Enregistré le 30 septembre 2018, à Barcelone, Espagne
Dans cette 2e partie consacrée aux cancers gynécologiques, Manuel Rodrigues (Institut Curie), Alexandra Leary (Institut Gustave Roussy) et Frédéric Selle (Groupe Hospitalier Diaconesses Croix-Saint Simon) commentent 3 études :
un essai testant l’inhibiteur de MEK tramétinib dans les cancers de l’ovaire séreux de bas grade
les résultats de la bi-immunothérapie (anti-PD1 + anti-CTLA-4) dans le cancer du col de l'utérus
la combinaison lenvatinib + pembrolizumab dans le cancer de l’endomètre avancé
Voir la 1re partie - Cancer de l’ovaire : les anti-PARP au cœur de l’actualité ESMO avec 3 études clés
TRANSCRIPTION
Manuel Rodrigues — Bonjour et bienvenue sur Medscape, en direct de l’ESMO 2019, à Barcelone, en partenariat avec la SFC, pour cette seconde vidéo de gynécologie, cette fois-ci sur des tumeurs plus rares, mais aussi sur des cancers de l’utérus qui sont un peu plus fréquents. On va donc parler de trois études qui nous ont intéressés.
Cancer de l’ovaire séreux de bas grade : résultats encourageants avec l’inhibiteur de MEK tramétinib
Manuel Rodrigues — La première concerne un type de cancer de l’ovaire qui sont les séreux de bas grade [1]. C’est un type histologique qui est connu pour être plus indolent, mais également plus résistant à la chimiothérapie — ce sont de vraies impasses thérapeutiques avec des patientes qui peuvent avoir des présentations assez importantes, symptomatiques, et on se retrouve démuni parce qu’on ne peut pas aider le chirurgien — nos chimiothérapies marchent peu ou pas. Il y a eu des présentations sur une nouvelle voie thérapeutique. Pouvez-vous nous en dire plus, Dr Alexandra Leary ?
Alexandra Leary — Effectivement, on a un manque thérapeutique absolu pour ces tumeurs. Elles ont souvent des anomalies de la voie de MEK — et d’ailleurs, on avait fait un essai il y a quelques années justement, explorant cette voie thérapeutique qui, malheureusement, avait été négatif. Mais ici, enfin, nous avons une étude positive où, chez des patientes avec un cancer de l’ovaire de bas grade séreux, elles étaient en progression, randomisées à un traitement standard au choix de l’investigateur, qui pouvait être une hormonothérapie ou une chimio, monochimiothérapie, ou à un inhibiteur de MEK…
Manuel Rodrigues — Le tramétinib.
Alexandra Leary — Et là nous avons des résultats positifs. On a une augmentation au niveau du taux de réponse, une augmentation significative de la PFS, et on a même une tendance à une augmentation de la survie globale. Donc ce sont vraiment des résultats positifs. Ils ont confirmé que nos traitements standards ne marchent pas très bien : la chimio ne marche pas, le tamoxifène marchait très mal, le létrozole un peu mieux, mais surtout là, avec une thérapie ciblée orale, on a eu de très bons résultats. Donc c’est important.
Manuel Rodrigues — C’est un très bel espoir pour ces patientes qui sont effectivement démunies.
Association de deux immunothérapies dans le cancer du col
Manuel Rodrigues — Parlons maintenat d'un autre type de cancer que sont les cancers du col de l’utérus où souvent, en rechute, on fait de la chimiothérapie, parfois avec une thérapie ciblée, mais quand les patientes rechutent après cette première ligne de chimiothérapie, on est souvent démuni avec des drogues qui sont très peu efficaces et souvent toxiques chez les patientes qui ont déjà été prétraitées, assez sensibles aux risques cytopénies. On est donc souvent, en pratique, démuni pour les chimiothérapies, qui sont très difficiles à supporter et sans efficacité. Et là, on a une nouveauté en immunothérapie.
Alexandra Leary — Oui. Là aussi une étude petite [CheckMate 358] [2], avec une centaine de patientes, mais où les investigateurs ont testé deux schémas d’une association de deux immunothérapies : un anti PD-1 [nivolumab] et un anti CTLA-4 [ipilimumab] – pas de chimiothérapie. Et là, on s’attend à des taux de réponse très bas dans cette population, on sait qu’en monothérapie, l’immunothérapie fait à peu près entre 12 % et 14 %, et ici, avec une association, on avait des taux de réponse extrêmement intéressants de 25 % à 45 %, en fonction du schéma qui avait été utilisé et aussi en fonction de si les patientes avaient été prétraitées par chimiothérapie ou étaient chimiothérapie-naïves. Donc deux messages qui sortent : on a un taux de réponse bien au-dessus de ce qu’on pourrait attendre avec une chimiothérapie, et deuxième message le taux de réponse et le bénéfice en termes de PFS est meilleur quand on introduit cette combinaison d’immunothérapie en première ligne. Je pense que c’est important et cela donne un peu d’espoir surtout les essais qui sont en cours en ce moment dans les cancers du col avec immunothérapie et chimiothérapie en première ligne. Donc c’est sans doute important de placer l’immunothérapie.
Manuel Rodrigues — Et on se rappelle que cette combinaison avait été développée il y a nombreuses années dans les mélanomes cutanés, elle était difficile à supporter ; ils ont modifié le schéma d’administration et cela passe très clairement mieux.
Alexandra Leary — Oui. Cela passe mieux… il y a quand même des toxicités de grade 3-4, dans presque un tiers des patientes… mais je pense qu’on apprendra à mieux les gérer. Des taux de réponse de plus de 30 % dans les cols, on n’en voit pas, donc c’est vraiment intéressant.
Manuel Rodrigues — Avec des essais cliniques, maintenant, peut-être en première ligne aussi, dès la prise en charge initiale avec l’immunothérapie. Une vraie révolution, aussi.
Cancer de l’endomètre : association lenvatinib et pembrolizumab
Manuel Rodrigues — Maintenant le cancer de l’endomètre, donc du corps de l’utérus, qui est en augmentation — on voit bien aux États-Unis l’augmentation de ces cancers chez des patientes âgées ; la médiane est, à mon souvenir, en dessous de 65 ans. On était aussi relativement démuni, puisqu’après une première ligne de chimiothérapie, en rechute, globalement ce qu’on faisait la plupart du temps, on se retrouvait derrière avec des taux très faibles d’efficacité et les thérapies ciblées, il y a eu quand même un long passage avec plein de thérapies ciblées qui ont été essayées, que ce soit mTOR ou les inhibiteurs de l’angiogenèse. On a cru a beaucoup de choses et beaucoup se sont plantés, et là on a l’impression de sentir une confirmation avec des drogues qui viennent d’ailleurs d’obtenir l’autorisation aux États-Unis.
Frédéric Selle — Tout à fait, oui. On nous a présenté une belle session orale concernant le cancer de l’endomètre sur une petite étude[3] de 124 patientes qui recevaient une association de pembrolizumab, qui est une immunothérapie, avec un antiangiogénique multisite TKI qu’on appelle le lenvatinib, qui est une drogue à administration orale. La plupart des patientes n’avait pas de déficience dans le système de réparation MMR, il n’y en avait que 9 qui étaient MSI, donc on s’adresse vraiment à une population où l’immunothérapie seule ne marche pas. Résultats : on a des taux de réponse jusqu’à 35 %. Et plus intéressant que le taux de réponse — cela va avec — la durée de réponse. On a une médiane de durée de réponse qui était presque à 20 mois évaluée par les investigateurs, qui a été revue par un comité indépendant aux alentours de 14 mois. Donc c’est vrai que ce sont des résultats tout à fait, comme on dit, relevant, dans cette indication, qui a fait que cette association a été approuvée aux États-Unis, au Canada, et de mémoire en Australie. Du point de vue de la toxicité, je dirais qu’on retrouve la toxicité des antiangiogéniques avec tout de même 30 % d’hypertension artérielle, donc il faudra surveiller ces patientes. On retrouve un peu de fatigue et de diarrhée — 6 % de grade 3 pour les diarrhées — et on est un peu surpris de la fréquence de l’hypothyroïdie. Il n’y a pas de grade élevé, mais il y a plus d’hypothyroïdies que l’on aurait supposé. Et j’en profite pour dire qu’en France on a une étude qui évalue cette association en phase 3 versus le standard of care qui est une monochimio par doxorubicine ou paclitaxel.
Manuel Rodrigues — Vous le disiez tout à l’heure, en fait, dans cette population de cancers de l’endomètre, la majorité sont probablement liés à un syndrome métabolique, en tout cas ce sont des cancers de la patiente âgée, et il y a une minorité de ces cancers qui sont dans un cadre connu parfois comme étant le syndrome de Lynch, avec un statut qui fait que ces mutations font que ce sont des tumeurs hypermutées et ce qui explique pourquoi ces tumeurs sont particulièrement sensibles à l’immunothérapie.
Frédéric Selle — Tout à fait.
Manuel Rodrigues — Donc cette étude confirmait encore une fois le très bon taux de réponse de cette population.
Frédéric Selle — Et avec une population qui est quand même grave. Parce qu’il y avait 30 % de séreux de haut grade (de mémoire), et dans les 50 % d’endométrioïde, il y avait 20 % de grade 3. Donc une catégorie de patientes avec des maladies de l’endomètre agressives.
Manuel Rodrigues — Dans cette population, qui était finalement une population MSI, donc instable, avec une haute charge mutationnelle, on sait depuis plusieurs années maintenant que cela répond très bien à l’immunothérapie, et aujourd’hui on ne l’a toujours pas dans notre pratique.
Frédéric Selle — Tout à fait.
Manuel Rodrigues — Il faut qu’on se débrouille, il faut quand même le dire… À chacun des moyens de rafistoler les choses, de trouver des essais cliniques quelque part… Dans cette population, il y a maintenant une efficacité, donc c’est aussi une belle ouverture.
Frédéric Selle — ...et qui a été évaluée en phase 3…
Manuel Rodrigues — Donc on espère que cela se confirmera.
Frédéric Selle — … on est dans la bonne marche pour avoir une nouvelle ligne thérapeutique dans cette pathologie.
Manuel Rodrigues — Très bien.
Merci encore pour ce tour d’horizon et à bientôt sur le site de Medscape.
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Citer cet article: Col de l'utérus, endomètre, tumeurs ovariennes rares : nouveautés dans les cancers gynécologiques - Medscape - 4 oct 2019.
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