Téhéran, Iran - Avec une prise quotidienne d’un seul comprimé contenant deux antihypertenseurs, de l’aspirine et une statine, le risque d’événements cardiovasculaires (CV) majeurs peut être réduit de moitié en cinq ans. C’est ce révèle une étude randomisée qui a inclus près de 7 000 individus, en majorité sans antécédents cardiovasculaires. Les résultats ont été publiés dans le Lancet [1.]
« Nous savons désormais que la prescription d’une polypill à doses fixes peut avoir des avantages cliniques. Il ne s’agit pas pour autant d’une alternative à une bonne hygiène de vie. La polypill doit être associée à une activité physique, à une alimentation saine et à un sevrage tabagique », a commenté le Pr Reza Malekzadeh (Université des sciences médicales, Téhéran, Iran), principal auteur de l’étude.
Meilleure adhérence
L’idée de combiner en une seule pilule plusieurs molécules utilisées en prévention des accidents cardiovasculaires n’est pas nouvelle. Depuis une vingtaine d’années, ces pilules baptisées polypill, au contenu variable, sont envisagées en particulier en prévention secondaire pour simplifier la posologie et, par conséquent, améliorer l’observance et l’efficacité des traitements.
L’essai EMPIRE a ainsi rapporté une adhérence aux traitements supérieure de 32% en prévention secondaire chez les patients prenant une unique pilule comprenant deux antihypertenseurs, de l’aspirine et un hypolipémiant (simvalstatine), comparativement aux patients prenant ces traitements séparément. Ce qui s’est traduit par une amélioration des chiffres tensionnels et des niveaux de cholestérol.
Les données concernant l’intérêt à long terme de cette approche sont toutefois manquantes, en particulier en prévention primaire. Conduite sur une population d’une région rurale de l’Iran, l’étude du Pr Malekzadeh et de ses collègues est la première à évaluer la polypill à long terme sur une cohorte de large envergure.
Les chercheurs ont inclus un total de près de 7 000 individus âgés de 50 à 75 ans, avec quasiment autant d’hommes que de femmes, répartis entre 236 villages de la province du Golestan, dans le nord de l’Iran. Environ 90% d’entre eux n’avaient pas d’antécédents cardiovasculaires.
Deux pilules distinctes
Les villages ont été randomisés pour que les habitants inclus dans la cohorte aient, soit un accompagnement pour adopter des mesures hygiéno-diététiques (arrêt du tabac, exercice physique, alimentation plus saine…), soit un accompagnement et une prise quotidienne d’une polypill.
La pilule proposée contient le diurétique hydrochlorothiazide (12,5 mg), l’inhibiteur de l’enzyme de conversion énalapril (5 mg), de l’aspirine (81 mg) et de l’atorvastatin à dose moyenne (20 mg). En cas d’apparition d’une toux sèche, une autre pilule contenant l’antihypertenseur valsartan (40 mg) à la place de l’énalapril était proposée.
Les participants ont été suivis pendant cinq ans, avec des visites organisées tous les six mois dans les villages pour renouveler notamment les conseils en vue d’améliorer l’hygiène de vie.
Le critère primaire d’évaluation était la survenue d’un épisode cardiovasculaire majeur (hospitalisation pour syndrome coronarien aigu, infarctus du myocarde fatal, insuffisance cardiaque, AVC fatal ou non…).
Jusqu’à 57% de risque en moins
A cinq ans, le traitement par polypill est associé à une baisse du risque d’événements CV majeurs de 34% par rapport à l’accompagnement seul (respectivement 5,9% contre 8,8%), autant chez les hommes que chez les femmes et qu’importe l’âge.
La baisse est de 40% en considérant uniquement les participants sans antécédents cardiovasculaires (4,5% contre 7,5%) et de 20% chez ceux avec antécédents connus (17% contre 21%).
Les résultats montrent aussi un bon niveau d’observance, avec 63% de participants ayant pris correctement le traitement au cours du suivi (au moins 70% du temps). En considérant uniquement ces participants, le risque d’événements CV majeurs est réduit de 57% comparativement à l’accompagnement sans traitement.
Bien que l’étude ne soit pas conçue pour évaluer l’effet du traitement sur la mortalité, les résultats indiquent toutefois que la polypill n’est pas associée à une baisse significative de la mortalité globale. Par ailleurs, les mesures n’ont pas fait apparaitre de différences de tension artérielle entre les deux groupes, contrairement au niveau moyen de LDL-cholestérol, plus faible sous traitement.
Dans l’ensemble, la pilule a été bien tolérée et il n’apparait pas de différences majeures entre les groupes. A cinq ans, le taux d’hémorragie intracrânienne est de 0,3%, avec ou sans traitement. De même, le taux d’ulcère gastro-duodénal est similaire entre les deux groupes (1,1% contre 1,2%).
Prévention bon marché
Selon les auteurs, l’étude présente toutefois quelques limites. Tout d’abord, seules deux pilules distinctes ont été utilisées. Ils estiment que l’efficacité du traitement pourrait être améliorée avec d’autres formulations. Par ailleurs, les résultats peuvent difficilement être généralisés puisqu’ils se limitent à une population rurale d’Asie centrale.
« Plus des trois-quarts des 18 millions de personnes qui décèdent chaque année d’une maladie cardio-vasculaire dans le monde résident dans un pays à revenus faibles ou intermédiaires », rappelle Dr Nizal Sarrafzadegan (Université des sciences médicales, Ispahan, Iran).
Selon lui, si une telle stratégie s’appuyant sur une seule pilule venait à être généralisée à grande échelle, « elle pourrait jouer un rôle clé pour atteindre l’objectif ambitieux des Nations Unis visant à réduire d’au moins un tiers les décès prématurés liés aux maladies cardiovasculaires d’ici 2030 ».
« Cet essai pragmatique apporte la preuve qu’une polypill de faible coût pourrait être envisagée comme une stratégie de prévention pour réduire le poids des maladies cardiovasculaires, en particulier dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires », ont conclu les auteurs.
Liens d’intérêt : Anushka A Pate a reçu des financements pour développer la polypill. Il a reçu des financements de l’Australian National Health and Medical Research Council, outside the area of work commented on here. Mark D Huffman a reçu des financements de la World Heart Federation via Boehringer Ingelheim et Novartis, de One Brave Idea via l’American Heart Association, Verily, et AstraZeneca,du National Heart, Lung, and Blood Institute, et des honoraires de l’American Medical Association sur des sujets sans rapport avec la présente étude.
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Citer cet article: Prévention cardiovasculaire: l’intérêt de la polypill validé dans un large essai - Medscape - 12 sept 2019.
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