Cancer du poumon : 4 études majeures au congrès ESMO 2019

Pr Fabrice Barlesi, Pr Françoise Mornex, Pr Marie Wislez

Auteurs et déclarations

30 septembre 2019

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

Enregistré le 29 septembre 2018, à Barcelone, Espagne

Cancer bronchiques : Fabrice Barlesi, Marie Wislez et Françoise Mornex commentent les avancées majeures présentées au congrès ESMO 2019, avec notamment les résultats des études FLAURA, CheckMate 227, EVIDENS et NICOLAS ETOP 6-14.

TRANSCRIPTION

Marie Wislez — bonjour. Je suis heureuse de vous accueillir dans les studios de Medscape en direct de l’ESMO 2019, à Barcelone, dans le cadre d’un partenariat avec la SFC (Société Française de Cancérologie). Je suis accompagnée de Françoise Mornex, oncologue radiothérapeute à Lyon, et Fabrice Barlesi, oncologue pneumologue à Marseille. Moi-même, je suis Marie Wislez, onco-pneumologue à Paris.

CheckMate-227 : le nivo-ipi en première ligne de traitement dans le cancer du poumon non à petite cellules

Marie Wislez — Nous allons vous rapporter les points qui nous ont semblé importants au cours de ce congrès, et d’emblée, je commence avec Fabrice : qu’as-tu pensé de cette fameuse étude CHECKMATE 227 dont nous avons eu enfin le deuxième point principal ?

Fabrice Barlesi — Solange Peters a rapporté les résultats globaux de l’étude CHECKMATE, à la fois chez les patients PD-L1 positifs, mais également PD-L1 négatifs avec, dans les deux bras, une supériorité du bras nivolumab-ipilimumab low dose par rapport à la chimiothérapie, avec un hazard ratio un peu supérieur à 0,70 dans le bras PD-L1 positif et 0,62 dans le bras PD-L1 négatif, et avec pour les malades qui répondent, des durées de réponses qui font probablement tout l’intérêt de l’immunothérapie prolongée, puisqu’on voit qu’on est entre 40 % et 49 % de malades toujours répondeurs à deux ans, ce qui est, dans le cadre des cancers du poumon, évidemment appréciable.

La question qui se pose maintenant à la vue de ces résultats est — 1) pas d’impact significatif du taux de PD-L1 — peut-être des résultats un peu drivés par les PD-L1 très élevés — 2) pas d’impact, semble-t-il, de la charge mutationnelle. Donc la question est : comment va-t-on trouver la place de cette combinaison dans un arsenal qui va potentiellement des monothérapies par immunothérapie à demain les combos de chimiothérapie-immunothérapie qui devraient être accessibles en France, et puis cette combinaison immunothérapie-immunothérapie, donc une place qui n’est pas facile à trouver.

Marie Wislez — C’est vrai qu’il y a eu pas mal de twists sur le PD-L1, et notamment il y a un forest plot qui a été montré lors de la discussion et qui montre le hazard ratio en fonction du PD-L1 inférieur à 1 %, du PD-L1 de 1 % à 40 %, du PD-L1 supérieur à 50 %, des résultats difficiles à comprendre puisqu’il n’y a pas un continuum dans l’efficacité. Qu’est-ce que tu en penses ? Qu’est-ce qu’il faut en retenir ?

Fabrice Barlesi — C’est vrai que c’est difficile. On l’avait un peu vu avec certaines études de combos de chimio et immuno. Il n’y a pas d’explication franche parce que ce ne sont pas des études qui sont planifiées, et donc finalement, il y a des facteurs de confusion qui peuvent exister dans les populations — on n’est pas sûr que les malades inclus dans cette catégorie 1 à 49 soient strictement tous identiques dans les deux bras.

Marie Wislez — Ce n’était pas stratifié sur 1, 1 à 49, 50.

Fabrice Barlesi — Exactement. Donc il y a ceci, qui est un premier point. Et puis il y a le fait – là il faut aller voir sur la publication du New England Journal of Medicine qui a été faite de manière simultanée pour avoir la répartition par statut PD-L1 et par charge mutationnelle avec des résultats intéressants, notamment, pour les malades PD-L1 négatifs avec charge mutationnelle élevée. On voit qu’on a un bénéfice extrêmement grand. Donc pour l’instant, contrairement à ce qu’on pouvait peut-être anticiper, il n’y a pas de cut-off, de marqueur particulier qui va nous permettre de trouver la place de cette combinaison, mais on a une combinaison qui est efficace, supérieure à la chimiothérapie, qui, on va dire de manière théorique, s’ajoute à l’arsenal thérapeutique pour ces malades avec un régime qui est sans chimiothérapie, ce qui est quand même la demande d’une partie de nos patients aussi, ne pas recevoir de chimiothérapie.

Marie Wislez — Oui. Il n’y a pas de rationnel pour PD-L1, pour un combo nivo-ipi, c’est vrai, donc c’est assez logique, et du coup, que fait-on de la TMB et de toutes les études qui partent avec ce biomarqueur ? Est-ce qu’il faut le mettre en place en routine ? Est-ce que tu crois que ça va pouvoir nous aider, finalement ?

Fabrice Barlesi — Je pense que c’est compliqué de mener des études sans avoir la charge mutationnelle, parce qu’on a encore besoin d’apprendre beaucoup. La quasi-totalité des études que l’on a aujourd’hui avec la charge mutationnelle sont des analyses rétrospectives — il n’y a pas eu de stratification sur ce facteur-là… C’est une raison pour laquelle on n’a pas la valeur de charge mutationnelle chez tous les malades. Souvent, c’est un effectif entre 40 % et 60 % des malades, donc c’est vrai que cela reste encore quelque chose qui est exploratoire. Et avant que ce soit utilisé, mis en place en routine, je pense qu’on a besoin d’avoir des données plus solides sur la valeur de ce marqueur prédictif.

FLAURA : l'osimertinib en traitement de 1re ligne dans le cancer bronchique non à petite cellule avec mutation EGFR

Marie Wislez — Deuxième point fort, c’est FLAURA. Cette étude compare l’osimertinib, un TKI EGFR de troisième génération, à un TKI de première ou deuxième génération chez des patients mutés EGFR métastatiques. On savait que le premier critère était positif, la survie sans progression. La question qui se posait était celle de la survie globale, puisque la question est de faire la séquence et de mettre l’osimertinib à la progression ou bien d’emblée. Là on a eu les résultats, enfin matures, de la survie globale qui montrent un bénéfice de la survie globale du bras osimertinib versus TKI de première ou deuxième génération, alors que le cross-over était possible et que, si on regarde les traitements post-première ligne, on a la même proportion de patients du bras osimertinib qui devait avoir de la chimio ou qui n’a pas de deuxième ligne, et 40 % des bras qui ont accès à une deuxième ligne, enfin, 47 % des malades du bras TKI ont accès à l’osimertinib. Donc, cela se tient et on a un bénéfice de survie globale. Que pensez-vous de ces résultats ? Est-ce que vous restez des « pro » de la séquence ou est-ce que vous allez mettre l’osimertinib d’emblée ?

Fabrice Barlesi — Je crois que tu l’as dit, et cela a été bien illustré aussi, dans la discussion de Pasi Jänne hier. Je crois qu’aujourd’hui, c’est un home run pour l’osimertinib — tous les endpoints ont été remplis de manière indiscutable avec des valeurs qui sont cliniquement significatives, au-delà d’être statistiquement significatives. Donc, clairement, il n’y a pas de discussion sur la place de l’osimertinib en première ligne. Et il est très difficile d’imaginer, aujourd’hui, en dehors d’essais cliniques — et il y a une place pour l’investigation dans ce domaine — d’aller vers des traitements séquentiels, du fait du risque notamment de ne pas avoir accès à un traitement de deuxième ligne. Et un des chiffres — je ne sais pas ce que tu en penses — mais qui m’a le plus marqué finalement et qui est un peu contre-intuitif par rapport à ce qu’on avait comme idée des malades EGFR, c’est cette proportion de malades EGFR mutés qui ne reçoivent pas de traitement de deuxième ligne — 30 % des malades — alors même que c’est exactement identique — alors je dirais à la population plus globale de cancers bronchiques — qu’on avait l’idée que ces malades EGFR mutés étaient en meilleure forme, donc avec plus de chance de recevoir. Donc c’est vrai que — et je pense que le paradigme reste vrai — c’est la meilleure drogue en premier et que c’est particulièrement vrai avec l’osimertinib.

Marie Wislez — Oui. Je suis d’accord. Il ne faut pas rater la deuxième ligne. Et que même quand on est muté EGFR, on risque de rater la deuxième ligne, on risque de faire la méningite carcinomateuse. Donc on espère qu’on va avoir très vite le remboursement en France, en première ligne.

Nicolas ETOP 6-14 et tolérance pulmonaire à l’association IO-Radiothérapie.

Marie Wislez — On va switcher au troisième temps fort de ce congrès. Françoise, qu’est-ce que tu peux nous dire des études NICOLAS ETOP 6-14 et des points sur la radiothérapie ?

Françoise Mornex — Il y a eu plusieurs choses. Donc on a parlé des combinaisons chimio-radiothérapie et immunothérapie et je pense qu’il y a trois points qui sont intéressants : des résultats qu’on a en efficacité, des résultats en tolérance et cela pose le problème de la stratégie et des meilleures combinaisons de timings possibles.

En termes d’efficacité, on a entendu parler ce matin de résultats en survie de NICOLAS qui ont été présentés comme étant peut-être un peu décevants.

Marie Wislez — Tu peux nous rappeler le design très brièvement ?

Françoise Mornex — Oui. NICOLAS est une phase 2, c’était initialement une phase 2 randomisée qui est devenue une phase 2 de chimioradiothérapie avec l’ajout de nivolumab en concomitant et, ensuite, le nivolumab en consolidation. Donc c’est la première étude dont on a des résultats de chimioradiothérapie et immunothérapie en concomitant.

On a des résultats en tolérance et en survie. Alors les résultats en survie sont extrêmement préliminaires parce qu’on a 79 patients. On a des résultats à un an qui ne sont pas tout à fait aussi bons que ce qu’on attendait puisqu’ils représentent à peu près, quand on regarde les chiffres en détail, les résultats du bras placebo de PACIFIC. Donc à un an, c’est très préliminaire et peut se modifier sur la survie à deux ans. Mais actuellement, on a une médiane à 28 mois, donc ce n’est pas énorme — on s’attendait à plus. Et on n’est pas très loin, on n’est pas très au-dessus des meilleurs résultats de ce qu’on voit dans les oligométastases. Donc, si ces résultats se confirmaient, cela serait peut-être quelque chose d’un peu décevant pour la première étude concomitante. Mais je pense que, vraiment, il faut faire attention à la façon dont on prend les résultats et il faut attendre un peu plus. Et on comparera cela, bien sûr, aux résultats, d’ici trois ans à peu près de PACIFIC-2 qui associe de façon concomitante une radio-chimio avec du durvalumab. Voilà pour l’efficacité — des résultats à attendre, préliminaires, peut-être qu’on aurait aimé mieux.

Moi, ce qui m’a beaucoup intéressée hier et ce matin dans les posters et dans la poster discussion, ce sont les résultats en tolérance, parce qu’on a vu et revu les résultats en tolérance NICOLAS. Notamment, on met un coup de projecteur sur les pneumopathies. Il faut vraiment se rappeler qu’il y a trois types de pneumopathies : les pneumopathies radiques, les pneumopathies infectieuses et les pneumopathies qui sont dues à l’immunothérapie, et il est souvent extrêmement difficile de savoir de quelle pneumopathie on parle. Ce qu’on voit avec NICOLAS, c’est que la tolérance d’un schéma concomitant est bonne. On a eu également dans la poster discussion les résultats de l’étude PACIFIC en termes de pneumopathie avec vraiment une analyse très pointue et très poussée du type de pneumopathie et de l’impact des pneumopathies qu’on pouvait voir. Et on voit dans l’étude PACIFIC, qu’elles sont moins nombreuses — à peu près 3 % de pneumopathies graves — avec le durvalumab, alors que dans le bras placebo on a 8 % de pneumopathies graves. C’est une chose, et il y a trois messages qui sont importants : c’est que ces pneumopathies, même graves, ne modifient pas les résultats de l’étude PACIFIC, c’est-à-dire que les patients aient eu une pneumopathie ou non, les résultats au bout du compte, sont à peu près les mêmes. Donc c’est un message important. Cela veut dire qu’on peut reprendre le durvalumab après la résolution de la pneumopathie et qu’on arrive à aller au bout de la séquence thérapeutique.

L’autre chose qui est intéressante est que ces pneumopathies — alors est-ce que c’est le fait du hasard, on en saura plus dans le futur — sont moins nombreuses chez les patients qui reçoivent du durvalumab et elles semblent être mieux traitées avec les corticoïdes. Les stéroïdes sont plus efficaces chez les patients qui ont eu de l’immunothérapie. Donc on n’a pas encore toutes les explications sur ces faits, mais je pense que ce sont des choses très intéressantes et très importantes pour le futur. C’était donc le message du jour. Et cela ouvre bien sûr,sur des choses plus larges, qui sont la séquence : PACIFIC, c’est de l’immunothérapie en consolidation, aujourd’hui on a vu les résultats de NICOLAS concomitant, on a PACIFIC en concomitant qui est en route et je pense que dans le futur il va forcément également falloir inventorier l’immunothérapie en néoadjuvant, avant la chimioradiothérapie, probablement immunothérapie seule ou alors immunothérapie et chimiothérapie avant la séquence chimioradiothérapie. Donc on a énormément de choses qui s’ouvrent à nous et des résultats, aujourd’hui, qui sont applicables et qui sont intéressants.

Marie Wislez — C’est vrai que tout un groupe de patients à démanteler aussi bien sur la prise en charge carcinologique que le suivi et les complications, en effet, de ce vague sac « pneumopathie », faire des efforts, cela remet les pneumologues au cœur de la prise en charge pour cet aspect-là de ces stades 3. C’est super, il y a du progrès, enfin pour les stades localement avancés.

EVIDENS : étude en vraie vie du nivolumab dans le CPNPC avancé

Marie Wislez — Encore un point fort, finalement, avec quelques instants sur le meilleur poster de l’ESMO !

Fabrice Barlesi — Merci. C’est grâce à tous les co-investigateurs français impliqués dans l’étude EVIDENS, qui était une étude de vraie vie. Et on connaît tous l’importance que prennent les études de vraie vie dans la recherche aujourd’hui.

EVIDENS est donc une étude qui a eu lieu à peu près pendant une année chez plus de 1400 malades traités dans les conditions de l’AMM du nivolumab — deuxième ou troisième ligne — et l’objectif était de collecter des données bien sûr de tolérance, mais aussi d’efficacité, et d’être en mesure d’analyser un certain nombre de facteurs qui étaient moins bien collectés dans le cas des essais, puisqu’on avait une population qui était moins sélectionnée. Et donc les résultats principaux, pour être bref, sont des résultats en termes d’efficacité strictement identiques aux résultats de l’analyse à trois ans de la combinaison des études CHECKMATE 017, CHECKMATE 057 ; clairement, les données de vraie vie se superposent parfaitement, donc l’efficacité est exactement la même. En termes de tolérance, pas de signal particulier. Et puis peut-être un intérêt dans les différents facteurs qui ont été étudiés, autour de deux points et notamment un qui est l’impact des stéroïdes. On se souvient des données qui avaient été présentées sur cette étude de Gustave Roussy et du Sloan-Kettering, à l’ASCO. Et bien l’étude EVIDENS montre qu’effectivement, les malades qui sont sous stéroïdes — et cela ne préjuge pas de la mécanistique de l’impact des stéroïdes, c’est peut-être simplement un biais lié aux comorbidités des patients — ont une efficacité, en tout cas une survie, qui est un peu moins bonne que les malades qui n’ont pas de stéroïdes. Cela veut donc dire que là aussi il y a un champ à explorer. Autre facteur qui a été étudié, c’était le statut tabagique. Effectivement, les non-fumeurs avaient une efficacité un petit peu moins bonne. Par contre, les malades avec métastases cérébrales et toutes les autres catégories de malades, sujet âgé, etc., montraient exactement le même bénéfice. Donc des données importantes qui renforcent la place de l’immunothérapie dans la prise en charge de deuxième, troisième ligne, même si on sait que, bien sûr, on est tous en train de passer à la première ligne.

Françoise Mornex — Moi, ce qui m’a paru vraiment important dans cette étude, c’est qu’on a énormément de sous-groupes et que, quand on se retrouve en RCP, on a forcément des patients qui sont dans ces sous-groupes et on va pouvoir se référer aux résultats que tu nous as montrés pour proposer des traitements à ce type de patients. Donc cela m’a paru un élément extrêmement important et qui justifiait tout à fait la distinction.

Marie Wislez — C’est vrai que c’est toujours très satisfaisant d’avoir une étude en vraie vie qui reproduit des études de phase 3.

Françoise Mornex — Oui, très rassurant.

Marie Wislez — Cela rend le produit quand même très robuste.

Merci Françoise et Fabrice pour ces points forts et merci au studio Medscape de nous avoir accueillis.

 

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