
Dr Jaime Miranda
Paris, France – Comment réduire l’hypertension et son incidence dans une communauté entière de façon particulièrement rapide, simple et efficace ? En substituant le sel alimentaire utilisé par un autre moins chargé en sodium. C’est la stratégie qu’a testé avec succès le Dr Jaime Miranda (CRONICAS Centre of Excellence in Chronic Diseases at Universidad, Lima, Pérou) dans 6 villages du nord du pays.
« Cette intervention consistant à réduire la teneur en sodium du sel alimentaire consommé a permis une réduction de la pression artérielle au sein de ces communautés, avec des bénéfices plus marqués chez les personnes souffrant d’hypertension, ainsi qu’une réduction de l’incidence de nouvelles hypertensions ». L’étude qui a été présentée en sessions « hotline» lors du du congrès de l’ESC 2019 [1] par le chercheur péruvien a été très applaudie.
Sodium et potassium
L’impact néfaste du sel sur les pathologies cardiovasculaires, via son action sur la pression artérielle, est tel que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a adopté comme cible une réduction relative de 30% de la consommation moyenne de sel dans la population, le but étant d’atteindre une cible inférieure à 5 g par jour (environ 2 g de sodium) d’ici 2025 [2].
Pour arriver à ce résultat dans une communauté de 6 villages péruviens, où la consommation de sel est importante et l’hypertension particulièrement présente, un groupe de chercheurs a testé une stratégie consistant à remplacer le sel alimentaire habituel par un substitut contenant 75% de sodium et 25% de potassium. « Le mélange a été obtenu en mélangeant, à part égale, du sel normal à 100% de sodium avec un sel commercial disponible au Pérou et plus faiblement dosé en sodium (50% de sodium, 50% de potassium) » a expliqué le Dr Jaime Miranda en conférence de presse.
Stratégie de substitution étape par étape
Après s’être assuré qu’une diminution de 35% du contenu en sodium ne posait pas de problème en termes de goût, les chercheurs ont conduit leur stratégie de substitution dans 6 villages de la région de Tumbes entre 2014 et 2017. Comme une étude randomisée n’était ni faisable ni éthique, ils ont utilisé un protocole recrutant les villages étapes par étapes, utilisant les villages non recrutés comme groupe contrôle.
La pression artérielle a été mesurée au début de l’étude et tous les 5 mois, jusqu’à un total de 7 mesures. Et les villages étaient recrutés au hasard au fur et à mesure, de façon à ce qu’à la fin tous les villages participent à l’intervention.
Une campagne marketing pour promouvoir « Salt Liz »
Les habitants de Tumbes n’ayant pas connaissance du lien entre la consommation de sel et chiffres de pression artérielle, les changements de comportements alimentaires n’ont pas été faciles à faire accepter. C’est pourquoi les chercheurs ont fait appel à une campagne marketing innovante en insistant sur le côté « séduisant » du produit plus que sur son aspect « bon pour la santé » pour faire valoir ce nouveau produit auquel ils ont donné, en accord avec les populations locales, le doux nom de Liz. « Salt Liz » a ensuite été fourni gratuitement à tous les vendeurs et fournisseurs qui avaient choisi de participer à l’étude en échange du sel habituel, et délivré aussi aux ménages via le biais du porte à porte.
Réduction plus marquée chez les individus souffrant d’HTA
Au final, 2 376 personnes ont été incluses dans l’étude, dont la moitié de femmes (âge moyen : 43 ans). Les personnes avec une maladie rénale chronique, une pathologie cardiaque ou prenant de la digoxine ont été exclues. Si l’on considère l’ensemble de la population de l’étude, le sel « moins salé » a réduit la pression artérielle systolique de 1,23 mmHg en moyenne [IC95% : 0,38-2,07] et la pression artérielle diastolique de 0,72 mmHg [IC95% : 0,10-1,34].
Ces réductions de la PA étaient encore plus marquées chez les individus souffrant d’hypertension à l’entrée dans l’étude, avec des réductions de PAS de 1,92 mmHg [IC95% : -3,29 ; -0,54], respectivement et chez les sujets de plus de 60 ans, avec une réduction de la PAS de 2,17 mm Hg [IC95% : -3,67; - 0,68].
Une réduction non négligeable et susceptible d’avoir un impact clinique quand on sait, comme l’a rappelé l’orateur, qu’une diminution aussi faible que 2 mmHg de la PAS peut potentiellement induire une baisse de 10% de la mortalité par accident vasculaire cérébral (AVC) et de 7% de la mortalité par pathologie ischémique ou d’autres causes vasculaires.
Bonne participation
Parmi les 1 865 participants (79%) sans hypertension à l’inclusion, le sel de substitution a réduit de moitié (55%) la susceptibilité de développer une hypertension de 55% comparé à ceux qui utilisait le sel normal (hazard ratio 0.45;
IC95% : 0,31 - 0,66; p<0,001), après ajustement sur différents facteurs (âge, sexe, éducation, niveau de richesse, indice de masse corporelle).
L’adhésion au programme a, semble-t-il, été bonne. Pour s’en assurer, les chercheurs ont dosé le sodium et le potassium dans l’urine des 24 heures chez des individus pris au hasard. Les résultats n’ont pas montré de modifications des concentrations de sodium mais une augmentation du potassium, a expliqué le Dr Miranda. Ce qui a confirmé la consommation du sel de substitution et a fait dire au Dr Frank Ruschitzka (University Hospital Zurich, Suisse) qui co-présidait la conférence de presse que, « le potassium n’était finalement pas si mauvais ».
Pérenniser et généraliser
Quant à pérenniser cette étude dans la communauté péruvienne, cela supposerait de diminuer son coût et si le prix du kilo a diminué de moitié dernièrement, il reste encore trop élevé pour que la population locale puisse s’en procurer. Pour ce qui est de généraliser cette stratégie, tout dépend de la culture et des habitudes de consommation de chacun. L’effet sera moins important dans les pays occidentaux où la consommation de sel se fait essentiellement au travers de plats préparés et de produits transformés. De nombreuses stratégies sont nécessaires pour agir sur les chiffres de pression artérielle, et la mortalité cardiovasculaire, mais celle testée par les chercheurs péruviens apporte sa pierre à l’édifice. Elle a été saluée en présentation plénière.
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Citer cet article: Du sel moins dosé en sodium pour réduire le risque d’HTA dans une communauté à risque - Medscape - 9 sept 2019.
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