Qu’en pense le psychosomaticien?

Pr Jean-Benjamin Stora, Dr Boris Hansel

Auteurs et déclarations

21 août 2019

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

Pour le Pr Jean-Benjamin Stora, toutes les maladies sont psychosomatiques… puisqu’elles ont des composantes à la fois psychique, physique et neurocérébrale. Explications.

TRANSCRIPTION

Boris Hansel — Bonjour et bienvenue sur Medscape. Aujourd’hui, nous allons parler des maladies psychosomatiques. Cela évoque pour certains des pathologies qu’on ne sait pas expliquer et qui sont imaginaires. Pour d’autres, ce sont de véritables maladies avec une forte composante psychique, c’est-à-dire un désordre psychique qui entraîne des maladies organiques. Et peut-être que certains ne savent pas du tout ce que c’est. Donc pour mieux comprendre ce que sont les maladies psychosomatiques, je reçois Jean-Benjamin Stora, professeur de psychosomatique, auteur de plusieurs livres (dont le dernier est « 15 cas de thérapies psychosomatiques Comment soigner les malades, non simplement leurs maladies. »

Alors que sont les psychosomatiques pour un psychosomaticien ?

Jean-Benjamin Stora — Bonjour. Il y a plusieurs types de psychosomaticiens. Moi, je suis un psychosomaticien intégratif, c’est-à-dire que j’ai développé une approche théorique et clinique fondée sur l’interrelation entre le 1) fonctionnement psychique d’un être humain, 2) la médecine telle que nous la connaissons, c.-à-d. la médecine allopathique, et 3) les neurosciences. C’est l’interrelation de ces trois disciplines qui nous permet de comprendre — et c’est le nouveau paradigme que j’avance — que l’être humain est une unité psychosomatique.

Boris Hansel — Donc pour vous, toute maladie a une composante psychique, physique et liée aux neurosciences.

Jean-Benjamin Stora — Neurocérébrale ou neuropsychique.

Boris Hansel — Neurocérébrale, on peut comprendre ce que c’est : le neuromédiateur qui circule, donc ces substances chimiques qui circulent entre les neurones (la dopamine, l’adrénaline, etc.).

Jean-Benjamin Stora — Oui, absolument, une soixantaine de… neuromédiateurs.

Boris Hansel — La composante physique, on imagine aussi ce que c’est : des artères qui s’abîment, un cœur qui se met à battre trop vite ou trop lentement, une peau qui est fragile. Mais la composante psychique, c’est quoi ? Qu’est-ce que le psychisme ?

Jean-Benjamin Stora — Le psychisme, tel qu’il a été défini par Freud en tout cas, car d’abord c’est quand même lui [qui l’a défini], c’est l’interrelation entre des représentations mentales que nous avons en nous — qui sont le reflet de notre vécu quotidien depuis l’enfance jusqu’à notre mort —, des émotions et des comportements. C’est l’interrelation de ces trois termes qui compose le système psychique. Et le système psychique en psychosomatique, c’est un système de défense.

Boris Hansel — Ce système psychique, à quel moment dans la vie apparaît-il ? On sait que le système immunitaire apparaît à un certain moment, le système nerveux central à un certain moment… qu’en est-il du système psychique ?

Jean-Benjamin Stora — Le système psychique… se bâtit progressivement dans la relation maternelle et au bout des cinq premières années de vie, nous commençons à avoir un système psychique qui est en plein développement, qui s’arrête avec la maturation vers l’âge de 18-20 ans. Donc c’est un système qui met très longtemps à se développer. Mais dans le cadre de l’approche neuropsychique que je développe comme théorie, il y a, à chaque étape de développement du psychisme, toujours une intégration neuronale. L’intégration et le développement neuronal suit parallèlement le système psychique dans son développement, et les deux systèmes sont intégrés l’un dans l’autre, ce que les psychanalystes ne disent jamais.

Boris Hansel — Alors racontez-nous comment on passe d’un trouble psychique à une manifestation organique, somatique, physique, au niveau du corps.

Jean-Benjamin Stora — Le système psychique, comme le système immunitaire, est un système de défense de l’individu… Il peut avoir des défaillances, surtout en cas de traumatisme et ce quelle que soit la solidité de ce système, parce qu’un traumatisme peut mettre en grande difficulté un être humain. Et à ce moment-là, dans le cadre de la défaillance, les excitations qui sont liées aux événements de vie…

Boris Hansel — Qu’est-ce que vous appelez « excitations » ?

Jean-Benjamin Stora — Les excitations : par exemple, actuellement, la discussion que nous avons, crée en moi des excitations mentales, parce que cela me sollicite. Mais cela n’est pas traumatique parce que c’est quand même du côté de la satisfaction. Mais il peut y avoir des traumatismes. La perte d’un être humain, un divorce ou la perte de son travail sont des traumatismes.

Boris Hansel — Donc ce traumatisme va « titiller » le système psychique…

Jean-Benjamin Stora — Oui.

Boris Hansel — … et il faut que ce système psychique réagisse.

Jean-Benjamin Stora — Il faut qu’il réponde. C’est son travail principal, de répondre et gérer cela. Si ce n’est pas possible, s’il y a des défaillances, s’il y a une difficulté pour le système, à ce moment-là les excitations sont transmises au système nerveux central.

Boris Hansel — Ah ! C’est là que le système nerveux intervient.

Jean-Benjamin Stora — Il intervient immédiatement. Il intervient avec une programmation génétique, parce qu’il doit assurer l’équilibre de l’individu et la survie (c’est son rôle), donc il a des moyens d’interprétation qui ne sont pas aussi sophistiqués que le système psychique.

Boris Hansel — Et comment en vient-on à la maladie ?

Jean-Benjamin Stora — On en vient à la maladie parce qu’il y a toujours un temps de latence. On ne tombe pas malade immédiatement. Dans certains cas, c’est possible. Dans le cas de contrariété, on peut avoir, en l’espace de millisecondes même, un trouble somatique.

Boris Hansel — Donc un système psychique qui ne sait pas répondre, qui transmet l’information au système nerveux central avec des sécrétions de substances chimiques dans le cerveau…

Jean-Benjamin Stora — Oui. Le système nerveux central, par le biais de l’hypothalamus, que vous connaissez bien, va réagir tout de suite ; mais quand il réagit en millisecondes, ce qui est le plus sollicité, c’est plutôt la colonne vertébrale, c’est le musculosquelettique, et la douleur.

Boris Hansel — Donc la conséquence de cette stimulation du système nerveux central, selon vous, c’est une conséquence physique, et notamment des douleurs au niveau des articulations et des muscles.

Jean-Benjamin Stora — Absolument. Étant donné que l’être humain, à ce moment-là, ne peut pas avoir une souffrance morale, il a une souffrance physique en lieu et place d’une souffrance morale. C’est son corps qui souffre. La douleur est là.

Boris Hansel — Donc il y a des exemples où c’est un impact immédiat, comme vous le disiez, une excitation qui est mal tolérée, et immédiatement, va se compliquer d’un problème physique.

Jean-Benjamin Stora — Oui, oui — il y a un déplacement.

Boris Hansel — Il y a des situations plus chroniques et vous mentionnez parfois le cancer du sein comme maladie psychosomatique. Expliquez-nous.

Jean-Benjamin Stora — Pour moi, à partir du paradigme que j’ai avancé, toutes les maladies sont psychosomatiques. Au début, quand on a eu cette approche psychosomatique, c’est le docteur Franz Alexander qui a créé le mouvement de médecine psychosomatique aux États-Unis. Pour lui, au tout début, dans son livre de médecine psychosomatique publié en 50–51 en France, il y avait sept maladies psychosomatiques (je vais vous les lire et après on reviendra à votre question). Il pensait à l’asthme bronchique, l’arthrite rhumatismale, la colite ulcéreuse (la RCH- rectocolite hémorragique, maladies du côlon inflammatoires, MICI), l’hypertension artérielle essentielle…

Boris Hansel — … qui est souvent familiale et se développe vers l’âge de 40–50 ans sans qu’on n’ait particulièrement d’obésité ou d’alimentation déstructurée.

Jean-Benjamin Stora — Exactement. Également la névrodermite, thyréotoxicose (l’hyperthyroïdie, maladie de Basedow), et l’ulcère gastrique et duodénal … pour Franz Alexander, dans les années 30, [étaient des maladies psychosomatiques]…

 
Avec l’Institut Curie, nous avons fait une étude qui a été publiée l’année dernière sur le cancer du sein et la participation du psychisme. Pr Jean-Benjamin Stora
 

Boris Hansel — Alors on voit que les choses évoluent, parce que l’ulcère gastrique et duodénal, à l’époque, on pensait que c’était le stress qui le déclenchait, aujourd’hui on sait que dans la majorité des cas, il y a une bactérie qui est présente et qui provoque l’ulcère et on sait que si on guérit de cette contamination bactérienne, on guérit de l’ulcère.

Jean-Benjamin Stora — Absolument, mais il peut y avoir, comme le dit Franz Alexander, une fragilité psychique qui ouvre la voie, malgré tout.

Boris Hansel — Donc même dans ce cas-là ?

Jean-Benjamin Stora — L’inhibition des pulsions agressives – quand quelqu’un ne se défend pas et qu’il vit tout passivement, il reçoit immédiatement, cela ouvre la voie à la maladie.

Boris Hansel — Il serait plus facilement contaminé par la bactérie.

Jean-Benjamin Stora — Exactement.

Boris Hansel — Donc il y avait sept maladies psychosomatiques — aujourd’hui, vous dites que toutes les maladies sont psychosomatiques…

Jean-Benjamin Stora — Oui. Avec l’approche que j’ai.

Boris Hansel — Avec votre approche. Donnez-nous rapidement une idée de comment le cancer du sein peut avoir, selon vous, avec une forte composante psychique.

Jean-Benjamin Stora — Cela fait plus de 25 ans que je soigne des patientes qui ont un cancer du sein, et avec l’Institut Curie, nous avons fait une étude qui a été publiée l’année dernière[1] sur le cancer du sein et la participation du psychisme. Beaucoup de patientes sont faces à ce problème que j’ai déjà évoqué, c’est-à-dire des problèmes de divorce, de deuil des parents ou d’enfants, donc des événements qui affectent profondément. Et à ce moment-là, étant donné que le système psychique ne peut plus faire face, il y a une dépression du système immunitaire qui ouvre la voie au cancer.

Boris Hansel — Et, en particulier, dans vos observations, au cancer du sein.

Jean-Benjamin Stora — Pas dans tous les cas, mais dans certains cas, c’est le sein qui est atteint parce que c’est relatif à la vie de la patiente qui, à la préadolescence, au moment de la transformation du corps humain, n’a pas investi son corps. Comme si sa poitrine ne faisait pas partie d’elle-même — c’est un organe étranger à elle-même qui n’a pas été investi, qui ne donne pas de plaisir et, dans certains cas extrêmes, ce n’est pas relié à une féminité quelconque…. même l’image de la féminité, ce qu’on appelle vraiment des tomboys, des garçons manqués. Ce sont des femmes qui ont grandi comme des garçons, avec leurs frères.

Boris Hansel — Alors ça, ce sont vos observations, votre opinion sur vos observations.

Jean-Benjamin Stora — Ce sont mes observations et cela ne vaut pas pour l’ensemble de la population.

Boris Hansel — Cela ne vaut pas pour l’ensemble de la population.

Jean-Benjamin Stora — Absolument. C’est tout à fait exact, c’est-à-dire, que ce sont des observations cliniques, c’est important.

Boris Hansel — OK. Pour terminer, très concrètement, un psychosomaticien va soigner certains patients — quand le médecin doit-il se dire qu’il y a une forte composante psychique qui justifie l’accès à un psychosomaticien plus qu’à un psychiatre ?

Jean-Benjamin Stora — Je pense que c’est lorsque le médecin se trouve confronté à des symptômes qu’il n’arrive pas à identifier, qui ne relèvent pas de ses connaissances médicales actuelles — les connaissances sont toujours en développement. À ce moment-là, il peut se poser la question… Souvent, en France, on dit « c’est dans votre tête » — cela veut dire ce qui renvoie, quand même, au psychisme humain, si c’est dans la tête de quelqu’un.

Boris Hansel — Ce qui justifie d’aller voir un psychologue, un psychiatre…

Jean-Benjamin Stora — Exactement. À ce moment-là, le médecin envoie à un psychiatre ou à un psychologue, mais dans certains cas dont on n’a pas parlé comme l’hypocondrie [syndrome psychiatrique], cela peut se présenter de cette façon à un médecin, et cela peut l’inquiéter ou ne pas l’inquiéter du tout, puisqu’il s’agit de troubles somatiques sine materia, sans support organique quelconque.

Boris Hansel — C’est-à-dire lorsqu’on est sûr d’être malade alors que tous les examens sont normaux.

Jean-Benjamin Stora — Voilà. Le patient fait du nomadisme médical, et à ce moment-là cela peut inquiéter les médecins ou pas.

Boris Hansel — Pourquoi adresser à un psychosomaticien plus qu’à un psychologue ou à un psychiatre ?

Jean-Benjamin Stora — [Pour illustrer] je vais peut-être terminer avec un exemple : c’était en 1999, je venais de publier mon premier livre « Quand le corps prend la relève ». Un samedi après-midi, un patient arrive à mon domicile (je ne sais pas comment il avait trouvé l’adresse). Je l’ai invité à venir me voir à ma consultation de l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Il m’a décrit tous ses symptômes et je l’ai envoyé à tous les confrères de médecine de la Pitié-Salpêtrière. Je l’avais envoyé en gastro-entérologie, et le professeur qui était chef du service m’a téléphoné 24 heures plus tard en me disant « votre patient a un cancer colorectal. »… Pendant six ans ce patient avait consulté des médecins et personne n’avait pensé à des hypothèses de transformation de ces symptômes en une maladie grave.

Boris Hansel — Donc ce que vous voulez nous dire, c’est que dans certains cas, un médecin peut ne pas comprendre une pathologie ou passer à côté d’une pathologie parce qu’il n’a pas forcément pu prendre le temps d’écouter complètement les symptômes…

Jean-Benjamin Stora — Mais aussi parce qu’il y a un temps de latence.

Boris Hansel — … et que le psychosomaticien peut aider à ce que ce diagnostic soit fait.

Jean-Benjamin Stora — Oui. C’est ce que j’ai fait avec ce professeur, chef du service — nous avons travaillé ensemble pour soigner ce patient et il y a eu une rémission du cancer.

Boris Hansel — On termine donc sur une note positive ! Merci de nous avoir fait part de ce qu’est pour vous la psychosomatique et de ce que sont les maladies psychosomatiques. On a bien compris ce qu’est que le psychisme. Je rappelle votre dernier ouvrage (« 15 cas de thérapies psychosomatiques »), mais il y en a d’autres.

Et si vous voulez en savoir plus, je vous encourage à regarder l’émission de santé grand public, PUMS Pour une meilleure santé, produite en coopération avec l’Université Paris-Diderot et l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris — Suivre ce lien #10 Les maladies psychosomatiques existent-elles?

Merci Jean-Benjamin Stora.

Jean-Benjamin Stora — Je vous remercie, Boris.

Boris Hansel — Merci à tous d’avoir été avec nous et à bientôt sur Medscape.

 

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