Saint-Denis, France — Alors que les températures ont atteint un niveau historique en France le 25 juillet dernier et que les épisodes caniculaires se multiplient en Europe et partout dans le monde, l’ANSM rappelle que certains médicaments peuvent contribuer à l’aggravation des effets de la chaleur et revient sur la conduite à tenir pour éviter de faire plus de mal que de bien [1,2].
Gestion des prescriptions : quelle conduite à tenir en cas de fortes chaleurs ?
L’ANSM indique en préambule de ces recommandations que l’adaptation d’un traitement médicamenteux en cours doit être considérée au cas par cas. « En aucun cas il n’est justifié d’envisager systématiquement une diminution ou un arrêt des médicaments pouvant interagir avec l’adaptation de l’organisme à la chaleur », précise-t-elle.
Elle préconise aux professionnels de santé de :
procéder à une évaluation complète de l’état d’hydratation (clinique, apports hydriques, poids, fréquence cardiaque, tension artérielle, bilan ionogramme complet avec créatininémie et clairance de la créatinine) avant de prendre toute décision thérapeutique ;
contrôler régulièrement l’état d’hydratation et les facteurs de risque ;
dresser la liste des médicaments pris par le patient et identifier ceux qui pourraient altérer l’adaptation de l’organisme à la chaleur (voir liste ci-dessous) ;
réévaluer l’intérêt de chacun des médicaments et supprimer tout médicament qui apparaît soit inadapté, soit non indispensable ; en particulier ceux susceptibles d’altérer la fonction rénale ;
éviter la prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (aspirine, AINS classiques, inhibiteurs de la COX-2), particulièrement néphrotoxiques en cas de déshydratation ;
en cas de fièvre, éviter la prescription de paracétamol (inefficacité pour traiter le coup de chaleur et possible aggravation de l’atteinte hépatique souvent présente) ;
en cas de prescription de diurétique, vérifier que les apports hydriques et sodés sont adaptés ;
recommander au patient de ne prendre aucun médicament sans avis médical, y compris les médicaments délivrés sans ordonnance.
Les médicaments à risque
Mais, de quels médicaments parle-t-on, précisément ?
Certains médicaments, en interagissant avec les mécanismes adaptatifs de l’organisme sollicités en cas de température extérieure élevée, peuvent contribuer à l’aggravation du syndrome d’épuisement et du coup de chaleur. D’autres peuvent provoquer à eux seuls des hyperthermies dans des conditions normales de température et certains peuvent indirectement aggraver les effets de la chaleur, précise l’’ANSM qui en a dressé la liste.
Les médicaments susceptibles d’aggraver le syndrome d’épuisement-déshydratation et le coup de chaleur
Dans cette catégorie, on retrouve les médicaments provoquant des troubles de l’hydratation et/ou électrolytiques comme les diurétiques, en particulier les diurétiques de l’anse (furosémide, bumétanide) et les diurétiques thiazidiques et distaux au long cours.
Mais aussi, les médicaments susceptibles d’altérer la fonction rénale, notamment :
tous les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comprenant les AINS classiques ou « conventionnels », les salicylés à des doses supérieures à 500 mg/j et les coxibs
inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC)
antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA II)
aliskirène
certains antibiotiques (notamment les sulfamides)
certains antiviraux (notamment l’indinavir)
certains antidiabétiques (gliptines et agonistes du récepteur GLP-1)
en règle générale tous les médicaments connus pour leur néphrotoxicité (par exemple, avec des conséquences différentes, les aminosides, la ciclosporine, le tacrolimus, les produits de contraste iodé...)
Certains médicaments ont aussi un profil cinétique susceptible d’être affecté par la déshydratation (modification de leur distribution ou de leur élimination) comme :
les sels de lithium
les anti-arythmiques
la digoxine
les anti-épileptiques
certains hypoglycémiants oraux (biguanides et sulfamides hypoglycémiants)
les hypocholestérolémiants (statines et fibrates)
Par ailleurs, la pharmacocinétique des dispositifs transdermiques peut être modifiée en raison de la vasodilatation sous-cutanée, et de l’hypersudation susceptible d’entrainer un décollement.
D’autres médicaments sont susceptibles de perturber la thermorégulation centrale comme les neuroleptiques et les médicaments sérotoninergiques ou la thermorégulation périphérique :
antidépresseurs imipraminiques
antihistaminiques H1 de première génération
antiparkinsoniens atropiniques (trihexyphénidyle, tropatépine, bipéridène…)
certains antispasmodiques, en particulier ceux à visée urinaire (oxybutynine, toltérodine, trospium …), ou à visée digestive (tiémonium, dihexyvérine, scopolamine…)
neuroleptiques, y compris les antipsychotiques dits atypiques
scopolamine
disopyramide (anti-arythmique)
atropine et collyres atropiniques
certains bronchodilatateurs (ipratropium, tiotropium)
néfopam (antalgique)
mémantine (anti-Alzheimer)
pizotifène (antimigraineux faiblement atropinique)
agonistes « α-adrénergiques » et amines sympathomimétiques utilisés dans le traitement de la congestion nasale par voie systémique (pseudoéphédrine, néosynéphrine, phénylpropanolamine …) ou dans le traitement de l’hypotension orthostatique (étiléfrine, heptaminol, midodrine …)
antimigraineux sérotoninergiques (dérivés de l’ergot de seigle, triptans)
Enfin, plusieurs médicaments peuvent limiter l’augmentation du débit cardiaque réactionnelle à une augmentation du débit sanguin cutané, notamment les diurétiques et les bêta-bloquants
Médicaments susceptibles d’induire une hyperthermie
« Bien qu’ils n’aient jamais été retenus comme facteurs déclenchant d’un coup de chaleur en cas de vague de chaleur, les médicaments connus pour favoriser des dysrégulations thermiques quelles que soient les conditions de température » sont :
tous les neuroleptiques ou après un arrêt brutal d'antiparkinsoniens (L-Dopa, inhibiteur de la COMT, agonistes dopaminergiques) : syndrome malin des neuroleptiques ;
les agonistes sérotoninergiques et assimilés, le plus souvent en association, en particulier : antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ainsi que d’autres antidépresseurs (imipraminiques, inhibiteurs de la monoamine oxydase sélectifs, venlafaxine, milnacipran, duloxétine), lithium, triptans, linézolide, buspirone et médicaments opioïdes (dextrométorphane, oxycodone, tramadol, …) : syndrome sérotoninergique.
Les hormones thyroïdiennes induisent, elles, la production endogène de chaleur en augmentant le métabolisme basal. « Un traitement non équilibré avec un apport trop élevé d’hormones thyroïdiennes expose à un risque d’hyperthermie, précise l’ANSM.
Les médicaments susceptibles d’aggraver indirectement les effets de la chaleur
Pour finir, l’ANSM a répertorié les agents qui peuvent aggraver indirectement les effets de la chaleur.
Parmi eux on compte les médicaments susceptibles d’abaisser la pression artérielle et d’induire une hypoperfusion de certains organes (SNC), notamment tous les anti-hypertenseurs et les anti-angoreux.
Mais aussi les médicaments agissant sur la vigilance (psychotropes en général), pouvant altérer les facultés de défense contre la chaleur.
Enfin, l’usage de certaines drogues, en particulier les substances amphétaminiques et la cocaïne, ainsi que l’alcoolisme chronique sont des facteurs de risque pouvant aggraver les conséquences de la chaleur.
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Citer cet article: Fortes chaleurs : les médicaments à surveiller de près - Medscape - 19 août 2019.
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