Nouvelles recommandations lipides de l’ESC : la baisse des cibles de LDL-c fait déjà grand bruit

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

3 septembre 2019

Paris, France—L’European Society of Cardiology (ESC) et l’European Atherosclerosis Society (EAS) ont présenté leurs nouvelles recommandations sur la prise en charge des dyslipidémies lors du congrès de l’ESC 2019 avec plusieurs changements notables, notamment une baisse des cibles de LDL-C qui fait déjà grand bruit[1]. Elles font la part belle aux traitements intensifs, dont certains ne sont pas actuellement disponibles en France. Commentaires du Pr François Schiele (chef du service de cardiologie au CHU de Besançon, membre de l’ESC).

Une actualisation nécessaire

« Les dernières recommandations de l’ESC/EAS sur les lipides ont été publiées en 2016. Or, l’émergence de données substantielles[3,4,5,6,7,8,9,10,11,12,13,14] au cours des dernières années nécessitait de réactualiser les recommandations », indique le groupe de travail de l’ESC dans le texte publié dans le European Heart Journal[2].

En effet, entre temps, de nouvelles données ont confirmé que le LDL-c et l’ApoB jouaient un rôle clé dans l’athérogenèse. Plusieurs essais contrôlés contre placebo ont montré qu’ajouter de l’ézétimibe ou un anti-PCSK9 à une thérapie optimale par statine diminuait le risque de maladie cardiovasculaire athérosclérotique de façon corrélée à la baisse absolue de LDL-C. En outre, ces essais ont montré que plus le taux de LDL-c obtenu était bas, plus le risque de futurs événements CV était faible, sans limite pour les taux de LDL-c ou d’effet de courbe en J. Aussi, aucun signal de sécurité inquiétant lié aux taux très faibles de LDL-c n’a été observé pour l’instant bien qu’un suivi plus long soit nécessaire.

Enfin, des études de randomisation mendélienne ont démontré le rôle critique du LDL-C et de l’ApoB dans la formation de la plaque d’athérome et la survenue d’événements cardiovasculaires.

Le fait qu’il existe une relation causale entre l’augmentation du LDL-c et les maladies cardiovasculaires athérosclérotiques ne relève plus de « l’hypothèse » mais de la preuve. De même, il est désormais établi que diminuer les particules LDL et les autres lipoprotéines contenant de l’ApoB autant que possible diminue les événements CV », indique le groupe de travail.

Pr François Schiele

« L’ensemble de ces avancées justifient qu’il ait fallu rediscuter des guidelines », a confirmé le Pr Schiele pour Medscape édition française.

Des cibles de cholestérol LDL revues à la baisse

Constatant qu’abaisser le LDL-c en deçà des cibles déterminées dans les recommandations de 2016 était associé à une baisse du nombre d’événements, le groupe de travail a jugé approprié d’abaisser les LDL-C autant que possible, du moins chez les patients à très haut risque CV. Pour cette raison, une réduction de plus de 50 % du LDL-c basal est suggéré en sus d’une cible à atteindre en fonction du niveau de risque (voir encadré).

Reste que les nouvelles cibles à atteindre interrogent.

 « Ces nouvelles cibles sont un pavé dans la mare. Nous avions déjà du mal à atteindre 70 mg/dL donc le chiffre de 55 mg/dL pour les patients à très haut risque me semble peu réaliste », commente le Pr Schiele.

 
Le fait qu’il existe une relation causale entre l’augmentation du LDL-c et les maladies cardiovasculaires athérosclérotiques ne relève plus de « l’hypothèse » mais de la preuve.
 

Les nouvelles cibles de LDL-c

  • Pour les patients à très haut risque que ce soit en prévention secondaire ou primaire (très rarement) : < 55mg/dL (<1,4 mmol/L).

  • Pour les patients qui font un second événement CV dans les deux ans alors qu’ils prennent la dose maximale tolérée de statine : <40 mg/dL (<1,0 mmol/L)

  • Pour les patients à haut risque : <70 mg/dL (1,8 mmol/L)

  • Pour les patients à risque modéré : <100 mg/dL (2,6 mmol/L)

  • Pour les patients à bas risque : <116 mg/dL (3,0 mmol/L).

« Etant donné que la moyenne du LDL-C chez les patients à haut risque est de 1,3 g/L, réduire de moitié (0,65g/L) ne correspondra pas à la nouvelle cible de 0,55 g/L. Pour la majorité des patients, il faudra ajouter d’emblée l’ézétimibe. En pratique, nous allons être amenés à traiter avec le combiné pratiquement tous ces malades et une proportion importante de patients sera éligible aux anti-PCSK9. Est-ce justifié ? Pour les cardiologues français, cette situation est surréaliste parce que nous n’avons pas accès aux anti-PCSK9 », précise le Pr Schiele.

Point positif, toute de même : « En faisant la promotion à 55 g/L, nous aurons surement plus de malades à 70 g/L. Il existe une marge d’amélioration car la moitié des patients à très haut risque qui devraient recevoir une statine à forte intensité ne la prennent pas pour des raisons multiples (environ 15 % des patients ne la tolèrent pas mais chez 33 % de patients, les doses devraient être augmentées). Aussi, aujourd’hui l’ézétimibe est sous-utilisé. J’espère que cette nouvelle cible fera la promotion d’une optimisation de ce traitement qui ne pose pas de problème de coût car il est génériqué. En attendant de voir ce qui sera obtenu avec les anti-PCSK9 commençons à travailler correctement avec les moyens que l’on a », conclut l’expert.

Plusieurs nouveautés concernent l’évaluation du risque CV

Autre nouveauté, dans les nouvelles recommandations 2019, la définition du « très haut risque » a été élargie. Les patients atteints de maladie cardiovasculaire athérosclérotique, de diabète avec atteinte d'un organe cible, d'hypercholestérolémie familiale et d'insuffisance rénale chronique sévère sont tous classés dans la catégorie à très haut risque (et recevront un traitement intensif réduisant le LDL).

Aussi à l’infarctus, l’AVC ou l’artérite symptomatique viennent s’ajouter l’angine de poitrine, la revascularisation et une athérosclérose documentée à l’imagerie (même non compliquée cliniquement).

 « Ce changement est assez logique. Faut-il attendre d’avoir une complication clinique pour considérer qu’on a de l’athérosclérose ? Si le médecin observe une plaque sur une carotide ou des lésions sur une coronarographie, même si aucun vaisseau n’est bouché, il me semble logique de considérer le patient à très haut risque », commente le Pr Schiele.

Aussi, dans l’évaluation du risque de maladie cardiovasculaire athérosclérotique, la place de l’imagerie a été renforcée.

Les nouvelles recommandations indiquent que l’évaluation de la progression de la plaque artérielle (carotide et/ou fémorale) par échographie devrait être considérée chez les patients à faible risque ou à risque modéré (Recommandation classe IIa).

 « Cela suppose de faire la promotion de l’échodoppler des vaisseaux du cou et des membres inférieurs, ce qui n’était pas spécialement dit auparavant », souligne le cardiologue français.

 
Ces nouvelles cibles sont un pavé dans la mare...le chiffre de 55 mg/dL pour les patients à très haut risque me semble peu réaliste. Pr François Schiele
 

Enfin, l’évaluation du score calcique par scanner devrait être considérée afin d’évaluer le risque CV chez les individus asymptomatiques à risque faible ou modéré. (Recommandation classe IIa)

Une bonne recommandation selon le Pr Schiele : « la présence de calcifications sur les coronaires signifie qu’il y a une maladie athérosclérotique, ce qui fait remonter le niveau de risque. Le score calcique est un test très simple, non-irradiant, peu couteux, qui donne vraiment une information sur l’importance des calcifications et de l’athérosclérose et sur la localisation de ces calcifications, une donnée importante. »

De nouvelles analyses lipidiques pour l’évaluation du risque CV 

Désormais, mesurer le taux de lipoprotéine a (Lpa) devrait être réalisé au moins une fois au cours de la vie d’adulte afin d’identifier les personnes ayant des taux élevés de Lpa en raison d’une transmission héréditaire > 180 mg/dL (>430 nmol/L). En effet, ces dernières peuvent avoir un risque de maladie cardiovasculaire athérosclérotique équivalent à celui des personnes atteintes d’hypercholestérolémie hétérozygote familiale. (Recommandation classe IIa).

 « Le nouveau facteur lipidique à considérer est la lipoA qui vient en force », confirme le Pr Schiele. « En France, son dosage n’est plus remboursé mais il va falloir rediscuter de ce point parce que c’est un dosage qui, primo, n’est réalisé qu’une fois dans la vie, secundo, n’est pas susceptible d’évoluer et, tertio, peut identifier un risque susceptible, lui, d’être modulé par les inhibiteurs de PCSK9 (mais peu par les statines) »

Aussi, la mesure de l’ApoB est désormais recommandée pour l’évaluation du risque (et non plus suggérée), en particulier chez les personnes avec un taux élevé de triglycérides, un diabète, une obésité ou un syndrome métabolique ou un très faible taux de LDL-C. Le taux d’ApoB peut être utilisé comme alternative à celui du LDL-C, si disponible, pour le dépistage, le diagnostic, et la prise en charge et peut être préféré au cholestérol non-HDL chez les personnes avec une forte hypertriglycéridémie, un diabète, une obésité ou un taux de LDL-C très faible.

Prise en charge thérapeutique : du nouveau

Traitement anti cholestérol LDL

Par rapport aux recommandations de 2016, en cas de cible de LDL-c non atteinte avec la dose maximale tolérée de statine, il est précisé que c’est l’ézétimibe qui doit être associé.

Lorsque l’association d’une statine à la dose maximale tolérée et de l’ézétimibe ne permet pas d’atteindre la cible en prévention secondaire ou chez les patients atteints d’une hypercholestérolémie familiale à très haut risque (maladie cardiovasculaire ou autre facteur de risque majeur), il est recommandé d’associer un anti-PCSK9.

Dans les recommandations de 2016, il était indiqué que l’ajout d’un anti-PCSK9 était recommandé en cas de taux de LDL-C restant élevé chez les patients à très haut risque.

Concernant le traitement médicamenteux des patients avec une hypertriglycéridémie : chez les patients à haut risque avec des taux de triglycérides situés entre 1,5 et 5,6 mmol/L (135-499 mg/dL) en dépit d’un traitement par statines, les acides gras polyinsaturés à longue chaîne n-3 (oméga-3 Vascepa™, AMR101, acide éthyl-eicosapentaenoïque, Amarin, 2x2/j) devraient être considérés en association avec les statines. (Recommandation classe IIa)

 
Pour les cardiologues français, cette situation est surréaliste parce que nous n’avons pas accès aux anti-PCSK9. Pr François Schiele
 

Aussi, un traitement par statine est recommandé (et ne doit plus seulement « être considéré ») en première ligne chez les patients à très haut risque avec une hypertriglycéridémie (TG>23 mmol/L ou 200 mg/dL).

Pour le traitement des patients avec une hypercholestérolémie familiale hétérozygote : en prévention primaire et secondaire, pour les patients avec une hypercholestérolémie familiale à très haut risque, une baisse du taux de cholestérol LDL ≥ 50 % et une cible de LDL-c de 1,4 mmol/L (<55 mg/dL) devraient être considérées. (Recommandation classe IIa)

Si les cibles ne peuvent pas être atteintes, une association thérapeutique est recommandée.

Un traitement par anti-PCSK9 est recommandé (et ne doit plus seulement « être considéré ») chez les patients atteints d’hypercholestérolémie familiale à très haut risque si les cibles ne sont pas atteintes avec une association de statine à la dose maximale tolérée et d’ézétimibe.

Chez les personnes âgées , le traitement par statines est recommandé en prévention primaire selon le niveau de risque chez les personnes ≤ 75 ans.

Aussi, l’initiation d’un traitement par statines en prévention primaire chez les personnes de plus de 75 ans peut être considéré chez les personnes à haut risque ou au-delà. (Recommandation classe IIb).

Le cholestérol LDL basal, l’état de santé et le risque d’interactions médicamenteuses doivent être pris en compte pour décider si les statines conviennent aux personnes âgées de 75 ans ou plus.

Il est recommandé (et non plus suggéré) que les statines soient initiées à faible dose en cas d’insuffisance rénale et/ou de possibles interactions médicamenteuses puis d’augmenter les doses progressivement pour atteindre les cibles de LDL-C.

Concernant les personnes diabétiques : chez les patients diabétiques de type 2 à très haut risque, une baisse du taux de cholestérol LDL de départ ≥ 50 % et une cible de LDL-c de 1,4 mmol/L (<55 mg/dL) sont recommandées. (Recommandation classe I).

 
Le nouveau facteur lipidique à considérer est la lipoA qui vient en force. Pr François Schiele
 

En parallèle, chez les patients diabétiques de type 2 à haut risque, une baisse du taux de cholestérol LDL de départ ≥ 50 % et une cible de LDL-c de 1,8 mmol/L (<70 mg/dL) sont recommandées. (Recommandation classe I)

Chez les patients diabétiques de type 1, les statines sont recommandées chez les personnes à haut risque et à très haut risque. (Recommandation classe I)

L’intensification de la thérapie par statine doit être considérée avant l’introduction d’une association thérapeutique. Si la cible n’est pas atteinte, une association avec l’ézétimibe est recommandée. (Recommandation classe IIa)

Les statines ne sont pas recommandées chez les femmes pré-ménopausées diabétiques qui ont un projet de grossesse ou qui n’utilisent par un moyen de contraception sûr. (Recommandation classe III)

« Bien que ces médicaments ne causent pas de malformations fœtales lors d'une utilisation au cours du premier trimestre lors d’une grossesse non programmée, les femmes ayant besoin d'une statine devraient les éviter lorsqu’elles ont un projet de grossesse, car aucune étude formelle n'a été réalisée à ce sujet », a déclaré le Pr Alberico L. Catapano (président du groupe de travail, Université de Milan, Italie) lors de l’ESC.

Chez les patients avec un syndrome coronarien aigu, si les taux de LDL cholestérol ne sont pas dans les cibles alors qu’ils reçoivent la dose maximale de statine tolérée et de l’ézétimibe, il peut être envisagé d’ajouter un anti PCSK9 rapidement après l’événement (si possible pendant l’hospitalisation pour SCA). (Recommandation classe IIa)

Aussi, si la cible de LDL-C n’est pas atteinte après 4 à 6 semaines d’une association de statine à la dose maximale tolérée et d’ézétimibe, il est recommandé d’ajouter un anti-PCSK9.

Le Pr Schiele est membre de l’ESC. Le Pr Schiele a déclaré des liens sous forme de contrats de recherche, honoraires de participation à des groupes de réflexion ou à des symposiums avec : AMGEN, SANOFI, PFIZER, MSD, ASTRA-ZENEKA, BAYER, BMS, DAIICHI-SANKYO.

 

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