Test génétique en cardiologie : quel est l’impact psychosocial ?

Pr Philippe Charron, Dr Jean-Pierre Usdin

Auteurs et déclarations

20 septembre 2019

Enregistré le 2 septembre 2019, à Paris, France

Le test génétique n’a pas seulement pour conséquence d’indiquer s’il est nécessaire ou non d’effectuer un suivi médical. L’annonce des résultats peut également avoir un impact sur l’équilibre psychologique, familial, voire socioprofessionnel du patient et des apparentés. Interview du Pr Charron, qui présente l’étude PREDICT.

TRANSCRIPTION

Dr Jean-Pierre Usdin — Bonjour, bienvenue sur Medscape. Nous sommes à Paris, au congrès de la société européenne de cardiologie (ESC). Je suis le Dr Jean-Pierre Usdin, cardiologue, et j’ai le plaisir d’avoir à mes côtés le Pr Philippe Charron, qui va parler de PREDICT [1], une étude particulièrement intéressante et surtout très originale.

Pr Charron, je rappelle que vous êtes cardiologue à la Pitié-Salpêtrière et responsable du département de cardiologie génétique. Voulez-vous nous expliquer en quoi consiste cette étude sur la génétique que vous avez menée avec vos collaborateurs, et qui assez particulière puisqu’elle a surtout trait à la psychologie des patients ?

Pr Philippe Charron — Avec plaisir. Nous nous sommes en effet intéressés aux tests génétiques dans les maladies cardiaques, donc essentiellement les cardiomyopathies, les maladies électriques comme le QT long etc. Nous avons étudié une dimension qui n’est pas souvent explorée : l’impact psychologique et socioprofessionnel du le test génétique. C’est important, car nous sommes à un moment où le test génétique s’est beaucoup développé en cardiologie, il fait partie des préconisations avec un haut niveau de recommandation dans ces maladies : cardiomyopathie hypertrophique, dysplasie ventriculaire droite, etc. On s’est donc attaché à étudier l’impact chez les apparentés qui font la démarche de faire le test génétique — pour savoir, au moment où ils se portent bien et n’ont pas encore déclaré de maladie, s’ils ont néanmoins hérité de la mutation familiale et s’ils sont à risque de développer la maladie. C’est une des indications privilégiées du test génétique, pour guider la surveillance familiale, pour l’améliorer, pour identifier les apparentés qui ont la mutation et ceux qui ne l’ont pas et, en fonction de cela, on va pouvoir soit rassurer les uns, soit dire aux autres qu’il faut impérativement continuer à être surveillé parce que la maladie va se déclarer plus tard.

Dr Jean-Pierre Usdin — Comment les participants sont-ils venus à vous ? Sont-ils venus à la consultation de cardiologie génétique ? Vous les a-t-on adressés ?

Pr Philippe Charron — C’est une étude multicentrique française qui relie 20 centres de consultation génétique. En général, les patients viennent parce qu’un apparenté, celui qui a la maladie — le propositus qui a une cardiomyopathie hypertrophique par exemple — a fait le test génétique ; une mutation a été trouvée et on fait passer le message via le propositus au reste de la famille, qui a un intérêt à organiser la surveillance pour prévenir au mieux. Les apparentés sont amenés à venir dans les consultations de cardiogénétique pour faire le test génétique à ce moment-là. Donc c’est dans ce contexte qu’on a essayé d’analyser les situations. Il est vrai que dans la littérature, il y a très peu d’information sur ces aspects, à la différence d’autres pathologies génétiques comme les maladies neurodégénératives comme la maladie de Huntington par exemple, où il y a une littérature abondante sur l’impact du test et qui se révèle souvent assez importante, parce que ce n’est pas toujours facile pour un apparenté qui se porte bien, qui est jeune adulte, qui pense à avoir un enfant, de lui dire, ou qu’il souhaite savoir, s’il a la mutation, qu’il va pouvoir développer la maladie et la transmettre. Et donc il y a des impacts qui ont été décrits dans les maladies neurologiques avec des stress importants après l’annonce du résultat, des dépressions, des problèmes familiaux, sans compter les aspects professionnels divers. Voire même des soucis pour des demandes d’emprunts auprès des banques, etc.

Dr Jean-Pierre Usdin — Vous vous êtes donc êtes intéressés au retentissement psychosocial. Qu’en avez-vous retiré concernant le ressenti des patients ? Parce que vous le disiez, effectivement, le cœur fait moins peur que les autres maladies comme les cancers ou les maladies neurologiques. Est-ce que les gens étaient très anxieux en attendant le résultat ? Est-ce qu’ils ont été, après, soulagés de ne pas avoir la mutation ? Est-ce qu’ils sont restés dépressifs ou est-ce qu’ils ont, au contraire, été vers quelque chose de positif, c’est-à-dire tout faire pour éviter, s’ils ont un QT long, certains médicaments, etc. ?

Pr Philippe Charron — On a pu inclure plus de 500 apparentés porteurs de mutations — ce qui est la plus grosse étude en la matière — sur ces 20 centres, grâce à l’aide d’un soutien de la Fondation maladies rares. Nous avons pu observer quatre grands types de résultats :

  • Premièrement, nous avons interrogés les patients sur leur motivation initiale quand ils sont venus faire le test génétique. On a alors vu que la première motivation n’est pas l’impact médical, de savoir s’il faut se faire surveiller ou pas (en fait ceci survient seulement en troisième position). Loin devant, il y a d’une part lever le doute, et d’autre part savoir s’il va y avoir un impact pour leurs enfants présents ou à venir. Donc on voit que ce sont des enjeux personnels qui sont mobilisés par la démarche, et non pas au premier chef le simple bilan cardiaque. Il faut donc anticiper, quand on voit ces apparentés, que cela va avoir un impact qui n’est pas forcément dans la dimension cardiologique auquel on songe.

  • Deuxièmement, on a étudié le degré de stress et d’anxiété avec des échelles (des auto-questionnaires de différente sorte qu’on leur a fait remplir). La moitié des apparentés ont été vus prospectivement, c’est-à-dire qu’on a donné les mêmes auto-questionnaires avant la consultation, puis juste avant l’annonce du résultat mais après la première consultation, et après, un peu à distance à l’annonce du résultat. On a donc pu comparer et voir que le niveau d’anxiété monte entre « avant la consultation » et « juste avant le résultat ». Mais on a eu la bonne surprise de voir qu’au décours du résultat, l’anxiété revenait au niveau de base. Cela nous rassure dans un certain sens sur le fait qu’on n’a pas observé de pourcentage important, d’impact vraiment délétère — normalement il y a quand même un petit sous-groupe. Et quand on a regardé les corrélations, à quoi était relié le niveau de stress post-résultat, eh bien il est lié avant tout au niveau de stress pré-résultat — donc les antécédents de fragilité, de dépression, etc., jouent plus que le résultat génétique en lui-même, ce qui est aussi intéressant parce que cela montre qu’il faut aussi s’intéresser à ceux qui ne se révèlent pas porteurs de la mutation.

  • Enfin, on leur a demandé globalement si le résultat avait eu un impact favorable ou défavorable dans les différentes dimensions des liens familiaux, socioprofessionnels et autres. Dans deux tiers des cas, il n’y a pas eu d’impact défavorable, et dans un tiers des cas il y a eu un impact. Et pour un tiers de ce tiers, c’était défavorable ; et les deux premiers éléments étaient qu’il y a eu un impact sur le parcours professionnel. Cela leur a amené à modifier leur projet ou leur profession. Sur le long terme — on a eu, dans l’étude rétrospective, un recul en moyenne de quatre ans après l’annonce du résultat — il y en avait 13 % qui disaient avoir eu des difficultés à obtenir un prêt bancaire. Autre impact : le risque de transmission, la culpabilisation, le fait de savoir, maintenant, qu’on peut transmettre et tout ce que cela peut générer comme anxiété. Mais, globalement, on a été rassuré par le niveau d’anxiété et le peu d’impact grave…

Dr Jean-Pierre Usdin — Il y a des patients qui n’ont pas la mutation. Comment réagissent-ils ? Vous les avez revus, après, dans votre étude ?

Pr Philippe Charron — En général, lors de l’annonce, ils sont évidemment très rassurés pour l’essentiel, et on les interrogeait à distance, de la même façon que les autres, parce que cela nous intéressait aussi. Et en fait, on s’aperçoit que ceux qui jugent un impact défavorable après l’annonce ne sont pas seulement ceux qui ont la mutation : chez un certain nombre d’apparentés qu’on pense avoir rassurés, cela peut aussi les perturber parce que le test génétique et les résultats mobilisent beaucoup de choses qui sont de l’ordre de la filiation, du lien par rapport à celui qui est malade, à celui qui n’est pas malade, le frère qui n’a pas la mutation ou la sœur qui a mutation. Cela va modifier parfois pas mal de choses dans l’équilibre de la famille, à tort ou à raison. Cela engage une symbolique qui est très variée.

 
L’impact du test génétique n’est pas seulement sur le fait de nécessiter ou pas un suivi cardiaque. Pr Philippe Charron
 

Donc, la conclusion un peu générale est : attention, l’impact du test génétique n’est pas seulement sur le fait de nécessiter ou pas un suivi cardiaque. Cela mobilise d’autres choses, il faut l’anticiper et avoir une équipe qui a l’habitude et qui est pluridisciplinaire, qui fonctionne avec des cardiologues, des généticiens... Cela conforte le fait que cela se passe bien dans l’ensemble, si c’est fait par des professionnels qui ont l’habitude, puisque cela a été réalisé, je rappelle, dans 20 centres de consultation génétique dans les CHU.

Dr Jean-Pierre Usdin — J’en profite pour dire que vous êtes très actif dans la filière Cardiogen et que vous êtes le coordinateur de tous les centres référents des maladies cardiaques transmissibles.

Pr Philippe Charron — Oui. Il y a un effort du ministère de la Santé…

Dr Jean-Pierre Usdin — Dans le futur, cela va peut-être déboucher sur des connexions avec d’autres études génétiques dans d’autres filières, comme par des filières neurologiques. C’est probablement dans le futur sur cette étude, qui est très originale.

Pr Philippe Charron — Oui. On pense à comparer les devenirs en fonction des pathologies.

Dr Jean-Pierre Usdin — Pour finir, pourriez-vous nous décrire brièvement un cas particulier, d’un patient qui s’est présenté ?

Pr Philippe Charron — Oui. Un des premiers cas qui m’a marqué quand j’ai commencé à mettre en place ces consultations, c’est celui d’une jeune femme qui est venait parce que dans sa famille il y avait une forme grave de cardiomyopathie hypertrophique. Elle devait avoir une trentaine d’années, elle allait bien, elle avait fait un bilan cardiaque normal. Et puis elle est venue pour faire le test génétique, pour savoir si elle avait hérité. Et c’est au moment où elle se posait la question d’avoir un premier enfant et cela a réveillé toute une problématique. Finalement, après l’annonce du résultat — elle avait aussi la mutation — je lui ai dit qu’il fallait mettre en place une surveillance, etc. Elle a alors réagi de façon extrêmement douloureuse. Le fait d’avoir la mutation était difficile pour elle, cela voulait dire « je ne veux pas prendre le risque d’avoir un enfant, donc je ne ferai pas d’enfants ». Cela a été très lourd lors de la consultation. Après elle a effectivement poursuivi dans cette démarche, et heureusement, quelques années plus tard, elle est revenue en me disant « je suis enceinte ». Elle avait fait du chemin, elle avait finalement accepté de prendre ce risque, qui me semble raisonnable, de faire un enfant. Mais cette annonce du résultat a été très douloureux pour elle parce que cela a eu un impact sur un choix de vie auquel elle réfléchissait à ce moment-là.

Dr Jean-Pierre Usdin — Effectivement, cela montre l’intérêt du suivi, de la douche froide qu’on peut prendre éventuellement.

Je rappelle le nom de cette étude : PREDICT-STUDY[1]. Et le message à faire passer est qu’il est important d’avoir recours à la consultation de cardiogénétique suite à un problème cardiaque et de ne pas gérer cela tout seul dans son coin, parce que cela peut être extrêmement difficile — on a vu les impacts potentiels. Merci Pr Charron et je vous remercie d’avoir assisté à cette transmission, à bientôt sur Medscape.

Cette transcription a été révisée par souci de clarté.

 

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