Paris, France – Parce que les violences faites aux femmes ne sont pas seulement un problème social, parce que cette maltraitance menace la santé des femmes et celle de leurs enfants témoins, parce que les médecins peuvent être les premiers à constater les violences mais aussi parce qu'ils sont souvent démunis, la Haute Autorité de Santé (HAS) vient de publier deux fiches pratiques, l'une pour savoir comment repérer les femmes victimes, l'autre pour savoir comment agir. Accompagnant une Recommandation de bonne pratique plus détaillées, ces fiches ont été réalisées pour être conservées à portée de main par le médecin[1].
Sujet tabou qui fait un peu peur
« La violence dans le couple est une problématique qui nous concerne, a expliqué la Dr Mathilde Vicard Olagne (médecin généraliste, Vernet-La-Varenne (63)), car elle est à l'origine de problème de santé chez les victimes et leurs enfants. C'est notre travail quotidien de considérer les patients dans leur globalité ».
Pour autant, « le médecin ne sait pas comment agir sur un sujet tabou qui lui fait un peu peur », a rappelé le Pr Dominique Le Guludec, Présidente de la HAS, lors de la présentation à la presse de la Recommandation « Repérage des femmes victimes de violences au sein du couple ». Avant de poursuivre « Et nous pensons que nous pouvons les aider. »
Aider les professionnels de santé, soit mais comment ? En mettant à leur disposition des fiches pratiques d'à peine deux pages à garder à portée de main :
Oser poser la question
En France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint et 219 000 femmes subissent chaque année des violences au sein de leur couple. En 2018, 121 femmes ont été tuées dans un contexte de violences conjugales. Ces dernières concernent tous les âges, toutes les catégories socioprofessionnelles et de toutes les cultures, et revêtent différentes formes –physique, psychologique, financière. D'où l'importance, selon la HAS, de poser la question largement aux femmes lors d'une consultation.
« Avez-vous déjà vécu des choses difficiles ? » par exemple, suggère le Dr Ghada Hatem, gynécologue obstétricienne, responsable de la Maison des femmes à Saint-Denis. « Parfois des patientes qui présentent les mêmes symptômes sont victimes de violences. Et vous ? » propose, pour sa part, le Dr Mathilde Vicard Olagne. Les façons d'aborder la violence au sein du couple lors d'une consultation sont multiples.
Et c'est probablement la difficulté de l'exercice : le médecin doit trouver les mots avec auxquels il sera à l'aise pour aborder le sujet avec la patiente. « On est pas obligé d'utiliser le mot « violence ». Cela peut être une petite question anodine que chacun amène avec sa sensibilité » explique le dr Ghada Hatem. La fiche synthétique fournit différents exemples pour aborder le sujet.
Conseillé par Mathilde Vicard Olagne, le site declicviolence.fr, alimenté par des travaux de recherche scientifiques de jeunes médecins, est aussi très utile.
Ne pas minorer les violences
La question peut-elle offusquer ou blesser les femmes ? Les spécialistes présents insistent sur le fait que les violences sont insupportables pour ces femmes mais pas que la question leur soit posée. Le Pr Le Dominique Le Guludec rappelle que les questions de l'alcool et du tabac sont maintenant couramment abordées sans qu'elles entraînent des réactions négatives de la part des femmes. « Faire entrer ce questionnement sur les violences dans les mœurs permet la déstigmatisation et la libération de la parole. Il faut systématiser le questionnement » insiste-t-elle.
« Il est salutaire que les femmes trouvent chez les professionnels de santé une écoute empathique, aidante et dénuée de jugement » considère Françoise Toutain, Directrice du Centre Flora Tristan, qui accueille des femmes victimes de violences conjugales. Elle rappelle que « le cabinet médical est parfois le seul endroit où elles peuvent se rendre seules » et insiste sur le fait que les violences sont trop souvent intégrées dans nos esprits. « Dans une société où les femmes sont dominées, on finit par accepter les violences. Ceci est un frein à la révélation. Il faut faire comprendre aux dames que les comportements violents ne sont pas normaux, ce n'est pas un fonctionnement de couple » détaille-t-elle.
Comprendre le mécanisme des violences dans le couple
Egalement présent à la conférence de presse et participant du groupe de travail de la HAS, le Dr Humbert de Fréminville (médecin généraliste et médecin légiste, Lyon) a évoqué un aspect de compréhension indispensable du mécanisme des violences dans le couple.
« Les soignants ont du mal à comprendre pourquoi les femmes victimes de violences conjugales peuvent rester des années auprès de leur agresseur ou pourquoi elles y retournent. C'est décourageant pour eux et ils peuvent finir par laisser tomber. Or, c'est méconnaître le phénomène d'emprise » explique-t-il. Il rappelle que l'emprise, qui se met en place sur plusieurs années, détruit l'altérité. La victime est chosifiée.
Alors quelle est la conduite à tenir ? Les membres du groupe de travail préconisent d'accompagner les femmes à faire elles-mêmes, à leur rythme. Il faut être disponible sans pour autant entrer dans des actions immédiates car il n'est pas possible de forcer le processus de dés-emprise qui nécessite, quand les victimes sont prêtes, une prise en charge spécifique. Il s'agit pour le professionnel de santé d'aider la victime à retrouver une autonomie et ne pas faire à sa place.
Humbert de Fréminville conseille d'écrire tout ce que les victimes disent une fois que la parole est libérée. « C'est capital pour poser ultérieurement le diagnostic de trouble dissociatif » explique-t-il.
Adopter une attitude bienveillante
Dans tous les cas, favoriser un climat de confiance et en adopter une attitude bienveillante, permet de faire savoir aux victimes qu’elles disposent d’un interlocuteur à leur écoute, sensibilisé aux situations de violences au sein du couple et donc de libérer la parole sur le sujet, lors d’une première consultation ou d’une consultation ultérieure.
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Citer cet article: Violences conjugales : des fiches pratiques pour aider le médecin à repérer et à réagir - Medscape - 8 oct 2019.
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