En dépit des 12 nouvelles mesures pour les urgences, la grève continue

Philippe Anaton

11 septembre 2019

France --Trois tentatives et trois échecs : décidément, Agnès Buzyn n'arrive pas à éteindre la colère des urgentistes en grève.

En dépit des 12 mesures pour les Urgences annoncées par la ministre de la santé lundi 9 septembre ; un « pacte de refondation » avec plus de 750 millions d’euros à la clé, le Collectif Inter-urgences a décidé de poursuivre la grève.

Pour rappel, mi-juin dernier, la ministre avait une première fois mis sur la table 70 millions d'euros, et créé des primes (de l'ordre de 200 euros mensuels) pour venir à bout de la grève des urgentistes qui avait débuté en mars. Premier échec.

Deuxième tentative la semaine dernière, le 4 septembre. Agnès Buzyn avait, en compagnie de Thomas Mesnier, député et le professeur Pierre Carli, président du conseil national de l'urgence hospitalière (CNUH), avancé de nouvelles propositions : développement de l'offre de soins en ville, transfert de tâches et de compétence vers les infirmières, admission directe des personnes âgées dans les services de médecine. Ces annonces n'ont pas eu pour conséquence une levée du préavis de grève.

A trois jours des dernières annonces de la ministre, plus de 240 services d’Urgences restent en grève totale ou partielle, la manifestation de la CGT prévue le mercredi 11 septembre est maintenue et l’assemblée générale des grévistes a prévu une série d’actions locales le 26 septembre.

Un pacte de refondation

Le 9 septembre dernier, à l'issue d'une rencontre avec le Collectif Inter-urgence et les syndicats de médecins libéraux, la ministre de la Santé annonçait un pacte de refondation des urgences. Alors même que le rapport sur la question, confiée à Thomas Mesnier et Pierre Carli, n'a pas encore été remis : il ne le sera qu'en novembre prochain. Ce qui semble dénoter une certaine précipitation au ministère, tant la situation est explosive. Ce Pacte pour les Urgences est assorti d'une enveloppe de 750 millions d'euros : entre juin et septembre, les moyens consacrés à la crise des urgences ont donc été multipliées par 10. Ce nouveau plan pour les urgences est structuré en 12 mesures clés qui s’étaleront entre 2019 et 2022.

Un service d'accès aux soins pour une meilleure orientation des patients

Alors que « 43 % des patients accueillis aux urgences pourraient être pris en charge dans un cabinet, une maison ou un centre de santé, sous réserve d’avoir pu trouver un rendez-vous le jour même ou le lendemain », indique le ministère, la première des mesures est une réforme structurelle, assortie de la moitié de l'enveloppe, soit 340 millions d'euros. Il s'agit de la mise en place d'un service d'accès aux soins (SAS) visant à désengorger les Urgences.

Le service d’accès aux soins (SAS) permettra, en fonction des besoins de chaque patient et de l’urgence de chaque situation, d’obtenir un conseil médical et paramédical, de prendre rendez-vous pour une consultation avec un médecin généraliste dans les 24 heures, de procéder à une téléconsultation, d’être orienté vers un service d’urgence ou de recevoir une ambulance.

Le SAS intègrera également un outil en ligne cartographiant les structures disponibles à proximité de chez soi pour répondre à la demande de soins : cabinet médical ou paramédical, pharmacie de garde, service d’urgence avec estimation du temps d’attente pour les soins courants etc.

Ce nouveau service 24h/24 en ligne ou par téléphone devrait être opérationnel en 2020.

Plus de rendez-vous en cabinet, maison et centre de santé

Les mesures 2 à 6 concernent avant tout le développement de l'offre de soins en ville.

Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) devront mettre en place un système de soins sans prise de rendez-vous en ville (mesure 2). Le déploiement progressif de plusieurs milliers de postes d’assistants médicaux devrait appuyer cette mesure.

En parallèle, des maisons médicales de garde seront créées à proximité des urgences (10 millions d'euros).

Pour permettre le transfert de certains soins des Urgences vers la ville, plusieurs mesures seront mises en place : le Samu devrait bientôt, en fonction de la situation, pouvoir bénéficier « d’appels vidéo », il pourra également conduire un patient jusqu'à un rendez-vous dans le libéral (15 millions d'euros), le tiers-payant sera systématisé dans le cadre de la garde des médecins libéraux et la pratique d’examens de biologie médicale simples et automatisés (glycémie, gaz du sang, hématologie, marqueurs cardiaques, ionogrammes...) sera rendue possible dans les cabinets libéraux, les maisons et les centres de santé.

Compétences élargies pour les non-médecins

La mesure 4 vise à élargir les compétences des non-médecins, en généralisant les pharmaciens correspondants, en déployant des infirmiers en pratique avancée sur le suivi des maladies chroniques ou encore en donnant un accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes pour la traumatologie bénigne (lombalgie aiguë et entorse de cheville).

Un parcours dédié pour les personnes âgées

La mesure 5, comme ce qui avait été déjà été annoncé dès le 4 septembre, vise le « zéro passage aux urgences des personnes âgées » d'ici cinq ans.

« 45% des passages aux urgences suivis d’une hospitalisation complète concernent des patients âgés de 65 ans et 36% des hospitalisations de personnes de 75 ans et plus débutent par un passage aux urgences. Pourtant, l’admission par les urgences est un facteur de risque important pour les personnes âgées, beaucoup plus sujettes à la survenue d’événements indésirables lors de leur passage », souligne le ministère.

Des moyens nouveaux seront donc versés aux hôpitaux qui organiseront un parcours structuré de qualité, avec une équipe hospitalière en charge d’assurer l’accueil direct dans le service adéquat ou en EHPAD.

Aussi, des équipes mobiles de gériatrie seront créées ou renforcées pour appuyer à la fois les équipes des EHPAD et les professionnels libéraux. En outre, le dispositif d’astreinte d'infirmières de nuit mutualisées en EHPAD sera généralisé.

Graduer

La mesure 7 vise à graduer les urgences en s’adaptant aux fluctuations d’activité avec possibilité d’antennes d’urgences ouvertes sur une partie des 24 heures ou en différenciant par exemple les transports d'urgence, des transports non urgents, paramédicalisés.

Faire évoluer la fonction d’infirmier aux Urgences, augmenter les ARM

La mesure 8 permettra aux infirmiers de demander eux-mêmes des examens d'imagerie pour la traumatologie des membres, et, dans un avenir proche d'orienter les patients vers la ville, de demander des bilans biologiques, de faire des sutures de plaies simples.

Toujours en direction des paramédicaux, il est aussi question de créer une nouvelle fonction, celle d'infirmier en pratique avancée (IPA) aux urgences dès 2020.

Chaque professionnel exerçant dans le cadre d’un protocole de coopération percevra une nouvelle prime spécifique de 80€ nets mensuels, selon les textes publiés le 8 septembre 2019.

Concernant les assistants de régulation médicale (ARM), une prime d’assistance à la régulation médicale de 100€ nets mensuels sera créée et versée à chaque professionnel à compter de novembre 2019.

Mesures punitives pour les médecins intérimaires

Pour les médecins intérimaires, le cumul d'emplois sera interdit dans le secteur public au 1er semestre 2020. « Les médecins recrutés par une société de travail temporaire doivent fournir à l’entreprise qui les emploie et à l’hôpital recruteur une attestation sur l’honneur certifiant qu’ils ne contreviennent pas aux règles sur le cumul d’emploi public. Cette obligation sera étendue au recrutement direct d’un médecin par un hôpital en tant que contractuel », indique le ministère.

On encouragera plutôt la mutualisation inter-hospitalière. « La mutualisation permettra d’organiser l’entraide entre les établissements de manière attractive pour les praticiens, puisque les praticiens volontaires percevront, outre l’indemnité de sujétion de garde et la rémunération des plages de temps de travail additionnel, la prime d’exercice territorial qui s’élève jusqu’à 1000€ par mois, soit une rémunération totale supérieure au plafond légal de l’intérim médical. Des conditions de rémunération complémentaire pour les professionnels qui accepteront de s’engager dans un tel cadre seront expertisées », précise le plan.

Réformer le financement des Urgences

Il est aussi question de réformer le financement des urgences.

Parce qu’il est directement lié au nombre de passages enregistré, à modèle de financement inchangé, le fait d’accueillir moins de cas légers – ceux-ci pouvant être pris en charge en ville – entraînerait une baisse du financement de ces structures.

En remplacement des enveloppes actuelles alignées sur l’activité, les services d’urgence se verront donc financés majoritairement par une enveloppe forfaitaire dépendant d’une part, de l’importance de la population qu’ils couvrent et de ses caractéristiques socio-économiques et d’autre part, de la densité médicale libérale dans leur territoire.

A titre minoritaire, une part de financement continuera de dépendre de l’activité effective, en tenant mieux compte qu’aujourd’hui de la lourdeur des prises en charge et du volume d’activité des services. En parallèle, des indicateurs seront intégrés pour attribuer des financements complémentaires aux hôpitaux dont les services d’urgence se seront montrés les plus vertueux.

Les hôpitaux qui offriront des parcours alternatifs aux patients qui se présenteront aux urgences se verront offrir un forfait. Ce système de dédommagement sera expérimenté dans une vingtaine d’établissements pendant un an. Les enseignements de cette expérimentation alimenteront la préparation de la réforme du financement des services d’urgence, qui entrera en vigueur en 2021.

Renforcer la sécurité des soignants

La sécurité des professionnels sera mieux assurée grâce à la possibilité pour le chef d'établissement de déposer plainte et de se constituer partie civile.

Aussi, toute rénovation ou réorganisation d’un service d’urgence devra désormais prendre en compte, dans le cahier des charges des travaux, les questions de sécurité des professionnels.

Faciliter la sortie des patients

La mesure 12 comporte toute une série de propositions visant à fluidifier l'aval de l'urgence, notamment dans les services hospitaliers. L’une d’elle consistera à inciter à l’hébergement temporaire en EHPAD post-urgences par une baisse du reste à charge.

Aussi, « il sera demandé à chaque groupement hospitalier territorial (GHT) de mettre en place un dispositif de gestion des lits dès 2020. Au cas par cas, si la mobilisation de tous les leviers organisationnels ne se révélait pas suffisante pour atteindre le nombre de lits disponibles nécessaires sur un territoire donné, la question des capacités en lits d’aval pourra être mise sur la table », indique le ministère.

    Mobilisation le 26 septembre

    L’ensemble de ses mesures ne semble toutefois pas avoir levé la colère des urgentistes. Réunis en assemblée générale ce 10 septembre, le Collectif inter-urgence, qui s'est adjoint les médecins du SNPHARE, du syndicat Jeunes médecins, d'Action praticien hôpital, de l'Amuf, a voté la poursuite du mouvement, le vote d'une plateforme de revendications communes pour tous les hospitaliers des différents secteurs, et de nouvelles actions locales dès le 26 septembre.

    La CSMF, dans un communiqué, estime que « solliciter les médecins de ville déjà surchargés passera immanquablement par la mise en place de mesures d’incitation fortes et de réorganisation ». Le syndicat des médecins libéraux (SML) « reste très opposé au démantèlement des compétences médicales « en autonomie » et notamment du diagnostic ou de la prescription au profit d’autres professions de santé. Le SML prône la coopération et la coordination de proximité entre professionnels autour du médecin traitant à l’aide des outils numériques dont la téléconsultation qu’il faut déverrouiller et encore faciliter ». Et d'ajouter : « le « plan urgences » passe à côté des solutions de bon sens à effet immédiat et n’apportera pas l’effet escompté dans le délai annoncé. »

     

     

     

     

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