Traumatismes de la face après tirs de Flash-Ball®: des médecins français alertent

Dr Isabelle Catala

14 août 2019

France – Dans une lettre publiée dans le Lancet, des médecins spécialisés dans la prise en charge de traumatismes de la face alertent sur la gravité des lésions chez 21 patients atteints par des tirs de Flash-Ball® lors des manifestations de « gilets jaunes », et proposent un algorithme pour une prise en charge optimale de ces patients, dont l’atteinte nécessite des soins très pointus pouvant aller jusqu’à l’énucléation [1].

Analyse de 21 patients victimes d’armes non létales à balles caoutchouc

Depuis novembre 2018, 4 000 blessures ont été comptabilisées à la suite des manifestations de gilets jaunes. Certaines d’entre elles, parmi les plus graves, sont dues à des tirs de lanceurs de balle de défense (ou Flash-Ball, voir encadré). Dans une lettre au Lancet, des médecins des services de chirurgie maxillo-faciale et d’ophtalmologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), de l’Université Grenoble Alpes, et du service d’ophtalmologie de l’hôpital Cochin (Paris), détaillent les lésions de 21 patients victimes d’armes non létales à balles caoutchouc et soulignent la gravité des traumatismes balistiques à haute intensité. Ils insistent, par ailleurs, sur la nécessité prise en charge multidisciplinaire radiologique et chirurgicale par des équipes spécialisées (après détection précoce en pré-hospitalier) [1].

Ruptures du globe oculaires entrainant une cécité

Illustrant leur propos par des images de scanner, les auteurs parlent de fractures multifocales de la mandibule, de fractures dento-alvéolaires, de plaies transfixiantes de la lèvre, de fractures zygomatiques et orbitaires et, et c’est le cas le plus fréquent, de traumatismes oculaires entrainant une grave perte de vision (acuité visuelle de moins de 20/200). Parmi les lésions oculaires graves, les auteurs détaillent des ruptures du globe entrainant une cécité, de lésions oculaires sévères sans rupture du globe telles que des détachements choroïdes ou des lacérations des glandes lacrymales. Ils notent aussi que 19 % (4/21) des patients ont présenté secondairement des infections ou difficultés de cicatrisation.

Repérer en pré-hospitalier

« Bien que les balles en caoutchouc de ces armes non létales soient conçues pour induire des blessures censées stopper des individus violents sans utiliser une arme à feu, elles peuvent entraîner la mort ainsi qu'un traumatisme grave aux conséquences fonctionnelles irréversibles avec des implications dans la vie sociale à long terme » écrivent les auteurs. En particulier quand ces projectiles atteignent des zones vulnérables du corps comme la tête, ajoutent-ils. Forte de l’expérience qu’elle a acquise au cours des derniers mois et visiblement inquiète du nombre de cas et de la sévérité des lésions, l’équipe de médecins spécialisés dans ce type de traumatisme a jugé bon de proposer un arbre décisionnel pour une prise en charge immédiate, dans l’idéal, fléchée dès le pré-hospitalier, afin de faire bénéficier aux patients qui seraient victimes de tels tirs des meilleurs soins possibles.

Ils préconisent ainsi que chaque patient souffrant d'un traumatisme facial provoqué par des tirs de Flash-Ball bénéficie d’un scanner et d’un examen précoce par un chirurgien maxillo-facial et un ophtalmologiste. Et ce, après que les soignants impliqués dans les premiers secours aient procédé à un examen simple de la pression oculaire au doigt, évalué une éventuelle atteinte du globe ou de l’orbite, et testé la perception lumineuse, la réactivité pupillaire et l’oculomotricité.

Une chirurgie immédiate est nécessaire dans un certain nombre de situations: en cas de lésion du globe ouvert ou d'implication du système nasolacrymal et/ou de fracture orbitale avec incarcération de muscle. En revanche, dans les lésions du globe fermé sans incarcération musculaire, la chirurgie peut être retardée.

Enucléation pour 20 % des patients

Déjà, en mars 2019, 35 ophtalmologistes avaient écrit au Président de la République et à la Ministre de santé afin d’alarmer sur l’augmentation du nombre de lésions oculaires liées à  l’utilisation d’armes non létales qui propulsent des balles en caoutchouc avec une énergie de 220 joules à 40 mètres.

Et des données, présentées lors du congrès de la Société Française d’Ophtalmologie en mai 2019, concluaient, sur une quarantaine de cas, à la nécessité d’une énucléation pour 20 % des patients, tandis que seules 13 % des personnes prises en charge (généralement des hommes jeunes) arrivaient aux urgences avec une vision relativement conservée.

 

Une forte énergie cinétique qui entraine de graves lésions

Le terme Flash-Ball, qui est une marque déposée, sert couramment à désigner tous les lanceurs de balle de défense (ou LBD). Si l'arme peut utiliser des projectiles variés, le plus courant et le seul autorisé par les forces de Police et de Gendarmerie nationale en France, est une balle de caoutchouc souple de 44 millimètres de diamètre pour une masse de 28 grammes. Lors de l'impact, cette balle dissipe une énergie cinétique équivalente à celle d'un projectile de calibre 38, d’après Wikipédia. Mais contrairement à une munition classique, la balle de caoutchouc s'écrase sur sa cible au lieu de la perforer. En raison de son énergie cinétique élevée, ce projectile peut néanmoins, comme on le voit ici, provoquer fractures et graves atteintes des tissus mous quand il atteint une zone vulnérable de l’organisme.

 

 

 

 

 

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