San Francisco, Etats-Unis/Genève, Suisse — Dans un éditorial publié dans le NEJM parallèlement au congrès de l’IAS2019 à Mexico en juillet, deux médecins, Diane V. Havlir, à San Francisco et Meg C. Doherty à Genève ont tenu à rappeler qu’à l’heure d’une forte, voire d’une inhibition totale de la transmission du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), de l’allègement des traitements, et d’un passage à la maladie chronique, tout ne va pas si bien sous le soleil des thérapies du VIH [1]. Malgré leurs indéniables bénéfices, certains nouveaux traitements, comme les inhibiteurs d’intégrase, peuvent être responsables d’effets secondaires non négligeables, qui obligent à rester prudents, rappellent les éditorialistes. Mais, pas de panique, de nouvelles stratégies sont attendues.

Dessin Héloïse Chochois. Allègement des traitements
Les inhibiteurs d’intégrase comme réponse aux résistances
« Nous avons pensé, peut-être naïvement, qu’en offrant des thérapies antirétrovirales (ART) à 38 millions de personnes vivant avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), le problème était désormais réglé » démarrent les deux expertes. Et, en effet, les inhibiteurs d’intégrase sont mieux tolérés et plus efficaces que d’autres antiviraux chez ceux qui démarrent un traitement, sont en échec de traitement. Certains y ont vus – assez logiquement – la réponse à la prévalence croissante des résistances à l’éfavirenz. Le dolutégravir (DTG), en particulier, est un inhibiteur d'intégrase, devenu aujourd'hui essentiel parmi les antirétroviraux (ART), validé notamment en bithérapie par les études GEMINI I&II chez le patient naïf [2] et dans TANGO chez le patient en succès virologique sous tri- ou quadrithérapie [3]. Les recommandations internationales ont donc été adaptées en conséquence plaçant le DTG en première ligne car plus avantageux que l'éfavirenz en termes de tolérance, de profil de résistance et d'impact sur la morbi-mortalité. Une formulation à base de dolutégravir, associé à deux agents thérapeutiques ayant fait leurs preuves, le tout dans un comprimé en une prise par jour, et le tour était joué, croyait-on.
Anomalie du tube neural : prudence
Pas si simple, nous rappellent Diane V. Havlir, et Meg C. Doherty. Deux signaux sont venus récemment contrecarrer ce plan. L’un a pris la forme d’une anomalie inattendue au niveau du tube neural à la suite de la prise de dolutégravir au moment de la conception dans l’étude Tspamo, l’autre concerne une prise de poids excessive avec les inhibiteurs d’intégrase. Deux sujets qui ont d’ailleurs été abordés lors du congrès de l’IAS.
En 2017, l’étude Tspamo réalisée au Botswana a montré un risque potentiel accru de malformations fœtales chez les femmes qui ont pris du dolutégravir au tout début de leur grossesse. Cette étude d’observation indépendante menée par la Dr Rebecca Zash, avait relevé 4 cas d’anomalies du tube neural (ATN) sur 426 femmes qui sont tombées enceintes alors qu’elles prenaient du dolutégravir, soit un taux de 0,9 % (4 sur 426), comparé à 0,05 % chez les femmes traitées avec de l’efavirenz et de 0,09 % chez les femmes séronégatives [4]. Une différence statistiquement significative et un risque pris très au sérieux, alors que l’Organisation mondiale de la santé recommandait désormais le dolutégravir comme antirétroviral de première ligne, et qui avait conduit à des mises en garde [5].
Données rassurantes mais risque réel
A l’IAS2019, le Dr Zash a rapporté les résultats de l’étude d’extension de Tsepamo [6], lesquels sont rassurants avec un taux d’anomalies associées au dolutégravir pris au moment de la conception moindre que dans l’étude préliminaire, passant de 0,94% à 0,30% « mais toujours significativement plus élevé que les 0,1 % observé quand les femmes sont exposées à un ART autre que le dolutégravir » font remarquer les éditorialistes. Par ailleurs, une étude de surveillance menée, elle aussi au Boswana, fait état d’une anomalie du tube neural parmi 152 naissances chez qui la mère avait pris du dolutégravir au moment de la conception, soit une prévalence de 0,66% et aucune au sein des 381 naissances avec un ART autre [7].
Un problème de poids
Autre point litigieux pour le dolutégravir, la prise de poids. Si l’essai ADVANCE a montré un meilleur profil d’effets secondaires avec le dolutégravir qu’avec l’efavirenz; l’inhibiteur d’intégrase a toujours été associé à une prise de poids excessive, en particulier dans l’ART ténofovir alafénamide fumarate (TAF)–emtricitabine [8]. Les patients traités avec ce régime ont pris 6 kg en moyenne, sans signe de stabilisation à 48 semaines ; et 14% sont devenus obèses. De la même façon, dans l’essai NAMSAL ANRS 12313, l’incidence de l’obésité à 48 semaines était de 12,3% dans le groupe dolutégravir, comparé au 5,4% dans le groupe efavirenz, indiquent les auteurs tout en précisant que l’efficacité virologique des traitements penchait en faveur du dolutégravir [9].
Pas de panique
En dépit de ces effets indésirables notables, les éditorialistes tiennent, malgré tout, à rester optimistes, précisant qu’il n’est « pas question de paniquer et de retirer au dolutégravir sa place privilégiée au profit d’un autre régime ou de suspendre son utilisation chez les femmes en âge de procréer ». Une place privilégiée qui a d’ailleurs été confirmée en juillet dernier, suite à la présentation des résultats à l’IAS, par l’Organisation mondiale de la Santé (voir encadré Recommandations) « Le dolutégravir et les autres inhibiteurs d’intégrase représentent une avancée substantielle dans notre arsenal thérapeutique, disent les deux expertes, faisant mieux que d’autres agents dans presque toutes les études en termes de rapidité de la suppression virale, de profils d’effets secondaires, et de résilience vis-à-vis des résistances au VIH ». Elles ajoutent : « d’ailleurs quand la question du dolutégravir a été discutée avec les femmes à qui l’on donnait le choix de le prendre ou pas, la majorité a considéré que le risque était acceptable du fait que les bénéfices surpassaient largement les risques ».
Cela étant posé, il est nécessaire de continuer à acquérir et à accumuler des données sur les nouveaux traitements. Concernant les complications métaboliques avec le dolutégravir, dont le nombre et la portée sont bien plus étendus que les anomalies du tube neural, « il va falloir s’interroger sur les mécanismes, et les effets à long terme (diabète, hypertension, mort prématurée) de cette prise de poids excessive ».
Trouver un plan B
Enfin, considèrent-les éditorialistes, « il nous faut un plan B ». « Nous avons besoin de traitements pour les adultes et les enfants qu’ils vont supporter pendant des décennies ». La solution viendra des traitements à venir. Les premières générations de traitements injectables sont pour très bientôt. Sur notre site, l’infectiologue Pierre de Truchis, envisage leur commercialisation d’ici 1 an. D’autres molécules et anticorps avec de nouveaux mécanismes d’action sont dans le pipeline, et la recherche se tourne désormais vers des thérapies autres que médicamenteuses qui contrôleraient la réplication virale. Sans être parfaite, la prise en charge du VIH/Sida a indéniablement progressé, et va encore évoluer.
L’OMS change ses recommandations en faveur du dolutégravir
Les tous derniers résultats présentés par le Dr Zach [6] ont levé toutes les suspicions et l'OMS a modifié ses recommandations en juillet dernier, choisissant de privilégier l'usage du dolutégravir (DTG) comme traitement préféré en première ligne et en seconde ligne pour toutes les populations, y compris les femmes enceintes et celles qui pourraient l’être [10]. A la suite des résultats préoccupants rapportés en mai 2018 sur l’étude de Botswana [4], de nombreux pays avaient en effet conseillé aux femmes enceintes et à celles pouvant l’être de préférer l’éfavirenz à la place du dolutégravir. Mais pour l’OMS, le DTG est un médicament plus efficace, plus facile à prendre et avec moins d’effets secondaires que les alternatives utilisées actuellement. Le dolutégravir a aussi une barrière génétique plus forte contre le développement de résistances, qui ont déjà dépassé les 10% pour l’efavirenz dans 12 dans 18 pays sous surveillance de l’OMS. L’ONG rapporte d’ailleurs, qu’en 2019, 82 pays à bas et moyens revenus ont dit être en transition vers des régime de traitements du VIH basés sur le DTG [10].
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Citer cet article: Traitements du VIH : tout n’est pas rose - Medscape - 12 sept 2019.
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