Insuline intranasale : elle ralentit la progression de la démence de façon surprenante

Pauline Anderson

Auteurs et déclarations

29 août 2019

Los Angeles, Etats-Unis — La prise d’insuline intranasale quotidienne pourrait être efficace pour ralentir la progression des troubles cognitifs légers (mild cognitive impairment, MCI) et la maladie d’Alzheimer, selon une étude présentée lors du congrès international de l’Association Alzheimer, Alzheimer's Association International Conference (AAIC) 2019.

Les investigateurs ont montré que l’insuline intranasale administrée via un système de délivrance par aérosolisation ralentit le rythme du déclin cognitif de 1 à 2 ans.

« L’ampleur du bénéfice est remarquable » a commenté la chercheuse et investigatrice de l’étude Suzanne Craft (Wake Forest School of Medicine, Winston-Salem) auprès de Medscape Medical News.

« C’est la première étude où un médicament est donné par voie nasale pour traiter la maladie d’Alzheimer »

Effet protecteur

L’insuline est essentielle aux fonctions normales du corps et du cerveau. Elle stimule la communication entre les neurones, augmente le flux sanguin cérébral et protège contre les dépôts de protéine bêta-amyloïde (Aβ) et les protéines tau anormales.

« Une des choses dont j’estime qu’elle est très importante pour la mémoire est que l’insuline protège les synapses contre la protéine amyloïde, et génère aussi de nouvelles synapses. La façon dont fonctionne l’insuline est le meilleur indicateur de la façon dont on vieillit » considère Suzanne Craft.

Il arrive que les patients avec la maladie d’Alzheimer (MA) aient soit de bas niveaux d’insuline, soit que l’hormone ne fonctionne pas correctement. Booster les taux d’insuline dans le cerveau peut aider. Cependant, injecter de l’insuline ne permet pas de l’envoyer directement vers le cerveau, et peut abaisser la glycémie, explique la chercheuse.

Dans cette étude, les chercheurs ont donc testé un nouveau mode de délivrance – un dispositif qui facilite la prise d’insuline. La technologie implique de créer des petites gouttes d’insuline à diffuser comme avec un aérosol et qui sont envoyées vers le haut, directement vers le cerveau et non dans le flux sanguin et les poumons, explique Suzanne Craft.

Il y a un intérêt croissant pour ce mode de délivrance de l’insuline, en partie parce qu’il est capable de passer la barrière hémato-encéphalique, dit-elle.

L’étude a inclus 289 patients sur 26 sites qui présentaient des scores de l’échelle d’évaluation cognitive MMSE (mini-mental state examination) supérieurs à 20.

Les participants ont été répartis de façon aléatoire pour recevoir 20 unités internationales (IUs) d’insuline ou un placebo deux fois par jour pendant 12 mois, après quoi ils pouvaient opter pour recevoir de l’insuline pendant 6 mois dans une phase ouverte.

Deux types de dispositifs

L’étude a commencé avec le dispositif utilisant la technologie Kurve, que les chercheurs ont utilisé dans de précédentes études. Après avoir commencé à inclure des patients avec le premier dispositif, les chercheurs ont finalement préféré un autre système de délivrance, dit “Impel Precision Olfactory Device” qu’ils pensaient plus sûr mais ne fonctionnant pas par aérosol et dont ils n’avaient pas validé le mode d’action.

En résumé, 49 participants se sont vus attribuer le premier dispositif (disposif 1) et 240 le second (dispositif 2). Aucun problème de sécurité n’a été mentionné avec l’un ou l’autre système, et la compliance a été acceptable pour les deux, précise la chercheuse.

Etude négative sur le critère primaire

Le critère primaire était l’évaluation par le sous-score Disease Assessment Scale-Cognitive Subscale (ADAS-Cog) – où des scores élevés indiquent les résultats les plus mauvais – sur le groupe des 240 participants. Les chercheurs ont par ailleurs réalisé d’autres tests cognitivo-comportementaux et mesuré les taux de protéines amyloïde et tau — les ratios entre Aβ42/Aβ40 et Aβ42/tau très exactement — dans des échantillons de liquide céphalorachidien.

« Ces ratios fournissent une mesure intégrée de la pathologie d’Alzheimer et sont considérés comme meilleurs prédicteurs que les biomarqueurs individuels dans certaines études » note Suzanne Craft.

L’analyse des patients utilisant le deuxième dispositif a montré que les deux groupes ont empiré d’un point de vue cognitif ». Il n’y avait donc pas de bénéfice de l’insuline intranasale que ce soit dans l’étude à 12 mois ou dans la phase ouverte.

Dans ce groupe, il n’y a eu non plus de différence entre ceux qui recevaient le placebo et ceux qui avaient l’insuline pour aucune des mesures réalisées par les chercheurs.

Cliniquement significatif dans un sous-groupe

Là où les choses deviennent intéressantes, c’est que le tableau était très différent chez le sous-groupe de 49 patients ayant reçu le premier dispositif, explique Suzanne Craft. Dans ce cas, le groupe insuline présentait un net avantage à 12 mois. Et à 18 mois, ce groupe présentait un bénéfice évalué à 6 points sur l’échelle ADAS-Cog comparé à ceux qui avaient été assignés au placebo (P = 0,018).

« C’est un effet significatif d’un point de vue clinique » explique Suzanne Craft. Nous estimons qu’il correspond à un ralentissement de 1 ou 2 ans dans le rythme de progression de la maladie ». On considère en effet que les adultes avec une MA empirent d’environ 3 points de l’échelle ADAS-Cog par année.

En outre, le biomarqueur du liquide céphalo-rachidien s’est amélioré dans le groupe insuline qui utilisait le dispositif 1, suggérant un ralentissement de l’atteinte cérébrale associée avec la MA. « Cela montre que nous impactons les protéines et la pathologie associée à la maladie d’Alzheimer, en plus des symptômes cognitifs » explique Suzanne Craft.

Les chercheurs ont alors testé la capacité du dispositif 1 à délivrer de l’insuline dans le cerveau en administrant soit de l’insuline, soit de l’eau salée à différents moments puis en réalisant des ponctions lombaires pour mesurer les niveaux dans le liquide céphalo-rachidien.

« Les données ont montré une augmentation des niveaux d’insuline après délivrance par le dispositif 1 à chaque essai ».

Le plus tôt, le mieux ?

Les investigateurs poursuivent leurs analyses pour déterminer si le ralentissement de la détérioration cognitive des patients les plus sévèrement atteints à l’inclusion a été plus prononcé que chez ceux dont le statut cognitif était meilleur.

« Sans pouvoir se prononcer pour le moment, nous pensons que plus tôt on donne l’insuline, mieux c’est ».

La raison pour laquelle les deux dispositifs ont donné des résultats différents n’est pas claire, note la chercheuse, mais cela peut s’expliquer par leur capacité à délivrer l’insuline au cerveau. « Tous les dispositifs ne fonctionnent pas de la même façon ».

Une étude clinique de phase 3 est programmée pour confirmée les effets bénéfiques de l’insuline intranasale chez les patients avec des troubles cognitifs légers (mild cognitive impairment, MCI) ou la maladie d’Alzheimer. Les chercheurs ne savent pas encore quels dispositifs ils utiliseront, mais ce qui est sûr c’est qu’ils le valideront avant de démarrer l’étude.

Un nouveau mécanisme potentiel

Commentant ces résultats pour Medscape Medical News, Rebecca Edelmayer, directeur scientifique pour l’Association Alzheimer (Alzheimer's Association) a considéré l’étude comme « un exemple de la façon dont on diversifie le pipeline d’études cliniques avec de nouvelles idées, et de comment penser différemment (thinking outside the box) [la recherche] ».

L’insuline intranasale pourrait constituer un nouveau mécanisme pour traiter la MA, explique-t-elle.

« N’importe quelle sorte de traitement, qu’il s’agisse d’un médicament ou d’un changement de mode de vie susceptible de retarder l’apparition de la maladie ou d’en ralentir la progression est une victoire dans le champ de la maladie ».

Par la voix de Rebecca Edelmayer, l’Association Alzheimer assure se porter garante que les traitements prometteurs seront, à l’avenir, soutenus par des «essais cliniques au protocole rigoureux»,  ce qui s’annonce être la prochaine étape pour l’insuline intranasale.

L’étude a été financée par le National Institute on Aging (NIA). Eli Lilly a fourni le placebo pour la phase en aveugle, et l’Humulin-R U100 pour la phase d’extension en ouvert. Craft et Edelmayer n’ont pas mentionné de liens d’intérêt.

La version originale de l’article a été publiée en anglais sur Medscape Medical News le 19 juillet 2019 et traduite par Stéphanie Lavaud pour Medscape Edition Française.

 

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