Cancers ORL : sujet âgé, immunothérapie et nouvelles molécules

Pr Florence Huguet, Pr Joël Guigay

Auteurs et déclarations

24 octobre 2019

Immunothérapie, prise en charge du sujet âgé avec le programme français ELAN, nouvelles molécules : le point sur l’actualité des cancers de la tête et du cou présentée à ESMO 2019, avec Joël Guigay et Florence Huguet.

TRANSCRIPTION

Florence Huguet — Bonjour. Je suis le Pr Florence Huguet, chef de service d’oncologie et radiothérapie à l’hôpital Tenon, à Paris, et j’ai le plaisir de discuter avec le Pr Joël Guigay, de Nice, des résultats importants présentés lors de cet ESMO 2019 à propos des cancers ORL. J’ai eu la chance d’être la chairman de la session orale. Un des essais importants ayant été présenté portait sur les résultats des premiers essais du programme ELAN [1], présentés par Joël Guigay. Veux-tu nous en dire quelques mots ?

Recherche chez le sujet âgé : programme ELAN

Joël Guigay — Oui, tout à fait. Je rappelle qu’ELAN, c’est un programme français, très large, qu’on a construit il y a à peu près 10 ans et qui a bénéficié d’un soutien financier de l’INCa et de la Fondation ARC, avec l’aide aussi des laboratoires Merck pour le cétuximab, d’à peu près de 3 millions d’euros. En fait, le programme ELAN s’intéresse aux patients âgés de plus de 70 ans atteints d’un cancer ORL, le but étant d’améliorer leur prise en charge, dans la mesure où il n’y a aucun standard de traitement pour ces patients. Il faut donc le définir.

Florence Huguet — Quels sont les nouveaux standards pour ces patients de 70 ans du coup ?

Joël Guigay — J’ai présenté, au nom du groupe GORTEC et GERICO, ce qui concernait les patients en première ligne avec des rechutes ou métastatiques. Les résultats des essais ELAN-FIT et ELAN-UNFIT s’adressaient respectivement aux patients qui étaient « en forme » [ou pas fragiles], donc classés FIT selon le classement du test appelé avant GERICO et qu’on appelle maintenant EGE (ELAN geriatric evaluation), et les fragiles (UNFIT).

Qu’est-ce que ces essais ont montré finalement ? Pour les patients classés FIT, donc en forme (grâce à tout le processus de sélection et où l’oncologue est le décideur final, avec ou sans discussion avec le gériatre),.. délivrer un traitement standard, comme aux jeunes patients, de type EXTREME [cetuximab/carboplatine/fluorouracil] avec quand même GCSF et érythropoïétine comme recommandé par les oncogériatres, offre des résultats très bons, même supérieurs à ce qu’on attendait, c’est-à-dire avec une médiane de survie de 14,7 mois, ce qui est assez…

Florence Huguet — Oui, ce sont des résultats très impressionnants.

Joël Guigay — Très étonnants.

Florence Huguet — Meilleurs que dans l’étude EXTREME initialement publiée par Vermorken.

Joël Guigay — Tout à fait.

Florence Huguet — Et pour les UNFIT, qu’est-ce qu’on fait ?

Joël Guigay — Pour les UNFIT, par contre, là, c’était bien différent, on a été assez déçu parce que le critère principal était la survie sans échec en incluant aussi la perte d’autonomie, comme on fait toujours pour ces essais qui concernent les sujets âgés. Là, on a une survie très faible, inférieure à deux mois, quel que soit le traitement. Et avec une médiane de survie inférieure à cinq mois. Le travail qui a été fait avec Anne Aupérin, qui est biostatisticienne de ces essais, et on a identifié quand même deux sous-groupes : un groupe de patients qui avaient un performance status 0-1, qui avaient une meilleure médiane de survie à sept mois. Et par contre, les PS2, eux, avec une médiane à deux mois et qui ne bénéficiaient pas du tout du traitement, de la monothérapie, que ce soit cétuximab ou méthotrexate. Donc on a deux groupes d’UNFIT, de fragiles, avec quand même globalement des résultats de monothérapie qui ne sont pas très satisfaisants. La conclusion est donc que pour les PS2 fragiles, je crois qu’il est difficile de proposer autre chose que des soins de support seuls – on a montré que là, on ne leur apportait pas grand-chose, même avec une monothérapie. Et pour ceux qui, finalement, ont un performance status un peu meilleur et classés fragiles avec le test, il faut en effet essayer de trouver un traitement plus efficace et évidemment on pense tout de suite à l’immunothérapie, aux inhibiteurs de check-point, et on voudrait essayer d’aller dans ce sens-là et si possible de monter un essai dédié à cette population au sein du groupe, et en discussion avec le groupe dialogue des oncogériatres.

Florence Huguet — Et pour l’issue de la prise en charge des sujets âgés, la France est finalement très novatrice – il n’existe aucun autre programme au monde de cette ampleur.

Joël Guigay — Tout à fait.

Florence Huguet — Je crois qu’on peut dire « cocorico », quand même, pour cette session ORL…

Debio1143 supérieur à la radio-chimio seule

Florence Huguet — Et on a eu beaucoup de Français qui ont présenté, notamment, Jean Bourhis avec les résultats de l’essai de phase 3 Debio1143. [2] Donc c’est un essai randomisé radio-chimiothérapie + placebo versus radiochimiothérapie + Debio1143. Alors, le Debio1143, c’est un inhibiteur des protéines de l’apoptose… et dont on pense qu’il peut avoir un effet radio-sensibilisant. Et en effet, puisque dans cet essai le taux de contrôle locorégional était bien meilleur dans le bras Debio que dans le bras radio-chimio, puisqu’il était de 54 % à 18 mois avec cette nouvelle molécule versus 33 % dans le bras classique. Aussi une très bonne tolérance. Donc des résultats prometteurs qui méritent d’être confirmés peut-être à plus grande échelle, à moins qu’on ait une AMM prochaine, je ne sais pas… Qu’est-ce que tu en penses ?

Joël Guigay — À mon avis, je crois que si on veut valider la molécule, on va être obligé de partir sur une phase 3.

Florence Huguet — Oui, puisque c’était une phase 2 randomisée.

Joël Guigay — … et avec un effectif qui n’était pas de 250 patients…

Florence Huguet — Oui, et des données de survie qui n’étaient encore pas complètement matures…

Joël Guigay — Et je pense qu’en effet, ce sont des résultats vraiment très prometteurs… et Jean Bourhis, qui a été le porteur de cet essai depuis le début, croit énormément à cette molécule et je pense qu’il a raison.

Cancer de l’oropharynx HPV+ localement avancé : échec du cétuximab

Florence Huguet — En termes de localement avancé, on a David Jones d’Oxford qui nous a représenté les résultats [3]  de l’étude de phase 3 De-ESCALaTE HPV, dont on connaissait quand même encore en grande partie les résultats, puisqu’ils ont déjà été publiés dans Lancet en 2018.

Je rappelle que cette étude est randomisée chez des patients ayant une tumeur de l’oropharynx HPV positive de bas risque, une chimioradiothérapie avec cisplatine versus radiothérapie et cétuximab, dans l’idée que le cétuximab serait peut-être aussi efficace et moins toxique, notamment à long terme, afin de préserver la qualité de vie de ces patients qui vont avoir une survie relativement prolongée. On connaît tous les résultats de cet essai, avec une survie qui est moins bonne dans le bras radiothérapie et cétuximab. Et aujourd’hui il a présenté les résultats en termes de qualité de vie, avec une qualité de vie équivalente dans les deux bras, mais aussi en termes de coût-efficacité et qui montre que le traitement avec le cétuximab coûte plus cher et est moins efficace. Donc je crois que dans cette indication-là, le cétuximab n’a plus sa place – cela confirme ce qui avait été déjà montré avec les résultats de l’essai RTOG 1016. Après, chez les patients UNFIT pour le cisplatine, il a encore probablement un rôle à jouer, mais pour les patients qui peuvent recevoir du cisplatine, HPV-positifs, le cisplatine reste à choisir.

Joël Guigay — Tout à fait. Et en effet, il n’y avait pas de vraie nouveauté dans ce qui nous a été présenté, centré sur la « qualité » — des préoccupations très anglo-saxonnes, j’allais dire —, mais peut-être qu’au temps de l’immunothérapie, je pense qu’on a d’autres questions.

Immunothérapie : déceptions et espoirs

Florence Huguet — Alors, en parlant d’immunothérapie, justement – UPSTREAM[4] ?

Joël Guigay — UPSTREAM est un essai dans lequel beaucoup de centres français sont engagés. Là, on n’est pas en localement avancé, on est en situation de rechute ou métastatique chez des patients qui sont réfractaires aux premières lignes, voire deuxièmes lignes – on est chez des patients très avancés. C’est un programme qui a été construit avec l’EORTC et conduit par l’équipe de Jean-Pascal Machiels. Mais on est partie prenante, nous Français, avec Christophe Le Tourneau et moi-même, et les chercheurs Italiens, avec Lisa Licitra.

L’idée est que, chez des patients qui sont donc en échec de traitement, il faut refaire une biopsie et donc on a un screening moléculaire qui est effectué. Si on met en évidence des anomalies génétiques qui peuvent être ciblées, on propose des études de phase 3 randomisées selon l’anomalie et par ordre de priorisation. Donc il y a, effectivement, des patients qui sont inclus dans des essais avec anti-EGFR, l’afatinib, anti-FGF, anti-inhibiteurs de PARP. Et pour ceux qui n’ont pas ce type de mutation, il y a l’autre cohorte, qui était celle de l’immunothérapie et, notamment, du monalizumab, qui cible les cellules NK et pour lequel on avait déjà des premiers résultats en combinaison avec le cétuximab, qui avait déjà été montrés, si je me rappelle bien, par Jérôme Fayette, montrant quand même des signes d’activité intéressants en combinaison chez des patients atteints de cancers ORL.

Dans ce programme UPSTREAM, il y avait la monothérapie monalizumab et puis la combinaison. Là, Rachel Galot [4] nous a présenté les résultats du monalizumab seul qui, en effet, semble assez décevant puisqu’aucune réponse n’a pu être observée chez ces patients, même si certains bénéficiaient d’une survie un peu plus prolongée. Mais on n’a pas clairement d’explication pour ces patients-là, mais en tout cas — et on pouvait un peu deviner — en monothérapie, le monalizumab n’a pas réellement d’activité et comme le concluait Marco Merlano, on a bon espoir, par contre, que l’association (puisqu’il y a deux types d’association qui sont évalués — pas dans UPSTREAM, mais avec un autre essai avec monalizumab plus durvalumab, monalizumab/cétuximab) aura de meilleurs résultats.

Florence Huguet — Oui. Il faut espérer, parce que ces résultats sont quand même un peu décevants… mais c’était chez des patients quand même lourdement prétraités.

Joël Guigay — Très lourdement traités et c’est vrai que c’est un challenge.

Le problème est que si on va vers l’immunothérapie en première ligne, il faudra trouver un traitement efficace en rattrapage, deuxième ou troisième ligne…

Florence Huguet — D’autant plus que l’immunothérapie est maintenant même testée en association avec la radiothérapie – on a eu des résultats préliminaires dans deux poster discussions qui ont été présentés samedi, dont l’un par le Yungan Tao, de Gustave Roussy, sur les données de safety et de tolérance dans l’essai REACH[5] et notamment dans le bras qui associe radiothérapie, avélumab et cétuximab, mais avec des données qui sont une fois de plus très rassurantes : l’immunothérapie ne majore pas la toxicité de la chimiothérapie. Et c’était la même chose dans une petite étude américaine combinant radiothérapie et pembrolizumab avec pareil, une toxicité tout à fait semblable à celle qu’on connaît avec les chimioradiothérapies classiques.

Joël Guigay — Et celles qu’on avait dans le groupe GORTEC, avec l’essai PembroRad. On avait rapporté déjà les essais de safety qui étaient intéressants, comparés à pembro-cétuximab. Et donc ce type d’associations, pour l’instant, est assez prometteur et chez ces patients on n’a aucune donnée actuelle, finalement, d’efficacité pour ces types association. On les attend avec impatience.

Florence Huguet — Et est-ce qu’il y a d’autres nouvelles molécules qui paraissent intéressantes, ou des déceptions ?

Joël Guigay — Déceptions, oui et non. Notamment, l’inhibiteur de PI3-kinase BKM, le buparlisib, dont on avait déjà parlé en combinaison avec l’essai randomisé qui montrait une amélioration de la progression de la PFS. Pour le coup, on a des cohortes avec des patients avec ou sans mutation présentée en poster et discuté par Jérôme Fayette [6], et chez des malades aussi lourdement traités. Et là, en effet, c’est un peu décevant parce qu’on n’a pas, quel que soit le niveau de mutation, des taux de réponse très bons. Et surtout, le problème est aussi la toxicité de ce médicament, qui fait que son avenir est plus qu’incertain en termes de développement. Après, il y a d’autres pistes qui ont été présentées aussi en poster discussion avec des médicaments … où on agit sur le micro-environnement pour essayer de potentialiser l’action des anti PD1. Ce sont des premiers résultats qui apparaissent intéressants, mais qui sont vraiment très préliminaires.

Florence Huguet — Donc globalement des résultats intéressants, notamment les résultats de l’étude radiothérapie-Debio, les résultats des essais ELAN, qui nous donnent des nouveaux standards, je pense, pour des patients âgés. Et quelques déceptions, mais encore beaucoup de voies de recherche en développement et donc de l’espoir pour l’avenir. Merci.

Interview enregistrée le 30 septembre 2019, à Barcelone, Espagne. Transcrit modifié pour des raisons de clarté.

 

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