THM et cancer du sein : une nouvelle étude ravive la polémique

Valérie Devillaine, Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

9 septembre 2019

Oxford, Royaume-Uni – Le traitement hormonal de substitution (THM) refait parler de lui. Une publication du Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer, sous forme d’une grande méta-analyse dans The Lancet, d’une puissance inusitée, plus de 58 études épidémiologiques – mais des études d’observation donc non randomisées – suggère que tous les types de traitement hormonal de substitution (THM), à l’exception des traitements topiques vaginaux, sont associés à un risque accru de cancer du sein, et que ce risque est plus élevé chez les utilisatrices de traitement combiné estrogènes-progestérone que chez les utilisatrices d’estrogènes seuls [1]. Pour le THM estrogène-progestérone, les risques étaient plus élevés si la progestérone était prise quotidiennement que de façon intermittente (par exemple, 10-14 jours par mois).

L’un des co-auteurs, le Pr Valérie Beral de l’Université d’Oxford a commenté : « Nos nouveaux résultats indiquent que certaines augmentations du risque persistent même après l’arrêt du THM. »

Si tous ont pris acte de cette publication, oncologues et gynécologues ont toutefois réagi différemment.

Suivi prospectif de 108 647 femmes ménopausées

Dans cette nouvelle étude, les auteurs ont centralisé et ré-anaIysé toutes les études prospectives menées entre 1992-2018 qui se sont intéressées à la prise de THM et à l’incidence du cancer du sein, ils ont regardé tous les types de THM utilisés, leur durée d’utilisation et de temps écoulé depuis leur arrêt.

Au cours de ce suivi prospectif, 108 647 femmes ménopausées ont développé un cancer du sein à l'âge moyen de 65 ans. 51 % d’entre elles (55 575) avaient pris un THM. L’âge moyen de la ménopause était de 50 ans et l’âge moyen du démarrage de traitement était aussi de 50 ans. La durée de traitement était de 10 ans pour les utilisatrices actuelles, 7 ans pour celles qui avaient pris un THM mais l’avaient arrêté.

Les chercheurs ont calculé que, pour les femmes de poids normal qui n’avaient jamais utilisé un THM, le risque de développer un cancer du sein entre 50 et 69 ans était de 6,3 pour 100 femmes.

Partant de là, ils ont estimé qu’utiliser pendant 5 ans un THM contenant des estrogènes, et de la progestérone quotidiennement, en commençant à l’âge de 50 ans, augmenterait le risque de 6,3 à 8,3%, soit une augmentation de risque absolu de 2 femmes pour 100.

Pour les THM contenant des estrogènes et de la progestérone de façon intermittente, l’accroissement du risque passait de 6,3 à 7,7%, soit une augmentation absolue de 1,4 femme pour 100 ; quant à l’utilisation d’estrogènes seuls pendant 5 ans, elle augmenterait le risque de développer un cancer sur 20 ans de 0,5 femme pour 100.

Par ailleurs, l’utilisation des THS était très fortement associée à une augmentation des cancers hormonosensibles, mais accroissait aussi le risque des cancers négatifs pour les récepteurs aux œstrogènes, bien que dans une plus faible proportion.

L’augmentation du risque augmente avec la durée du traitement 

L’augmentation du risque apparaît dès la première année de traitement et augmente avec la durée du traitement : « l’utilisation d’un THM pendant 10 ans entraîne un risque de cancer du sein environ deux fois plus élevé que celui associé à 5 ans d'utilisation, détaille l’un des co-auteurs, le Pr Gillian Reeves de l’Université d’Oxford [2]. En revanche, cette augmentation était faible pour une utilisation de moins d’un an de n’importe quel THM, ou dans le cas d’une utilisation vaginale topique des estrogènes via des crèmes ou d’un pessaire, qui ne sont pas censés atteindre le flux sanguin. »

Commentant l’étude pour Medscape édition française, le Pr Suzette Delaloge, chef du service de pathologie mammaire de l’Institut Gustave-Roussy a affirmé : « nous savions déjà depuis longtemps que les THS augmentaient les risques de cancer du sein mais cette étude donne beaucoup plus de détails. Elle a une puissance énorme, ce qui explique sans doute qu’elle montre les choses aussi clairement ».

Sur le fait que tous les THM, à l’exception des œstrogènes vaginaux appliqués localement, soient associés à un excès de risque de cancer du sein, l’oncologue ajoute que « même les “hormones naturelles à la française”, même les œstrogènes seuls » sont concernées « bien qu’à un degré un peu différent ».

Pour la spécialiste, le chiffre le plus important est que « 5 ans de traitement hormonal substitutif débuté à 50 ans vont créer 1 cancer du sein en plus du risque spontané, entre 50 et 69 ans, sur 50 utilisatrices (pour les THS les plus conventionnels combinés œstro-progestatifs) ».

Des études peu représentatives des pratiques européennes actuelles

Les gynécologues et les endocrinologues ont tenu modérer le propos et à faire entendre un son de cloche différent. Dans un communiqué commun, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et le Groupe d'étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal (Gemvi) ont critiqué « une méthodologie […] compliquée du fait de données manquantes » précisant que « la totalité des études retenues sont des études d’observation (et non randomisées contrairement à l’étude américaine WHI publiée en 2002) relativement anciennes et soumises à de nombreux biais », ajoutent-ils [3]. Dans un texte de 3 pages, ils rappellent que « pour les études européennes prospectives retenues, près de 70% des cas provenaient de 2 études anglaises, la Million Women Study2 publiée en 2004 (et à l’époque largement critiquée pour ses nombreux biais méthodologiques) et une étude d’observation des généralistes anglais jamais publiée », que les données commencent à dater : « L’année médiane au diagnostic du cancer du sein date par ailleurs de 1999 pour les études américaines et de 2007 pour les études européennes avec des études, pour les plus anciennes, qui avaient été faites en 1981 ! » écrivent-ils.

Enfin, ils considèrent que les THM, et notamment les progestatifs différent de ceux utilisés en France, surtout depuis la publication de la WHI en 2002. Par ailleurs, écrivent-ils, « si les auteurs rapportent également une augmentation du risque de cancer du sein avec la progestérone micronisée (PG) ou la dydrogestérone (DG), cela ne concerne que très peu de cas, par exemple, 38 cas de cancers pour la PG (contre plus de 8000 cas pour les autres progestatifs)… L’étude française E3N3,4 qui avait montré l’absence de surrisque associé à la PG ou la DG pour une durée moyenne de traitement de l’ordre de 5 ans n’a pas été incluse dans cette méta-analyse pour des raisons que nous ne connaissons pas. Seule l’étude Européenne EPIC5 a été prise en compte qui ne comporte qu’une petite partie de la cohorte E3N et avec des données sur le THM uniquement à l’inclusion ».

Rappel des bénéfices du THM

Le CNGOF et le Gemvi considèrent, au final, que « ce type d’article épidémiologique tend à occulter l’ensemble des bénéfices reconnus du THM pour corriger les symptômes du climatère, améliorer la qualité de vie des femmes qui sont impactées par la carence estrogénique de la ménopause tout comme la diminution des risques d’ostéoporose, des maladies cardio-vasculaires, comme de la mortalité globale telle qu’elle a été rapportée à la fois par l’étude WHI comme par toutes les études d’observation ».

Les uns et les autres sont néanmoins d’accord pour retenir qu’aucun sur-risque associé au THM n’a été retrouvé chez la femme obèse traitée – qui sans traitement a un risque comparable à celui d’une femme de poids normal qui prendrait un THM par estrogènes seuls. « L’effet est indépendant du poids et même moindre chez les femmes en surpoids (qui ont spontanément un risque plus élevé) », rapporte Suzette Delaloge tandis que le CNGOF et le Gemvi commentent « ces données tendent à montrer qu’il n’existerait pas d’effet additif de ces deux facteurs de risque ».

Quelle attitude en pratique ?

En pratique, « l’utilisation de THM en France est très restreinte aujourd’hui, moins de 20 % des femmes, les prescriptions ont considérablement diminué depuis 15 ans et les premières descriptions d’un risque élevé de cancer du sein. Le rapport bénéfice-risque d’une prescription doit être soigneusement évalué et, globalement, il est raisonnable d’éviter les THM sauf besoin majeur », conclut Suzette Delaloge.

Le confirment que « moins de 10% des femmes françaises prennent actuellement un THM et pourtant, écrivent-ils, contrairement aux données épidémiologiques initialement rapportées dans les années post-WHI, le risque de cancer du sein ne cesse d’augmenter en France comme dans tous les pays européens et ceci malgré une moindre utilisation de ce traitement ». Et de rappeler que « l’obésité et la consommation d’alcool, voire le tabagisme sont autant de facteurs de risque de cancer du sein dont le poids est comparable, voire plus élevé que celui d’un THM prescrit à bon escient ».

Comme tout n’est jamais noir ou blanc, dans un éditorial accompagnant l’article, Joanne Kotsopoulos, chercheur au Hôpital Women's College (Toronto), présente la voie du milieu[4]. Après avoir affirmé qu'il est important d'estimer avec précision le risque accru de cancer du sein associé au THM, elle conclut : « les cliniciens doivent tenir compte du message de cette étude, mais également adopter une approche rationnelle et globale de la gestion des symptômes de la ménopause, en prenant en compte les risques et les avantages d'initier une THM pour chaque femme. Cela peut dépendre de la gravité des symptômes, des contre-indications pour le MHT [...] et de l'IMC, et il importe tenir compte des préférences du patient. "

L’étude a été financée par le Cancer Research UK et le Medical Research Council. Il a été conduit par les chercheurs du Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer. Les members du Comité et Joanne Kotsopoulos n’ont pas de lien d’intérêt.

 

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