Enregistré le 17 septembre 2019, à Barcelone, Espagne
Comment l’immunothérapie pourrait-elle permettre de retarder la survenue du diabète chez les enfants qui sont à très haut risque de DT1 ? Le Pr Ronan Roussel interroge le Pr Lucienne Chatenoud qui présidait une session sur ce sujet au congrès EASD 2019, sur les résultats, limites et perspectives de ces recherches.
TRANSCRIPTION
Ronan Roussel — Bonjour, je suis Ronan Roussel, professeur de médecine à l’Université de Paris et chef du service de diabétologie à l’hôpital Bichat, et nous sommes à l’EASD, à Barcelone, pour le congrès de diabétologie. Nous allons parler d’une présentation dans la prévention, ou plutôt le recul de la survenue du diabète de type 1, avec le téplizumab, un anti-CD3. Pour cela je suis avec Lucienne Chatenoud, professeure de médecine également à l’université de Paris et cheffe de service en immunologie clinique à l’hôpital Necker. Pourriez-vous tout d’abord nous résumer les résultats de cette étude ?
Lucienne Chatenoud — Les résultats ont été publiés[1] au mois d’août dans le New England Journal of Medicine et présentés au congrès l’American Diabetes Association au mois de juin. Il s’agit d’une étude assez exceptionnelle, puisqu’elle a recruté des sujets qu’on appelle à haut risque, c’est-à-dire des enfants issus de familles de patients diabétiques et qui présentent déjà des signes immunologiques de la maladie. Ils ont deux ou plus auto-anticorps en circulation qui sont dirigés contre les cellules bêta, et ils ont en plus ce qu’on appelle une dysglycémie — c’est-à-dire que la première phase de la courbe de réponse à une charge de glucose est déjà anormale. Donc ils sont au bord de déclarer l’hyperglycémie, mais pas diabétiques. Ils ne sont pas hyperglycémiques, ils ne sont pas traités par insuline.
Ronan Roussel — Cette population est quand même une population de recherche, aujourd’hui on ne fait pas des tests de cette nature chez tous les enfants, ni même aux fratries des patients diabétiques, n’est-ce pas ?
Lucienne Chatenoud — C’est une question très intéressante. Les études de ce type, pour screener la population, ont débuté il y a de très nombreuses années quand l’immuno-intervention dans le diabète de type 1 a commencé. Le problème est que, chemin faisant, il n’y avait pas vraiment de thérapeutique à proposer et donc il était très difficile de dépister les malades, de leur dire « vous allez développer une hyperglycémie, mais on n’a rien à vous proposer ». Donc c’est une des choses qui vont peut-être être majeures avec cette étude : c’est la première fois que l’on peut dire que l’on dispose de quelque chose que l’on peut proposer. Cela pourrait vraiment relancer tous les efforts de dépistage dans les familles, et pourquoi pas, dans la population générale.
Ronan Roussel — D’accord. Juste en quelques mots, quel était le critère de jugement principal et les résultats ?
Lucienne Chatenoud — Le critère de jugement principal était le fait que ces enfants devenaient hyperglycémiques et avaient besoin d’une thérapeutique à l’insuline. Donc voilà un diagnostic d’hyperglycémie, donc de diabète métaboliquement avéré. Ils ont été, au moment du recrutement, traités par seulement 14 jours du traitement, à des doses faibles, et après il n’y a qu’un suivi, sans autres thérapeutiques. Ce qui a été vu, c’est que ce traitement par anticorps, vis-à-vis du placebo, était capable de retarder d’au moins deux ans la survenue de l’hyperglycémie et donc la mise sous traitement par insuline.
Ronan Roussel — Alors ce n’est pas éviter définitivement le diabète, c’est reculer... J’imagine que tout le monde, et les familles en particulier, seront enthousiastes, déjà, de ce premier pas.
Lucienne Chatenoud — Les familles et les autorités réglementaires américaines (la FDA) ont été tout à fait enthousiastes de ces résultats et ils ont accordé, il y a quelques semaines, la possibilité d’une mise sur le marché de type breakthrough… dans l’indication de la prévention.
Pour revenir à la prévention, vous avez tout à fait raison : on ne peut pas dire que c’est une vraie prévention de la maladie. Pour l’instant, c’est un délai de survenue de l’hyperglycémie. Mais avec un suivi plus prolongé il ne sera peut-être pas impossible de détecter un sous-groupe de patients qui pourraient être plus répondeurs, et pourquoi pas, ne jamais devenir insulinodépendants, comme nous l’avions vu dans les années 90 dans le modèle de la souris NOD (non obèse diabétique) qui pouvait être guérie à vie avec un traitement de courte durée avec un anticorps anti-CD3.
Ronan Roussel — Alors justement, on peut voir les modalités du traitement et les détails dans l’article du NEJM , mais ce traitement était séquentiel en tout début de l’étude (et non pas de la maladie puisqu’ils n’étaient pas vraiment malades), et n’était pas répété par la suite — le traitement par anticorps l’anti-CD3 téplizumab. Est-ce qu’on peut imaginer un bénéfice d’une répétition de l’intervention ?
Lucienne Chatenoud — Totalement. On peut imaginer un bénéfice d’une répétition de l’intervention. Je reviendrai simplement sur le fait « ils ne sont pas encore malades ». Je pense qu’il faut être précis — ils ne sont pas encore hyperglycémiques…
Ronan Roussel — D’accord.
Lucienne Chatenoud — … mais la maladie immunologique est déjà là. Ce qui est en jeu, c’est vraiment le fait de changer ce paradigme. Peut-être que pour avoir une vraie guérison de la maladie il faudra vraiment la traiter à un stade plus précoce que celui où nous étions habitués à intervenir, c’est-à-dire au moment où l’hyperglycémie est déclarée.
Ronan Roussel — On a donc parlé de l’efficacité, qui est déjà assez remarquable. Mais quand on parle d’efficacité, il faut parler aussi de tolérance. Quelle est-elle pour ce type de médicaments ?
Lucienne Chatenoud — L’ensemble des essais thérapeutiques dans lesquels le téplizumab a été utilisé a maintenant recruté plus de 800 patients, dont certains ont été suivis pendant presque sept à huit ans. Et il n’y a pas d’effets secondaires à long terme. Les effets secondaires sont à très court terme, après les premières injections. Ce sont des symptômes de type simili-grippal, mais légers, qui sont tout à fait acceptables, et d’ailleurs s’ils ne l’avaient pas été, il n’aurait jamais été possible de faire ce type d’essai « prévention » chez des individus non hyperglycémiques.
Ronan Roussel — Pour conclure : on a dit que le breakthrough était autorisé par la FDA. Qu’en est-il en Europe ? Est-ce que vous avez déjà des familles qui disent, « on est intéressé » et qui vous mettent une certaine pression ?
Lucienne Chatenoud — Suite à cette acceptation de la FDA, il y a un dossier qui a été remis et qui est en cours d’être examiné par la EMA. Donc effectivement, tout est fait en parallèle. Il y a aussi un autre essai de phase 3 qui a déjà débuté aux États-Unis et qui va également s’étendre à l’Europe et qui concerne le traitement du diabète établi. En fait, c’est vraiment une démarche très large de possibilités de mise sur le marché du médicament : pour le traitement du diabète établi et dans cette démarche de prévention de la progression de la maladie, qui se fait en parallèle, des deux côtés de l’Atlantique.
Ronan Roussel — Pensez-vous qu’on a des modalités ou un espoir d’avoir aussi une espèce de fast track pour l’arrivée sur le marché de la drogue en Europe ?
Lucienne Chatenoud — La possibilité d’un fast track dépend de la possibilité, si on parle toujours du « protocole prévention » entre guillemets, d’avoir un marqueur pour mieux cibler la pathologie ; et par exemple, ce marqueur, il existe déjà un peu puisqu’il faut qu’il y ait une dysglycémie. C’est-à-dire que ce qui était discuté à la session ici à EASD était : que faudra-t-il faire pour essayer de voir si le traitement marche également à des stades plus précoces de la maladie et surtout chez des enfants plus jeunes, puisque pour l’instant l’âge le plus faible qui a été recruté est de huit ans ? On sait que le pic de diabète est plutôt à 5-6 ans, donc il faudra aussi effectuer ce genre d’études.
Ronan Roussel — Très bien. Merci. C’était fascinant. Merci beaucoup et à bientôt.
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Citer cet article: Délai de survenue du diabète de type 1 avec le téplizumab : limites et perspectives - Medscape - 10 oct 2019.
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