Notre Dame : la pollution au plomb a-t-elle été sous-estimée ?

Aude Lecrubier

6 août 2019

Paris, France— L'association Robin des Bois a déposé plainte contre X, vendredi 26 juillet, pour mise en danger de la vie d'autrui en raison des risques liés à la pollution au plomb après l'incendie de Notre-Dame de Paris survenu le 15 avril dernier.

Pour l’association de défense de l’environnement, les écoles et les crèches à proximité de la cathédrale auraient dues être immédiatement fermées après que des taux de pollution au plomb largement supérieurs à la normale y ont été découverts. L’association accuse aussi les autorités de ne pas avoir suffisamment informé les riverains des risques encourus parlant même « d’un air de Tchernobyl en termes d’information ». Enfin, selon Robin des Bois, le chantier de dépollution aurait dû être arrêté rapidement car certains ouvriers « ne portaient pas de masques de protection » et que les installations de décontamination étaient « sous-dimensionnées ».

Le 25 juillet, deux écoles ont été fermées et le chantier de Notre Dame a été arrêté. Il ne reprendra qu’à la rentrée.

Ce 6 août, l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France a fait connaitre les tous derniers résultats des 175 dosages de plombémie dans le sang chez des enfants, après que l'incitation au dépistage a été renforcée le 4 juin dernier. Si, à ce stade, les résultats ne sont pas inquiétants, l'ARS va amplifier les actions de dépistage.

Les riverains sont-ils réellement en danger ? Des mesures plus drastiques auraient-elles dues être prises ? Entre lanceurs d’alerte, autorités sanitaires et experts médicaux, les avis sont partagés.

Les effets du plomb sur la santé

L’ingestion de plomb peut provoquer le saturnisme, notamment le saturnisme infantile, une maladie à déclaration obligatoire lorsque la plombémie (dosage du plomb dans le sang) est supérieure ou égale à 50 µg/litre de sang.

Chez les jeunes enfants, l’intoxication au plomb peut affecter le développement intellectuel, le comportement et l’humeur, les développements staturo-pondéral (retard de croissance) sexuel (retard pubertaire) et l’acuité auditive. Chez la femme enceinte, l’intoxication au plomb peut altérer le développement fœtal et le déroulement de la grossesse. Les effets du plomb ne se traduisent en général pas par des signes cliniques spécifiques visibles.

Quel niveau de pollution autour de Notre Dame ?

Que sait-on de la pollution de l’air et des sols résultant des 400 tonnes de plomb de la toiture et de la flèche de la cathédrale parties en fumée le 15 avril dernier ?

D’après les données recueillies par l’ARS Ile-de-France[1], au 16 juillet, les prélèvements réalisés dans l’air à proximité de la Cathédrale, sur le parvis et à l’angle des rues d’Arcole et du Cloître montraient des valeurs inférieures au seuil règlementaire de 0,5 µg/m3.

« Il n’y a donc pas de risque d’inhalation de plomb. [Mais les] prélèvements dans l’air doivent être poursuivis », selon l’ARS.

Des sols pollués

En revanche, la pollution du sol, sur le parvis de la cathédrale, est très élevée avec des valeurs allant de la centaine de milliers au million de µg/m² relevées alors que pour les abords immédiats de la cathédrale, des valeurs de plusieurs dizaines de milliers de µg/m2 ont été rapportées.

D’après l’ARS, l’existence de prélèvements supérieurs à la référence de 5 000 µg/m² justifient la fermeture au public du parvis de la cathédrale et la décontamination des sols. A partir de mercredi 7 août, un gel sera posé devant Notre-Dame et dans les rues adjacentes pour capturer le plomb présent sur le site. Puis le gel sera retiré dans les trois jours.

Notons qu’en l’absence de seuil réglementaire et de valeurs de référence sanitaires concernant la présence de plomb dans les poussières déposées sur la voirie, la valeur de 5000 µg/m² a été fixée selon les niveaux de plomb constatés dans Paris avant l’incendie, notamment aux alentours de la cathédrale [2].

En parallèle, dans les logements autour de Notre Dame, les niveaux mesurés étaient inférieurs aux seuils recommandés à l’exception d’un logement. « Ce logement, qui est le même que celui habité par l’enfant ayant eu une plombémie supérieure à 50 µg/L, avait une source d’exposition au plomb isolée et indépendante de l’incendie de la cathédrale », souligne l’ARS.

Enfin, les prélèvements de poussières réalisés sur des surfaces accessibles aux enfants étaient toutes inférieures à 1000 microgrammes/m², et, s'agissant des écoles et crèches investiguées par la Ville, pour la plupart inférieures à 70 microgrammes/m² (seuil à partir duquel il est nécessaire de mettre en œuvre des nettoyages réguliers et une sensibilisation au dépistage de la plombémie », précisait l’ARS le 18 juillet.

Le 25 juillet, deux établissements du 6e arrondissement qui accueillaient des enfants en centre de loisirs pendant les vacances ont, toutefois, été fermés en raison de la détection de taux supérieurs à 5 000 µg/m² dans les cours « par mesure de précaution » et pour pouvoir procéder à leur décontamination, selon l’ARS. Les cours de l’une d’elle seront totalement refaites pendant les vacances.

Des données vraiment rassurantes ?

Le fait d’être en-dessous des normes à partir desquelles des interventions sont recommandées pour la plupart des lieux de vie des enfants proches de la Cathédrale est-il totalement rassurant sur le plan sanitaire ?

Pour l’ARS, aucune intoxication aiguë n’a été signalée dans les jours qui ont suivi l’incendie et « les niveaux d’exposition au plomb associés au contact avec les sols et les poussières contaminés étudiés ici sont tels que le plomb n’est pas en quantité suffisante pour entraîner des symptômes visibles qui lui soient facilement attribuables », précise-t-elle.

Mais pour Annie Thébaud-Mony, directrice de recherches honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et porte-parole de l’association Henri Pézerat (santé, travail, environnement), les risques sont clairement minimisés par l’agence. « Les taux retrouvés sont gigantesques. Ils correspondent à ce qu’on peut voir sur des chantiers de dépollution de sites de recyclage de batteries ou de traitement de déchets électroménagers. Ils sont la marque d’une contamination massive qui fera forcément des victimes », a-t-elle commenté pour le quotidien Le Monde le 29 juillet dernier [3].

La question se pose, en effet, alors que pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la plupart des autorités de santé comme le Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) ou les Centers for Disease Control (CDCs) américains, il n’existe pas de concentration de plomb dans le sang qui soit sans danger.

« Les études scientifiques internationales montrent qu’il existe des effets de l’intoxication par le plomb sur la santé, sans seuil (c’est-à-dire sans que soit identifié un « seuil » au-delà duquel des effets existent et en-deça non), et que ces effets sont d’autant plus importants que les plombémies sont élevées, notamment chez les enfants et les femmes enceintes », indique d’ailleurs l’ARS, ce que confirme le Haut Conseil de Santé Publique dans son guide pratique de dépistage et de prise en charge des expositions au plomb chez l’enfant mineur et la femme enceinte mis à jour en 2018.

Pour Annie Thébaud-Mony , les taux retrouvés sont gigantesques.

 « Normalement, le plomb n’est pas contenu dans le corps humain. Et partir du moment où il y en a, commencent les effets délétères qui peuvent être plus ou moins repérables » explique le Dr Jacques Cheymol, pédiatre libéral, Responsable de la Commission Santé Publique et Pédiatrie Sociale de la Société Française de Pédiatrie (SFP) à Medscape édition française.

Le pédiatre qui a participé à la mise à jour du guide pratique du HCSP en 2018, se veut toutefois rassurant : « il faut continuer à surveiller pour prendre les mesures adéquates mais il faut calmer les esprits : « le taux de plomb sur le parvis est très important mais on sait comment le nettoyer ».

Pour l’expert, ceux qui courent le plus grand danger sont les ouvriers du chantier. Il ajoute que l’une des contaminations les plus préoccupantes viendrait de la quantité de plomb qui a été vaporisée. « Des nuages très chauds ont très probablement pu se déposer un peu à distance de Paris […] », explique-t-il.

Selon Le Monde, Airparif a d’ailleurs constaté des niveaux de plomb dans l’air « très atypiques » sur son site de surveillance de Limay dans les Yvelines, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Paris, situé dans la direction des vents pendant l’incendie.

Pour l’OMS et les CDC américains, il n’existe pas de concentration de plomb dans le sang qui soit sans danger.

Que disent les plombémies des enfants ?

Concernant les enfants, particulièrement vulnérables, l’ARS a, suite à l’incendie, « incité au dépistage des enfants de moins de sept ans et des femmes enceintes vivant sur l’Île de la Cité », et les données ne semblent pas particulièrement inquiétantes.

Selon les toutes dernières données publiées par l'ARS en date du 6 août, 175 dépistages d’enfants ont été réalisées.

Entre l’incendie et le 31 juillet, ce sont donc au total 173 dépistages d’enfants qui ont été effectués (162 primo-dépistages et 11 dépistages de contrôle).

Sur ces 162 primo-dépistages :

- 145 se situent en dessous du seuil de vigilance de 25 microgrammes par litre.

- 16 se situent dans l’intervalle de vigilance entre 25 et 49 microgrammes

- 2 cas se situent au-dessus du seuil de déclaration obligatoire de 50 microgrammes par litre de sang.

L'un de ces enfants est celui signalé par l’ARS le 4 juin. L’enquête environnementale réalisée à son domicile a permis d’établir qu’une source de pollution y existait préalablement à l'incendie, sans lien donc avec l’incendie de Notre-Dame. 

Dans le deuxième cas, signalé à l'ARS très récemment, la plombémie a été prescrite dans le cadre de la démarche ciblée engagée dans les écoles situées à proximité de points où des prélèvements supérieurs à 5000 µg/m² avaient été constatés sur l’espace public. Une analyse individuelle par des médecins du Centre antipoison et de toxicovigilance est menée, et une enquête environnementale est engagée pour identifier les sources au plomb. Les résultats de cette enquête environnementale seront connus dans quelques jours, indique l'ARS.

Pas de traitement médicamenteux

A ces niveaux – y compris pour le 2ème cas au-dessus de la norme –,  il est préconisé le suivi régulier de la plombémie, des conseils hygiéno-diététiques mais pas de traitement médicamenteux.

« Dans la population générale, les enfants ont un bruit de fond de plomb de 15 à 30 microgrammes de plomb dans le sang », a précisé le Dr Cheymol pour Medscape édition française qui ajoute : « En dessous de 450 microgrammes par litre de sang, on ne met pas en place de traitement chélateur de plomb avec du succimer (acide éthylènediaminotétraacétique). L’idée est de trouver la source de plomb et de la supprimer. Nous sommes sortis de ce que nous avons connu, il y a 30 ans avec des enfants qui avaient 700 à 1000 microgrammes par litres de plomb dans le sang, des taux qui commençaient à s’exprimer cliniquement. Nous avons malheureusement vu, à cette époque, quelques enfants avec des encéphalopathies. Aujourd’hui, les enfants que nous voyons ont des expressions cliniques assez pauvres. Il n’empêche qu’il faut être vigilant et intervenir quand il le faut ».

En résumé, trois mois et demi après l’incendie, 175 plombémies qui ont été prescrites : deux d'entre-elles sont supérieures au seuil de déclaration obligatoire de 50 microgrammes, 16 sont situées dans l'intervalle de vigilance, et 146 sont en-dessous du seuil de vigilance.  Pour l'ARS, « ces résultats globaux confirment, d’une part,la nécessité de poursuivre les actions de nettoyage pour limiter tout risque d’exposition aux poussières de plomb des enfants et, d’autre part, l’importance d’amplifier les opérations de prélèvements et de dépistages.»

Ces résultats globaux confirment l’importance d’amplifier les opérations de prélèvements et de dépistages ARS

 

 

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....