CBNPC EGFR mutés : l’osimertinib coiffe les autres TKI au poteau

Stéphanie Lavaud

1er octobre 2019

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

Barcelone, Espagne – Dans le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC), l’osimertinib, administré en première ligne, augmente significativement la survie globale comparé aux inhibiteurs de tyrosine kinase (TKI) de générations plus anciennes chez des patients présentant des mutations EGF-R de type Ex19del/L858R EGFR.

En montrant une médiane de survie globale de 38,6 mois avec l’osimertinib (Tagrisso®, AstraZeneca) versus 31,8 mois pour les inhibiteurs de tyrosine kinase plus anciens comme le gefitinib (Iressa®, AstraZeneca) and erlotinib (Tarceva®, Genentech/Astellas Oncology), FLAURA renforce la place de cet inhibiteur de tyrosine kinase de 3ième génération comme traitement de choix pour les patients atteints de CBNPC mutés EGFR.

« C’est la première fois qu’un inhibiteur de tyrosine kinase (TKI) fait la preuve d’une extension de la survie par rapport à un autre TKI dans le cancer bronchique » a commenté le Pr Suresh Ramalingam, principal investigateur et oncologue (Winship Cancer Institute of Emory University, Atlanta) lors de la présentation en conférence de presse de l’étude au congrès de l’ESMO 2019 à Barcelone [1].

Pour les experts, cela fait de l'osimertinib le traitement à donner en première ligne pour donner à l’ensemble des patients l’assurance de bénéficier d’emblée du médicament le plus efficace. En France, l’osimertinib dispose déjà d’une AMM dans la prise en charge du cancer du poumon non à petites cellules EGFR muté en première ligne sur la base des données de survie sans progression présentées il y a deux ans (voir encadré).

Extension de survie globale de 6,8 mois

FLAURA est une étude de phase III, randomisée, en double aveugle, qui a comparé l’osimertinib (n = 279) à la prise en charge standard par erlotinib ou gefitinib (n= 277) comme traitement de première ligne dans le CBNPC chez 556 patients présentant des mutations de type 19 ou 21 dans un exon de EGFR. Les premiers résultats avaient fait l’objet d’une présentation en Late-breaking à l’ESMO en 2017 à Madrid. Les données à 3 ans avaient montré à l’époque que l’osimertinib améliore la survie sans progression (critère primaire) de 54% comparé au traitement de première ligne chez les patients avec une mutation du récepteur à l’EGF (EGFR).

Cette année, les investigateurs de FLAURA reviennent, avec les données des critères secondaires, et montrent que le plus attendu, celui de la survie globale, montre une médiane de 38,6 mois avec l’osimertinib versus 31,8 mois pour les inhibiteurs de tyrosine kinase plus anciens (hazard ratio : 0,799 ; p=0,0462).

« Cela revient à une extension de 6,8 mois, c’est à ce jour la durée de survie la plus longue pour des patients présentant des mutations EGF-R » a précisé le Pr Suresh Ramalingam lors de la présentation en conférence de presse.

54% des patients du groupe osimertinib toujours en vie à 3 ans

« Plus de la moitié des patients (54%) du groupe osimertinib étaient toujours en vie à 3 ans comparé au 44% du groupe « traitement standard ». Ces résultats en termes de survie avec l’osimertinib en première ligne sont à la fois significatifs statistiquement parlant et cliniquement pertinents » a commenté l’orateur.

Ramalingam a conclu que « FLAURA a atteint ses critères primaires et secondaires principaux et a montré un profil d’effets indésirables favorable. Ces résultats renforcent la supériorité et l’utilité cliniques de l’osimertinib en première ligne.

Concernant les patients toujours sous traitement au cours du temps, l’orateur a indiqué « qu’après 3 ans, 28% des patients sous osimertinib étaient toujours sous traitement contre 9% des patients du bras comparateur ».  Et le délai avant traitement suivant (deuxième ligne de traitement) était de 25,5 mois chez les patients sous osimertinib contre 13,7 mois pour les patients du groupe contrôle [HR : 0,478 (0,393-0,581) ; p < 0,0001].

Bénéfice en faveur de l’osimertinib dans tous les sous-groupes de patients

Les patients de l’étude pouvant bénéficier d’un « cross-over », après progression de la maladie, 31% des patients du groupe contrôle sont passés dans le bras osimertinib, ce qui signifie qu’au total 47% des patients du groupe contrôle avaient reçu l’osimertinib à la fin de l’étude.

« Cela est cohérent avec ce que l’on pourrait attendre en vie réelle, quand on sait que près de 50% des patients développent des mutations de résistance de type T790M et seraient candidats à l’osimertinib ».

« Même si l’étude n’avait pas la puissance nécessaire pour l’évaluer, un bénéfice en faveur de l’osimertinib retrouvé dans tous les sous-groupes de patients. Toutefois, dans deux populations de patients, ce bénéfice est moins important : les patients présentant une mutation de type L858R et les patients asiatiques (voir encadré). Chez ces derniers, ce bénéfice n’est plus visible après 36 mois et demande une interprétation prudente des résultats » a souligné l’orateur en session plénière.

Moins d’effets indésirables de grade 3 dans le bras osimertinib

Concernant les effets indésirables, l’investigateur a signalé qu’aucun nouveau signal de sécurité n’était apparu dans cette analyse. Le temps médian d’exposition à l’osimertinib a été de 20,7 mois contre 11,5 mois dans le groupe TKI. Et les effets indésirables de grade 3 possiblement dus au traitement ont été plus faibles dans le groupe osimertinib avec 18% (51 patients) comparé à 29 % (79 patients) dans le bras comparateur. Les principaux étant les diarrhées, les érythèmes cutanés et l’acné, suivis des effets sur les ongles et la peau.

Sur la base de ces données, il ne fait aucun doute pour le Pr Ramalingam que « l’osimertinib devrait constituer le traitement de première ligne de choix pour ces patients souffrant de CBNPC muté pour EGFR » car, selon lui, « beaucoup de patients (1 sur 3) risquent de mourir avant d’avoir eu l’opportunité de bénéficier de ce traitement en deuxième ligne ».

Un « home run » pour l’osimertinib ?

En présentation plénière, le Dr Pasi Jänne (Dana Farber Cancer Institute, Boston, Etats-Unis), qui commentait l’étude, s’est montré définitivement enthousiaste vis-à-vis de l’étude. Avec une médiane de survie globale de 7 mois avec l’osimertinib et 28% de patients recevant toujours le traitement à 36 mois, vs 9%, il ne fait aucun doute, pour lui, que la thérapie est cliniquement pertinente – même si l’ampleur de la survie globale diffère selon les sous-groupes de patients (les patients asiatiques et ceux portant la mutation L858R étant moins répondeurs).

A la question, l’osimertinib doit-il s’insérer dans une séquence ou être donné d’emblée, le Dr Jänne opte, sans hésitation, pour la deuxième option, avec, notamment, les arguments suivants : « nous ne savons pas en ce jour déterminer qui aura la mutation T790 M, mais surtout tous les patients n’iront pas assez bien pour recevoir une deuxième ligne de traitement », a-t-il affirmé en insistant sur ce chiffre très marquant mentionné par le Pr Ramalingam, de 30% des patients dans les deux bras de l’étude qui n’on pas pu recevoir de deuxième ligne de traitement. 

Cela va-t-il changer les pratiques ? « Oui, en dissuadant le traitement séquentiel et en incitant les pays qui ne remboursent pas encore la molécule à le faire » a considéré le Dr Jänne. Celui-ci n’a d’ailleurs pas hésité à comparer le « cycle » accompli par l’osimertinib à celui d’une balle de baseball, affirmant qu’« avec ses bons résultats en termes de taux de réponse, de survie sans progression , de survie globale et d’activité au niveau du système nerveux central, l’osimertinib a accompli un « home run » [un coup qui au base-ball permet au frappeur de passer par toutes les bases d’une seule frappe].

Même conclusion pour le Pr Fabrice Barlesi (oncologue, Marseille) qui, reprenant la métaphore sportive du Dr Jänne a affirmé, lui aussi dans une discussion vidéo pour Medscape (Voir Cancer du poumon : 4 études majeures au congrès ESMO 2019), que c’était « home run » pour l’osimertinib et « qu’il n’y avait pas de discussion sur la place du TKI de 3ième génération » qui « doit être prescrit en première ligne ». Lui aussi a dit être « très impressionné par le chiffre – assez contre-intuitif car on pourrait penser que les patients mutés EGFR sont plus en forme que les autres – de 30% de patients qui ne reçoivent pas de deuxième ligne ». Pour ce qui est de la place de l’osimertinib dans le CBNPC muté EGFR, pour l’oncologue marseillais : « c’est la meilleure drogue en premier, et c’est particulièrement vrai avec l’osimertinib. » Une remarque à laquelle le Pr Marie Wislez, oncologue thoracique à l’hôpital Cochin à Paris, a dit adhérer elle aussi, espérant un remboursement plus large très prochainement (voir encadré ci-dessous).

Tagrisso® agréé en première ligne en France depuis juin 2018

Au vu des résultats de l’étude FLAURA sur la survie sans progression présentés il y a deux ans, l’osimertinib Tagrisso® (AstraZeneca) a obtenu en juin 2018 une extension d’AMM en France pour dans la prise en charge du cancer du poumon non à petites cellules EGFR muté en première ligne (à l’instar de 77 autres pays dans le monde).

En France, c’est un médicament soumis à prescription hospitalière, réservée aux spécialistes en oncologie ou aux médecins compétents en cancérologie. Il nécessite une surveillance particulière pendant le traitement. Non remboursable et non agréé aux collectivités à la date du 29 juin 2018 (demande d’admission à l’étude), il est pris en charge selon les conditions définies à l'article L.162-16-5-2 du Code de la Sécurité Sociale suite à l'ATU de cohorte.

Réfléchir à la séquence de traitements

Commentant ces résultats en conférence de presse, le Dr Pilar Garrido, (Hôpital universitaire Ramón y Cajal, Madrid, Espagne) a affirmé « ces résultats avec l’osimertinib en première ligne sont une bonne nouvelle pour les patients ». Elle a ajouté que l’ampleur du bénéfice en termes de survie justifie qu’il y ait débat sur la meilleure séquence de traitement pour les patients puisque l’osimertinib est le seul TKI autorisé en seconde ligne chez les patients qui ont développé des résistances de type T790M.

Son avis sur le positionnement de l’osimertinib dans la séquence de traitement – qui va devenir crucial – est plus modérée que celle de l’investigateur principal. Selon elle, « si l’osimertinib est donné en première ligne, il n’y aura pas d’autres options disponibles quand la maladie progressera. Les patients devraient donc être informés que l’osimertinib offre un avantage en termes de survie et est bien toléré, mais que si le traitement échoue, la seule autre option est la chimiothérapie. Faire en sorte que la durée sans chimio soit la plus longue est important pour de nombreux patients, mais si nous voulons savoir quelle est la séquence de TKIs la plus efficace, nous devons établir des protocoles spécifiques dans ce but ».

Enfin, a-t-elle conclu, « ces résultats impliquent, primo, que tous les patients soient testés pour ce type de mutation, et donc que les biomarqueurs soient pertinents, deusio, de pouvoir offrir cette thérapie à tous ceux qui pourraient en bénéficier».

 

Mutation de résistance EGFR T790M

Les mutations du récepteur à l’EGF sont retrouvées chez environ 10-15% de patients atteints de ce type de cancer en Occident et ce taux grimpe à 40-50% dans les pays asiatiques. Elles ont été découvertes il y a 15 ans, après la mise au point des premiers inhibiteurs de tyrosine kinase (TKI) anti-EGFR.

L’étude IPASS en 2009 est la première à avoir montré que l’ajout d’un TKI anti-EGFR à la chimiothérapie augmente le taux de réponse et la survie sans progression chez les patients avec un cancers bronchique non à petites cellules (CBNPC) mutés EGFR. Les TKI anti-EGFR sont alors devenus le traitement standard chez ces patients. Mais, en dépit de de ces résultats, la résistance aux TKI anti-EGFR de premières générations est un phénomène inéluctable survenant en moyenne après 9 mois de traitement. Les patients développent alors des métastases principalement cérébrales. Chez une grande partie de ces patients (plus de 50%), la résistance de la tumeur est liée au développement d'une mutation appelée T790M dans le gène codant pour EGFR. La présence de ce variant, T790M, réduit l’accrochage des TKI anti-EGFR de première ou deuxième génération, au site de liaison, altérant possiblement l’activité inhibitrice de ces agents. En revanche, les mutations EGFR et en particulier la mutation T790M peuvent être ciblées par l’osimertinib (mis au point après la découverte de cette mutation), qui, de plus, a un bon taux de pénétration dans le cerveau. 

A ce jour, cinq TKI anti-EGFR (gefitinib, erfotinib, afatinib, dacomitinib et osimertinib) en première ligne sont approuvés dans le monde dans le CBNPC muté EGFR, l’osimertinib étant lui, de plus, approuvé en cas de mutation T790 M.

 

L’étude a été financée par Astra-Zeneca.

Le Pr S. Ramalingam a des liens d’intérêt avec Astra Zeneca, Boehringer Ingelheim, Amgen, Bristol-Myers Squibb, Merck, Tesaro, Advaxis, Roche/Genentech, Loxo, et Takeda.

Le Dr Jänne a déclaré des liens d’intérêt avec AstraZeneca, Boehringer Ingelheim, Pfizer, Genentech/Roche, Chugai Pharmaceuticals, Merrimack Pharmaceuticals, Ariad, ACEA Biosciences, Ignyta, Loxo Oncology, Eli Lilly, Araxes Pharmaceuticals, Mirati Therapeutics, SFJ Pharmaceuticals, Daiichi-Sankyo, Biocartis, Takeda Oncology, Novartis.

Le Pr Barlesi a déclaré des liens d’intérêt avec AstraZeneca, Bayer, Bristol-Myers-Squibb, Boehringer-Ingelheim, Eli Lilly Oncology, F. Hoffmann-LaRoche Ltd, Novartis, Merck, MSD, Pierre Fabre, Pfizer et Takeda.

 

 

 

 

 

 

 

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