Le développement durable s'invite à l'hôpital

Marine Cygler, avec Stéphanie Lavaud

19 septembre 2019

France – En mai dernier, la Société Française d'Ophtalmologie (SFO) avait fait la part belle au développement durable lors de son 125ème Congrès. Au milieu de chaque session, 5 minutes étaient dédiées à cette thématique. Inédit. Cet exemple n'est pas unique : des initiatives se multiplient dans tout le territoire à l'échelle de service hospitalier ou au sein d'une société savante, comme la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR), précurseur dans le domaine. Le chantier est vaste : réduction des DASRI (déchet d'activité de soin à risque infectieux), tris des déchets, recyclages, achats responsables, écoconception des bâtiments... Aujourd'hui, les médecins militants arrivent à faire bouger les lignes au prix d'un investissement personnel énorme. Lire aussi Comment mener une opération « green bloc » : l’exemple du CHU de Strasbourg

Rencontre avec deux « green doctors », la Pr Isabelle Cochereau, ophtalmologiste à la Fondation Rothschild (Paris) et le Dr Jane Muret, anesthésiste-réanimateur à l'Institut Curie (Paris) et Présidente du Groupe développement durable de la SFAR.

C'est sous l'impulsion d'Isabelle Cochereau, Secrétaire générale de la SFO, que le congrès annuel s'est verdi cette année. « Les retours sont positifs, des participants sont venus me voir pour me proposer de participer. C'était une première sensibilisation, maintenant il faudrait construire un réseau » explique celle qui se qualifiant « de nature économe » ne peut plus fermer les yeux sur le gaspillage des blocs opératoires. Elle rappelle que « 50% des déchets du bloc opératoire sont recyclables. Mais que le plus souvent, par manque de motivation et de formation et par souci d'efficacité, tout est jeté en vrac à la poubelle ».

De la prise de conscience en ophtalmologie...

Le Pr Isabelle Cochereau a peaufiné son argumentaire et elle donne volontiers l'exemple de la pince monofil pour étayer son propos. Quel est le parcours de cet instrument ? « Extraction du minerai, purification, fonte, alliage, façonnage précis et minutieux, vérification, emballage, stérilisation, mise en cartons, puis en containers, transports entre toutes les étapes réalisées dans des structures industrielles différentes hyperspécialisées éparpillées sur toute la planète, puis dans un centre de logistique, livraison à l’établissement hospitalier, stockage à la pharmacie, rangement dans les rayons. » Et l'utilisation ? « 10 secondes en consultation ou 15 minutes au bloc » explique-t-elle. Et ce n'est pas fini : une fois le geste effectué, la pince est déposée dans une boîte à aiguilles, elle-même transportée vers une structure spécialisée et détruite selon la procédure DASRI au lieu d’être stérilisée. 

La SFO, via sa secrétaire générale, est en pleine prise de conscience du coût environnemental des pratiques professionnelles, notamment de la chirurgie de la cataracte, chirurgie la plus fréquente en France avec 700 000 interventions chaque année. « La question de pratiques plus durables a été posée en particulier par le Dr Serge Zaluski (Polyclinique Saint-Roch, Cabestany) qui a mesuré l’empreinte carbone d’une cataracte » indique le Dr Jane Muret. Avant de poursuivre « il a ainsi démontré que cette chirurgie de par sa fréquence est celle qui coûte le plus cher en carbone, c'est environ 170 kg équivalent carbone, soit un trajet Paris-Lyon en voiture ». Une seule opération de la cataracte génèrerait 1,5 kg de DASRI, 830 grammes d'ordures ménagères et 340 grammes de cartons et consommerait 63 kWh d'électricité et 124 litres d'eau.

Deux axes principaux de réflexion sont d'ores et déjà identifiés par Isabelle Cochereau :

  • travailler sur un pack minimal de la chirurgie de la cataracte. « On n'a clairement pas besoin de tout ce qui est aujourd'hui dans le pack. Et ce qui n'est pas utilisé va directement à la poubelle » ; 

  • se questionner sur l'usage unique. « J'ai l'impression qu'on va connaître un tournant à 180°C. On va jusqu'à se poser la question de remettre au goût du jour la stérilisation alors qu'il y a 20 ou 30 ans on s'est réjoui de l'arrivée de l'usage unique » estime l'ophtalmologiste.

…. à l'action dans les blocs opératoires

Côté action, le Dr Jane Muret fait figure de pionnière dans le monde médical. D'ailleurs, la SFAR a créé le groupe dédié Développement Durable dès 2016. Peu de temps après son arrivée à l'Institut Curie, Jane Muret a contribué à la réflexion sur l'écoconception d'un nouveau bloc opératoire qui a été inauguré en septembre 2018. En quoi se distingue-t-il des blocs habituels ? « Il n'y a plus de canalisation avec du protoxyde d’azote, une politique du tri, de valorisation des déchets et de recyclage des métaux a été mise en place et l'achat du matériel est réfléchi pour tenir compte de l'impact écologique » explique-t-elle.

Selon elle, un projet de développement durable au bloc opératoire doit d’abord permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre, puis réduire les coûts et d'engendrer des bénéfices et enfin d’améliorer la qualité de vie au travail ainsi que celle des patients. Elle est l'une des auteurs d'un guide en accès libre, coédité par le Groupe développement durable de la SFAR et le C2DS (Comité développement durable en santé).

Comment s'y mettre ? Jane Muret considère que le mouvement doit venir de la base, c'est-à-dire que les décisions de changer ses habitudes pour des pratiques durables doivent venir d'une équipe. « Les projets de développement durable améliorent la cohésion et la motivation des équipes et on voit de très beaux exemples de cercles vertueux » indique-t-elle en citant « les P’tits Doudous » (voir encadré). A l'initiative d'infirmières du CHU de Rennes dès 2012, le concept s'est largement répandu sur le territoire. Il s'agit de récupérer les métaux au bloc opératoire, diminuant ainsi les déchets, et de les revendre à des entreprises qui les valoriseront. Les revenus générés par la vente des métaux financent des projets d'amélioration de la prise en charge des enfants opérés.

Des initiatives prises à l'échelle d'un service qui peuvent devenir le marche-pied vers une politique de l'hôpital. « Les directions se rendent compte que réduire les déchets et/ou les valoriser permet une économie d'argent conséquente » constate-t-elle. « On voit bien dans les projets qui se mettent en place les trois dimensions du développement durable : le versant écolo, le versant économique et le versant sociétal avec la qualité de vie et le bien-être au travail ». Lire aussi Comment mener une opération « green bloc » : l’exemple du CHU de Strasbourg

Encourager la recherche

La recherche dans le domaine du développement durable, notamment concernant la gestion des déchets, est relativement récente et se caractérise par des travaux réalisés en grande partie outre-Atlantique. « Cependant, face aux enjeux que représente la prise en compte du développement durable dans l’activité de soins, la réalisation de travaux de recherche est indispensable pour déterminer l’impact écologique et financier des pratiques professionnelles au sein du bloc opératoire. En effet, l’obtention et la publication de données probantes sont essentielles pour que les comportements des professionnels de santé évoluent et que le management des établissements de santé intègre pleinement le développement durable au cœur de leur stratégie » peut-on lire dans le « Guide pratique du développement durable au bloc opératoire » (voir encadré ci-dessous). Néanmoins, une prise de conscience des différents acteurs des blocs opératoires permet depuis quelques années l’essor de la recherche en France et des publications françaises sont disponibles sur la page du groupe développement durable sur le site de la SFAR.

Il est aujourd’hui clair que, dans un contexte difficile au niveau environnemental et économique, les hôpitaux publics et privés français ont tout à gagner en adoptant une attitude éco-responsable.

 

Les p’tits doudous : améliorer le vécu des enfants grâce au recyclage des métaux

Les P’tits Doudous sont un réseau d’associations de professionnels de santé aux blocs opératoires qui améliorent le vécu des enfants opérés, des parents et des soignants à l’hôpital. Objectif : améliorer l’accueil et le bien-être des enfants opérés, de réduire leur anxiété par le jeu avant l’opération chirurgicale. « Nous créons des actions innovantes dédramatisant le passage au bloc opératoire et offrons des cadeaux aux enfants opérés. Cela permet de diminuer la prémédication, les traumatismes post-opératoires et de faciliter notre travail de soignants » expliquent-ils.

A l’origine du projet, en 2011, une infirmière anesthésiste du CHU de Rennes, Nolwenn Febvre et deux autres soignants. L’idée de génie : financer leurs actions en recyclant le cuivre l’inox et l’aluminium présents dans les fils de bistouri et des lames d’intubation à usage unique dans les blocs opératoires, qui jusqu’alors suivaient la filière classique des déchets hospitaliers. Cette démarche écoresponsable permet l’achat des doudous et autres cadeaux offerts aux enfants. « Le message est passé dans tous les blocs opératoires et tout le monde s’y est mis » déclare Nolwenn Febvre dans le Guide pratique du développement durable. Décidemment très inspirée, l’équipe du CHU de Rennes décide alors de financer la création d’un jeu interactif sur tablettes – achetées avec l’argent du recyclage – pour occuper les enfants avant l’opération. Intitulée, « le héros c’est toi », ce jeu très ludique participe au soin et aide les soignants – par exemple, on y code son anxiété avec des smileys, ce qui est moins académique mais nettement plus cool qu’une échelle de 26 items. Résultat : après 1 an d’utilisation, les prémédications ont baissé de 80%. Suite à la présentation des premières études lors de congrès scientifiques, d’autres soignants souhaitent dupliquer ce modèle dans leur établissement. Et c’est possible. Depuis 2017, “Les p’tits doudous” étant devenus une association nationale d’intérêt général, sous réserve de créer une association locale « Les P’tits Doudous » à but non lucratif, et de mettre en place le recyclage des métaux au bloc opératoire, les équipes des hôpitaux et cliniques bénéficient en échange des outils développés par le CHU de Rennes et ses partenaires. Tout cela grâce en grande partie au recyclage. Pour Nolwenn Febvre : « cette démarche éco-responsable a créé une dynamique dans le CHU et prouve qu’il est possible de changer les pratiques à l’hôpital ».

 

Pour la seule année 2019, les équipes hospitalières en sont à déjà plus de 25 800 kg de métaux recyclés. Une belle initiative citoyenne et solidaire. SL

Pour savoir où l’association est implantée.

 

A lire pour en savoir plus :

 

Guide pratique du développement durable au bloc opératoire, édition 2017
Hors série, 84 pages 

Téléchargez la version numérisée le guide pratique du développement durable au bloc opératoire, édition 2017

Guide des pratiques vertueuses, édition 2015
Focus France, 98 pages (spécial lutte contre le changement climatique)

Téléchargez le guide des pratiques vertueuses, édition 2015

 

Crédit photo : capture écran reportage France 3

 

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