entre don d’ovocyte et autoconservation auprès des différentes instances. Pourquoi y accorder autant d’importance ?
Dr Hélène Letur: Notre société savante a, en effet, demandé la modification ou l’annulation du décret permettant aux donneuses n’ayant pas encore eu d’enfants de se voir également proposer l’autoconservation de leurs ovocytes dans le même temps. Un certain nombre de femmes ont été amenées à effectuer un don pour accéder à l’autoconservation, souvent parce qu’elles n’ont pas les moyens d’aller le faire à l’étranger. D’autres ont une volonté de donner, tout en espérant conserver, ce qui peut s’avérer décevant quand le nombre d’ovocytes prélevés est insuffisant pour une autoconservation. Le CCNE, comme le Conseil d’Etat ou l’Office parlementaire ont reconnu que la situation est problématique. Initialement, on pensait bien faire pour encourager le don d’ovocytes, mais on n’imaginait pas les conséquences pour certaines femmes.
Mais vous êtes bien en faveur de l’autoconservation des ovocytes sans condition particulière?
Dr Letur: Oui, nous demandons que les femmes soient autorisées à conserver leurs ovocytes pour des raisons personnelles, indépendamment du don, après évaluation clinique. Les autorités ont été réceptives puisqu’elles l’ont inscrit dans le projet de loi. La mesure a été adoptée en première lecture. Il est aussi prévu que les femmes soient interrogées chaque année pour savoir si elles souhaitent poursuivre la conservation ou y mettre fin ou effectuer un don. Le don et l’autoconservation se présentent ainsi comme deux démarches bien distinctes.
Parmi vos propositions, lesquelles ont suscité le plus de résistance et de contestations ?
Dr Letur: Celles qui sont assimilées à un risque d’atteinte à la gratuité du don, comme la création d’une compensation au don d’ovocytes.
Nous avons ainsi demandé une forme de compensation pour les donneuses, sans que celle-ci soit forcément financière. La démarche du don est très contraignante pour les femmes. Elles doivent se rendre disponibles, subir une ponction après plusieurs jours de stimulation ovarienne, ce qui peut avoir un impact sur leur vie personnelle. Il s’agirait d’une reconnaissance, qui pourrait aussi encourager l’acte altruiste. Cela a été démontré dans des études menées à l’étranger. En cas de dédommagement financier, il ne doit pas être incitatif pour éviter de faire ombrage au principe de gratuité, auquel nous sommes attachés. Cette proposition de compensation reste certainement celle qui a suscité le plus de réticences. Il faudrait aussi faciliter la démarche des futures donneuses d’ovocytes.
Nous avons également demandé à ce que les centres privés participent au don d’ovocytes. Pour le moment, le don doit obligatoirement s’effectuer dans des établissements publics ou privés à but non lucratif. Or, les cliniques privées réalisent la moitié des fécondations in vitro en France et elles ont l’expertise de cette technique. Rien n’empêche de rappeler qu’elles doivent respecter les mêmes conditions appliquées par les centres actuellement autorisés pour le don de gamètes.
Une autre demande a été très discutée : la levée de l’interdiction du double don de gamètes. Le Conseil d’Etat s’est notamment interrogé sur les répercussions sur l’enfant issu à la fois d’un don d’ovocyte et d’un don de sperme, qui ne se « retrouverait » dans aucun des deux parents. Si l’on ne place pas l’origine de l’enfant dans les gamètes, cela pourrait faciliter les choses.
Vous vous êtes d’ailleurs prononcés contre la fin de l’anonymat du don de gamètes. Pour quelles raisons ?
Dr Letur: Concernant l’anonymat, nous avons une approche qui tient compte de la problématique du secret des origines. Nous estimons que le respect de l’anonymat permet au couple de lever plus facilement le secret face à l’enfant sur l’origine de sa conception. Comme tous les professionnels, nous pensons qu’il est indispensable de lever le secret et d’informer l’enfant au plus tôt. En même temps, il faut respecter l’autonomie des parents. S’ils ne veulent pas le dire, on ne doit pas les y contraindre.
Nous avons proposé de défendre le principe de l’anonymat au motif que « l’incarnation » du donneur risque de perturber la construction intime de la famille. Mais, les évolutions observées à l’étranger sur ce point et le fait que certains enfants aient pu retrouver des donneurs grâce à des tests génétiques rendent cette position difficile à maintenir. Notre association s’est résolue à accepter la levée de l’anonymat une fois l’enfant majeur dans les conditions prévues par les textes.
Nous avons tout de même souhaité que l’anonymat soit maintenu au moment du recours au don. Sur ce point, nous avons été entendus.
Quelles sont les autres propositions qui n’ont pas été prises en compte dans le projet de loi et qui pourraient éventuellement être défendues lors des prochaines lectures ?
Dr Letur: Les professionnels de santé impliqués dans le don réclament que les établissements privés soient impliqués dans le don de gamètes et dans l’autoconservation de la même manière que les établissements publics et privés à but non lucratif. Il est contre-productif de se priver des ressources notamment humaines des centres privés. Cette ouverture était prévue dans le compte-rendu de la commission spéciale bioéthique, mais a disparu en première lecture du projet de loi. Les professionnels réaffirment leur souhait d’une égalité dans ce domaine.
Le projet de loi prévoit également de solliciter les anciens donneurs pour savoir s’ils acceptent que leur identité soit révélée. Il est précisé qu’en cas de refus ou d’impossibilité de les retrouver, les gamètes et les embryons issus de leur don seront détruits. Les professionnels souhaitent qu’ils soient conservés si le donneur n’est pas retrouvé. Ils demandent à ce que soit mis en place un dispositif permettant d’identifier et d’interroger les anciens donneurs et les donneuses.
Il y a aussi une proposition consistant à demander l’accord du couple pour l’utilisation ou non des embryons obtenus en cas de décès de l’un des membres du couple au bénéfice du conjoint survivant [Après fécondation in vitro (FIV), la congélation permet de préserver les embryons dits «surnuméraires» . Ces derniers peuvent être « décongelés » lorsque le couple le décide, à l’intérieur d’une période de cinq ans prévue par la loi, ndlr]. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a opposé un refus à cette possibilité d’AMP post-mortem [les amendements favorables à la PMA post-mortem ont été rejetés en première lecture, ndlr]. On continuera donc de demander régulièrement au conjoint endeuillé s’il souhaite donner les embryons ou stopper la conservation.
La position du Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France
Dans le cadre du projet de révision de loi sur la bioéthique, la question la plus souvent posée au Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France (SYNGOF) par les médias est sans grande surprise celle concernant l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, a indiqué le syndicat dans un communiqué en date du 26 septembre.
Mais sur ce point, nous ne saurons rien: « Il n’y aura pas de réponse du SYNGOF à la question polémique des médias. C’est à la représentation nationale de préciser l’importance de la politique de rupture bioéthique en réponse à la demande du gouvernement », explique le syndicat.
En revanche, « le conseil d’administration a autorisé le syndicat à se positionner dans les domaines qui pourraient mettre la profession en difficulté. Après étude du projet, la commission fertilité a validé les points que nous avons portés devant la commission spéciale (audition publique, vidéo consultable sur le site de l’AN) », indique le SYNGOF.
S’opposer à l’exclusion du secteur privé à but lucratif des activités de cryoconservation embryonnaire, des dons et de l’autoconservation des gamètes, tel que cela figure dans le projet de loi. On voudrait créer et entretenir la pénurie que l’on ne s’y prendrait pas autrement.
Soutenir une meilleure information des femmes et un encadrement de l’autoconservation « sociétale » des ovocytes, c’est-à-dire hors motif médical.
Ecrire dans la loi le rôle premier des Conseils Nationaux Professionnels (CNP) pour éclairer l’agence de biomédecine chargée de définir les recommandations de bonnes pratiques médicales dans le diagnostic prénatal (DPN) et mettre ainsi fin aux choix très personnels de l’agence.
Soutenir le rôle du médecin Gynécologue et Obstétricien dans la pratique de l’IVG pour motif médical et réaffirmer la clause de conscience spécifique à l’activité d’IVG.
« Le SYNGOF défendra les Gynécologues et les Obstétriciens contre les éventuelles conséquences de cette loi, néfastes à leur exercice », conclut le syndicat.
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Citer cet article: Loi de bioéthique : le point de vue d’une spécialiste de la fertilité - Medscape - 8 oct 2019.
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