Enregistré le 30 septembre 2019, à Barcelone, Espagne
Tour d’horizon des essais présentés à l’ESMO 2019 dans les cancers digestifs, avec notamment des avancées dans le cancer colorectal métastatique avec l’étude BEACON CRC.
TRANSCRIPTION
Julien Taieb — Bienvenue sur Medscape en direct de l’ESMO 2019, à Barcelone. Nous allons aujourd’hui parler des tumeurs digestives avec le Pr Michel Ducreux de Gustave Roussy. Je vais aborder les sujets des tumeurs colorectales et Michel les tumeurs non colorectales. Donc pour commencer, Michel, dans l’estomac, il y a-t-il eu des nouvelles cette année à l’ESMO ?
Cancer de l’estomac : chimiothérapie néoadjuvante
Michel Ducreux — Dans l’estomac, cette année, on a vu les résultats de deux essais asiatiques [1,2] [PROGIDY, RESOLVE-2] qui ont évalué l’intérêt de la chimiothérapie néoadjuvante dans les cancers gastriques localisés. C’est quelque chose d’assez intéressant parce que, classiquement, les Européens, avec d’abord David Cunningham, et puis plus récemment Al-Batran, avec le FLOT, ont beaucoup travaillé… sur les néoadjuvants, mais du côté de l’Asie, c’était plutôt du post-op avec capécitabine/oxaliplatine. Et c’est justement ce standard qu’ils ont repris et ils ont montré que de faire de la chimiothérapie néoadjuvante, c’est plutôt une bonne idée.
Julien Taieb — Donc le périopératoire standard dans le monde entier, demain.
Michel Ducreux — Oui, tout à fait. La particularité est qu’ils utilisent beaucoup le S-1 qu’on n’a pas à notre disposition en France, donc cela n’a pas de conséquences sur notre pratique et on va garder le FLOT. Mais en tout cas cela confirme cette attitude de stratégie qui nous plaît bien.
Cancer colorectal : nouveautés dans le suivi de l’ADN tumoral circulant
Julien Taieb — Dans le cancer colorectal, au niveau des marqueurs de maladie résiduelle minimale (qu’on appelle le MRD et qui est devenu un standard), il y a eu des présentations, dont une [3] qui a été faite par l’équipe de Valence, en Espagne, qui montrait qu’en suivant avec de l’ADN tumoral circulant les cancers du côlon opéré, on arrivait à bien prédire ceux qui allaient récidiver, et ceux qui n’allaient jamais récidiver. Et ces facteurs pronostics, quand ils arrivent vraiment à nous donner du 100 % de rechute ou du 100 % de guérison, sont intéressants parce qu’ils peuvent, à la fin, changer notre pratique. C’est une petite étude pilote on va dire, même s’il y avait un peu moins de 200 malades, mais il faudra confirmer ces résultats.
Et puis on a présenté avec le groupe PRODIGE les résultats d’IDEA France [4] pour l’ADN tumoral circulant, qui montrait que les patients ayant de l’ADN tumoral circulant qui n’étaient traités que trois mois, quel que soit le sous-groupe auquel ils appartenaient en termes de stade trois à haut risque ou à bas risque, avaient un très mauvais pronostic. Ce n’est pas, stricto sensu, un changement de pratique parce que la puissance statistique n’est pas toujours là, mais cela donne quand même l’indication que trois mois de traitement, ce n’est peut-être pas suffisant pour les patients qui ont de l’ADN tumoral circulant après la chirurgie de leur cancer colorectal.
Michel — au niveau du cancer du pancréas, est-ce qu’on a eu des choses, cette année, intéressantes ?
Cancer du pancréas : néoadjuvant gem/nab-paclitaxel vs folfirinox
Michel Ducreux — Pas de choses absolument extraordinaires. C reste un cancer qui est extrêmement complexe et il y avait un symposium assez intéressant avec David Tuveson [5] qui a fait beaucoup de travail en Grande-Bretagne et aux États-Unis pour essayer de trouver les anomalies biologiques qu’on pourrait, dans l’avenir, cibler. Mais c’est une maladie très complexe avec de multiples mutations.
Si on revient la pratique, il y a un essai allemand [NEOLAP] [6] qui s’est intéressé, là aussi, à du traitement néoadjuvant soit avec gem/nab-paclitaxel, soit avec du folfirinox, dans les cancers localement avancés, et cela semble avoir un certain intérêt. Donc, ce n’est pas une grosse étude, cela ne change pas, encore une fois, nos pratiques cliniques, mais tout de même, on avance petit à petit dans ce cancer qui reste redoutable.
Julien Taieb — Et un bon signal pour continuer sur l’étude française PANACHE01, par exemple ?
Michel Ducreux — Bien sûr. Toutes les études françaises sont complètement d’actualité, que ce soit l’étude PANACHE01, effectivement, où l’étude NEOPAN… Il faut vraiment qu’on termine le travail que Thierry Conroy a si magnifiquement commencé à propos de l’intérêt du folfirinox dans cette maladie.
Cancer du côlon non métastatique
Julien Taieb — Bien d’accord. Alors si on reste dans le cancer du côlon non métastatique, on a eu aussi la double communication [7] de l’étude FOxTROT. Elle avait déjà été présentée à l’ASCO, mais elle a été un peu plus complétée : les Anglais ont bien détaillé dans cette étude ; ils testaient une stratégie néoadjuvante de six semaines de chimiothérapie avant la chirurgie et le reste de la chimiothérapie après la chirurgie versus tout après la chirurgie, comme on le fait actuellement, avec en plus un petit sous-groupe de patients sur les 1000 patients — 200 patients qui avaient aussi été randomisés pour recevoir en plus du panitumumab éventuellement s’ils étaient RAS non mutés. Donc on a les résultats de cette étude : le premier résultat qui a été bien montré (ce qui n’avait pas été le cas à l’ASCO), est que 24 % des gens, qu’on évalue par scanner malheureusement, ont une maladie qui ne nécessiterait pas tellement de chimiothérapie, c’est-à-dire un stade 1 ou un stade 2 à bas risque. Donc c’est peut-être quelque chose qui gênera plus les Français que les Anglais, qui sont très pragmatiques et qui disent…
Michel Ducreux — C’est un vrai problème, moi, je trouve. Franchement.
Julien Taieb — Oui. Alors leur réponse est : « oui, mais quand tu fais de la chimiothérapie adjuvante, tu ne sers à rien à 80 % des malades et cela ne te gêne pas plus que ça, et là ce n’est que six semaines, donc ce n’est pas non plus très long, il n’y a pas de toxicité résiduelle, etc. » Donc voilà, le postopératoire a aussi été adapté en fonction…
Michel Ducreux — C’est un peu toujours le problème de ces attitudes néoadjuvantes, c’est qu’en fait, on sait moins bien ce qu’on traite, mais en même temps, souvent cela marche mieux, donc… après tout, dans l’estomac, on ne se pose pratiquement plus de questions maintenant.
Julien Taieb — Alors les Anglais disent que maintenant, clairement, à partir de cette étude, ils ont changé les pratiques, dans certains centres au moins, et que c’est une possibilité pour eux de traiter les cancers colorectaux en néoadjuvant, alors qu’ils sont opérables d’emblée et que ce n’était pas notre pratique jusque-là. Il y a des études FOxTROT 2 et 3 qui vont être lancées et qui vont poser d’autres questions d’intensification des escalades. Donc c’est un sujet intéressant et ce qu’on peut dire, c’est qu’en tout cas il n’y a pas de danger pour le patient à commencer par une stratégie néoadjuvante.
Michel Ducreux — Mais toi, tu vas faire ça ?
Julien Taieb — Disons qu’en tout cas je serai très tranquille pour des malades un peu borderline où le chirurgien, sur le scanner, se dit « elle est quand même grosse » et de lui dire « écoute, on a le temps, on va commencer par une chimio, prépare les trucs tranquillement… »
Michel Ducreux — Oui, tout à fait. Moi je suis assez d’accord avec ça.
Julien Taieb — Voilà. Je pense que pour ces malades où on ne sait pas trop ce qu’il faut faire – les inextirpables – on est obligé de faire la chimio, les super-facilement opérables, on va continuer à les opérer, et puis les entre-deux, cela sera « peut-être’, on pourra y aller sans angoisse. D’autres choses au niveau du CHC ?
Carcinome hépatocellulaire
Michel Ducreux — Cela bouge dans le carcinome hépatocellulaire. Alors pas forcément dans le bon sens, parce qu’on a vu — et on attendait cela depuis longtemps — des résultats de phase 2 qui avaient montré que les anti immune check-points, que ce soit le nivolumab ou le pembrolizumab, permettaient d’obtenir des réponses assez intéressantes chez des patients réfractaires. Et d’ailleurs cela avait même donné un approval aux États-Unis — la FDA avait dit « OK », vous pouvez donner de l’immunothérapie — donc nos collègues américains le font. En France, en Europe, on est toujours un peu plus en faveur d’études randomisées, donc on a vu les résultats de l’étude randomisée [8] concernant le nivolumab versus le sorafénib, et malheureusement l’étude est négative sur son critère de jugement principal. Donc c’est un peu ennuyeux parce que je suis vraiment persuadé qu’il y a des patients qui bénéficient de l’immunothérapie. La courbe avec le niveau, elle est toujours un tout petit peu au-dessus, que ce soit en survie sans progression ou en survie globale, un tout petit peu au-dessus de la courbe du sorafénib. Il y a peut-être un tout petit plateau, donc il y a sûrement une sous-population qu’il faudrait qu’on arrive à identifier sur un plan biologique. Et il y a, quand même, plutôt moins d’effets secondaires. Cela ne va pas devenir le nouveau standard, c’est clair. En tout cas, pas en Europe et pas en France. Mais il faut continuer à travailler pour essayer vraiment de définir le sous-groupe…
Julien Taieb — De sélectionner les répondeurs.
Michel Ducreux — … vraiment sélectionner les patients qui vont pouvoir en bénéficier. Et on a eu la confirmation des bons résultats, aussi, de la combinaison qui va peut-être sortir à l’ESMO Asia en novembre, qui est bévacizumab/atézolizumab. L’atézolizumab est un anti-PD-L1, donc de l’immunothérapie et le bévacizumab, l’anti-angiogénique — on sait qu’il y a quand même des éléments assez forts pour parler de synergie entre ces deux types de médicaments et il y a d’autres résultats dans la littérature qui le montrent. L’étude présentée à ESMO [9] … je ne veux pas rentrer dans le détail, mais elle confirme des résultats qu’on avait vus précédemment sur un autre groupe de patients. Donc cette association reste très intéressante et on attend les résultats de l’étude de phase 3 qui va être présentée en novembre.
Cancer colorectal métastatique : BEACON CRC
Julien Taieb — Pour finir sur le cancer colorectal, au niveau métastatique, je crois que la grande nouvelle, c’est très clairement l’étude BEACON CRC[10] qui a permis d’utiliser une triple thérapie ciblée avec le cétuximab, l’encorafénib et le binimétinib, c’est-à-dire un anti-EGFR, un anti-MEK est un anti-BRAF. Avec cette triple thérapie ciblée, on arrive à doubler la survie globale en deuxième-troisième ligne, de patients BRAF mutés, connus pour avoir un très mauvais pronostic. Et on passe environ de 5 à 9 mois de survie chez ces patients. Donc l’étude est positive pour le triplet versus contrôle. Elle l’est aussi pour le doublet versus contrôle. Les deux bras triplet/doublet n’étaient pas censés être comparés, donc on a maintenant pour le futur, de nouvelles opportunités pour cette très mauvaise population. C’est quand même une super bonne nouvelle pour nos patients.
Michel Ducreux — Ce que l’auteur, Josep Tabernero a montré, ce sont quand même des petits éléments de comparaison entre le doublet, le triplet évidemment, puisqu’il y a quand même la question de savoir : est-ce qu’on va rajouter le binimétinib ou pas ?
Julien Taieb — Je suis d’accord.
Michel Ducreux — Il y a des petits arguments qui sont plutôt un peu en faveur de la triple thérapie, indépendamment des arguments de rationnel, qui sont quand même relativement forts. C’est aussi un peu plus toxique, donc on va avoir beaucoup de discussions, à mon avis, sur ce sujet.
Julien Taieb — C’est clair. Merci beaucoup de votre attention et à bientôt sur Medscape.
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Citer cet article: Cancer digestifs : tour d’horizon des essais de l’ESMO 2019 - Medscape - 18 oct 2019.
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