Céfidérocol, Zerbaxa, Zavicefta : ce qu’il faut savoir sur ces nouvelles molécules.
TRANSCRIPTION
Pierre de Truchis — Bonjour, je suis Pierre de Truchis, je travaille en maladies infectieuses à Garches et j’ai le plaisir d’accueillir Benjamin Davido pour parler des nouveaux antibiotiques à l’hôpital.
Quand on parle d’antibiothérapie à l’hôpital, on est toujours un peu inquiet, parce que c’est compliqué pour nous… On entend parler, surtout à l’hôpital, des bactéries qui ont des bêta-lactamases à spectre élargi : est-ce vraiment LE problème actuel?
Benjamin Davido — Oui, tout à fait. La problématique est qu’on a parlé jusque dans les années 2000 du SARM, le fameux staphylocoque résistant à la méthicilline. Aujourd’hui, on sait que le SARM n’est plus un problème à l’hôpital, l’incidence diminue chaque année en France, à l’exception des États-Unis parce que le SARM y circule librement, y compris en ville. Aujourd’hui, comme tu le signalais, la problématique de cette résistance concerne les entérobactéries qu’on appelle BLSE, pour bêta lactamase à spectre élargi. Et elles continuent d’augmenter, malheureusement de façon exponentielle, chaque année, et circulent maintenant même en ville — on estime à un peu moins de 5 % la positivité de ces entérobactéries BLSE dans les laboratoires de ville.
Pierre de Truchis — On a maintenant des nouveaux antibiotiques, mais pas tellement, ces dernières années. À quand remontent les dernières innovations en antibiothérapie ?
Benjamin Davido — C’est une excellente question. Malheureusement, même si on a eu quelques derniers nés, dont on va parler tout à l’heure, la dernière innovation antibiotique date de 2001. Et alors qu’en 2001 on aurait pu s’attendre à avoir justement des nouvelles molécules contre les BLSE, eh bien malheureusement on a eu des nouveaux anti-SARM, pour plusieurs raisons.
La première est qu’on est sujet à l’innovation – c’est-à-dire le temps de créer l’antibiotique, qui prend entre 10 et 15 ans – ce qui fait qu’on a un décalage entre l’écologie bactérienne et la sortie de ces antibiotiques.
La deuxième est que, comme dirait le proverbe, lorsque les États-Unis s’enrhument, c’est l’Europe qui éternue. Les États-Unis, qui produisent ces antibiotiques majoritairement par leurs firmes et laboratoires pharmaceutiques, ont une problématique écologique du SARM très importante, ce qui fait que la dernière classe en 2001 (qu’on appelle les oxazolidinones, dont le linézolide en chef de file, et le tédizolide) sont sortis alors qu’en France les besoins sont extrêmement résiduels.
Pierre de Truchis — Mais il y a pourtant des nouveautés — on a entendu parler de ZERBAXA et de ZAVICEFTA…
Benjamin Davido — Ces molécules, tu as raison, sont sorties ces deux dernières années, mais elles ne sont pas vraiment de l’innovation. Quand on reprend les noms de ces médicaments en générique, dans la DCI, la dénomination commune internationale du premier, le ZERBAXA, est le ceftolozane/tazobactam – le tazobactam, c’est ce qu’on a dans le pipéracilline/tazobactam…
Pierre de Truchis — La tazocilline, donc.
Benjamin Davido — Voilà, qui est un inhibiteur. Et le ceftolozane est juste une nouvelle céphalosporine contre le Pseudomonas auquel on a ajouté un inhibiteur pour le pyo. Donc on voit bien qu’on est limité en termes d’innovation.
Et l’autre antibiotique dont tu parles, c’est peut-être celui qui a le plus de nouveautés, c’est le ceftazidime/avibactam ; là encore, on a une association avec un inhibiteur. Le ceftazidime est un anti Pseudomonas, qu’on avait déjà depuis les années 80. La différence est qu’on va avoir à nouveau une activité sur le pyo multirésistant et certaines entérobactéries et, donc deux-là marchent très bien sur les BLSE.
Pierre de Truchis — Et qu’est-ce qu’ils ont comme intérêt par rapport aux anciennes molécules qu’on utilisait pour les bactéries résistantes comme la céfoxitine par exemple ?
Benjamin Davido — Tout d’abord, au-delà de l’attrait de la nouveauté — car on n’a pas beaucoup de données — la différence est qu’ils ont une action sur le Pseudomonas que n’auront pas la céfoxitine, ni la témocilline. La deuxième chose est que ce sont des antibiotiques qui ont été conçus essentiellement pour ces entérobactéries productrices de BLSE. Si on prend l’exemple de la céfoxitine, c’est parce qu’elle n’est pas hydrolysée, qu’elle a un noyau particulier, qu’elle a une activité partielle et donc on va avoir beaucoup plus de succès en empirique — ce qu’il ne faut évidemment pas faire sur ces entérobactéries BLSE avec les nouveaux agents, les nouveaux antibiotiques, de par cet effet de l’inhibiteur — qu’avec ces anciennes molécules. La logique voudrait, en tant qu’expert, qu’on préconise d’abord d’utiliser la céfoxitine et la témocilline, qu’on connaît et manie depuis plus longtemps. Pour le prix : la céfoxitine ne doit pas coûter plus que 80 € à 100 € par semaine. La témocilline aurait probablement un intérêt en termes d’écologie, avec moins d’action sur les anaérobies et donc moins de risques sur le microbiote.
Pierre de Truchis — Quand va-t-on utiliser ces nouvelles molécules, ceftolozane et ceftazidime ?
Benjamin Davido — Au-delà du tarif qu’on vient de commencer à aborder — si on prendre l’exemple des deux nouvelles molécules, le ZERBAXA et le ZAVICEFTA, on est autour de 2000 € à 3000 € par semaine, ce qui est beaucoup plus cher. La témocilline est proche des 800 €-1000 €, comme le prix des carbapénèmes. En fait, ce qu’on oublie, c’est que le traitement de référence de ces entérobactéries productrices de BLSE, ce sont les carbapénèmes, des antibiotiques qui existent depuis les années 85 — là-dessus, il n’y a rien de nouveau — mais c’est vrai que les cinq dernières années, je dirais même les 10 dernières années, on a été dans une politique d’épargne antibiotique et d’épargne des carbapénèmes, en se disant que plus on allait mettre un antibiotique à large spectre, plus on courait à la catastrophe et qu’on créait à nouveau de la bactérie multirésistante, voire de la bactérie hautement résistante, ce qu’on appelle en France les BHRE, puisqu’en donnant des carbapénèmes, ont créé potentiellement des carbapénémases. L’idée actuellement est d’utiliser des alternatives des carbapénèmes qu’on appelle le carba sparing. À recommander, j’aurais envie de dire : il faut faire simple, utiliser les vieux antibiotiques comme la céfoxitine et la témocilline lorsqu’ils sont sensibles — globalement, c’est 80% à 90% de sensibilité. Il y a quelques données qui disent que soi-disant la céfoxitine serait moins bien sur les Klebsiella pneumoniae de type BLSE pour des raisons de mutation de porines, ce qui n’est pas évident quand on regarde la littérature — et paradoxalement, on a peu de données parce que, comme c’est un vieil antibiotique, à l’époque il a été utilisé sur des klebsielles sensibles… et donc peu étudié. Et a contrario, ce qui penche à faire utiliser ces antibiotiques au même titre que la témocilline qui existe depuis les années 87, mais qui n’est réservée qu’à certains pays d’Europe — c’est un antibiotique qui est issu par les Belges, qui existe aussi en Angleterre, mais pas aux États-Unis, donc peu de données de littérature scientifique — c’est que comme on les a depuis longtemps, paradoxalement on a beaucoup de case reports, mais à nouveau la plupart du temps dans des indications où c’était contre des bactéries qui n’étaient pas des bactéries multirésistantes. Donc c’est vrai qu’aujourd’hui, celui qui va sortir du lot j’allais dire, c’est ce nouvel antibiotique, le ZAVICEFTA — le ceftazidime/avibactam. Pourquoi ? Parce que l’avibactam a un effet sur ces fameuses BHR, ces bactéries qui résistent aux carbapénèmes et donc notamment ce qu’on appelle les types OXA-48, puisqu’il y a des gènes de résistance ; on est capable, avec des tests rapides, de regarder les cassettes de résistance de ces bactéries — ça devient plus compliqué, mais grâce aux microbiologistes, on peut anticiper avec des tests rapides qu’on a dans la journée, théoriquement même dans les six heures. On a donc un antibiotique probablement à réserver à des situations plus complexes lorsqu’on est dans une impasse thérapeutique.
Pierre de Truchis — Finalement, ces antibiotiques, très utiles, assez puissants sur ces bactéries, vont être réservés à des cas très particuliers.
Benjamin Davido — Absolument. Et je ne l’ai pas précisé pour les auditeurs, mais en fait ce sont des antibiotiques hospitaliers stricts. Dans certaines situations, on peut avoir des rétrocessions hospitalières, mais encore une fois, ces antibiotiques coûtent 3000 €… Ceci dit, sur l’hôpital de Garches, j’ai regardé ce matin avec la pharmacie — c’est très résiduel. Sur les 22 millions d’euros de médicaments, il y a eu 500 000 € pour l’antibiothérapie, c’est-à-dire moins de 2 %. Et quand on voit qu’en médecine le prix d’une chimiothérapie avoisine parfois les dizaines de milliers d’euros, le bénéfice, le coût-efficacité de ces antibiotiques reste très intéressant. Mais clairement, je pense que le réflexe est de ne pas hésiter à appeler les infectiologues experts pour ne pas prescrire larga manu ces alternatives des carbapénèmes pour des BLSE en pensant faire mieux, parce que le risque est de griller ses dernières cartouches, et cette fois-ci, d’avoir ce que les Américains appellent des super bugs, c’est-à-dire des germes qui résistent à tous les nouveaux antibiotiques. Comme on l’illustrait, vu que la dernière innovation antibiotique date de 2001, on va être rapidement à court.
Un dernier mot : on a dans les pipelines un antibiotique qui va probablement bientôt avoir une ATU, qui s’appelle le céfidérocol et qui a une originalité : cela reste une bêtalactamine, mais il a un mécanisme d’action innovant puisqu’il joue un peu un rôle de cheval de Troie, de leurre : il passe par la membrane des bactéries en utilisant un canal ferrique par lequel est transmis le fer et donc leurre les bactéries ; il utilise un système bactéricide, mais en employant une voie originale. Donc on a beaucoup plus de succès dans les boîtes de Petri et il nous reste maintenant à tester cet antibiotique en phase 3 et voir si les résultats sont à la hauteur de nos espérances.
Pierre de Truchis — Oui… Il paraît clair qu’à l’hôpital on a encore besoin d’infectiologues. Merci beaucoup, Benjamin.
Benjamin Davido — Je t’en prie, Pierre. À bientôt.
Enregistré le 11 juin 2019, à Paris
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Citer cet article: Les nouveaux antibiotiques hospitaliers : ce qu'il faut savoir - Medscape - 22 oct 2019.
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